Entretien avec Jean-Baptiste Gnonhoué

« Le principe de la séparation des pouvoirs est préventif de la dictature»
L’actualité nationale et internationale est riche en événements qui retiennent l’attention.  Monsieur Jean-Baptiste GNONHOUE, Président de la Coalition Béninoise pour la Cour Pénale Internationale donne ici ses impressions sur divers sujets, sous l’angle des droits de l’homme.

La Nouvelle Tribune : Ces derniers temps, le régime en place a été l’objet de nombreuses critiques ; certains ont même redouté des dérives. Quelle est votre analyse ?

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Jean-Baptiste Gnonhoué
 Depuis l’historique conférence de février 1990, la moindre tentative de dérive donne des frissons ça et là, suscite l’inquiétude. On s’interroge, parce que l’on craint le retour à l’ordre ancien, celui d’avant la conférence nationale, caractérisé par une dictature militaro marxiste léniniste. Cette impression a prévalu, très rapidement, entre temps sous le règne du président Soglo, en raison, vous voyez, de certains faits et propos déplorables. Elle prévaut aussi maintenant sous le régime du changement sur la base des faits, des propos, des indices surprenants. Mais, vous savez, lorsque les populations se trouvent confrontées à ce qui semble porter les germes d’une dérive liberticide, totalitaire, elles adoptent, évidemment d’une manière ou d’une autre, une posture dissuasive et c’est tout à fait normal. Ce que j’entends les gens ordinaires dire et les déclarations contre le pouvoir en place que j’ai pris soin de lire, écoutez, on ne va pas me dire tout de même que ce sont des manifestations ex-nihilo.

Pouvez-vous donner quelques précisions ?
Je prendrai juste deux exemples que je situerai strictement dans le cadre des droits de l’homme et rien que cela. Le premier exemple, c’est celui du non respect par le gouvernement Boni Yayi du principe de la séparation des pouvoirs, vigoureusement dénoncé dans une déclaration de taille par nos magistrats qui ont saisi finalement la Cour Constitutionnelle, et vous savez la décision rendue par celle-ci. Le principe de la séparation des pouvoirs cher au philosophe Montesquieu est préventif de la dictature, donc contribue à la protection des droits de l’homme des libertés fondamentales et de la démocratie. Deuxième exemple, je prends un taxi lorsque mon véhicule est en panne. Vous voyez, les passagers, à leur manière, disent en langues nationales lorsqu’ils commentent la situation politico sociale, je cite « Nous avons élu massivement le Docteur Yayi Boni pour que la situation change. Les autres leaders ont fatigué le peuple. Mais on ne lui demande pas d’appliquer ce qu’il a vu au Togo. Il ne doit pas imiter Eyadéma ici au Bénin. Quoi ? Jamais ! Le Bénin n’est pas le Togo. Pas ça ici, on ne sera plus libre à la longue, et tout le monde pensera de la même manière. Il faut qu’il fasse attention. Ce n’est pas cela qu’on lui demande ». Voilà ce que les gens, les gens très ordinaires racontent dans le taxi lorsqu’ils commentent la situation nationale. Tirez vous-même la conclusion.

Certains compatriotes ont fustigé les interventions des anciens leaders politiques, ceux dits de la vieille garde. Ils pensent qu’ils ne sont pas qualifiés pour juger le pouvoir en place.
Ils disent que les autres leaders doivent « la boucler » parce qu’ils sont responsables de la situation de dégradation actuelle. Alors là moi, je rétorque que, ce n’est pas parce qu’ils ont commis des erreurs ou des fautes dans le passé qu’ils doivent être interdits de parole, interdits de jeter un regard critique sur le régime actuel. On ne va quand même pas leur demander d’encenser le régime, de garder le silence sur ce qui ne va pas. Après tout, ce sont des hommes politiques qui ont le droit de dire ce qui, selon eux, ne s’apparente pas à un changement. Ecoutez, le droit à la différence est un droit de l’homme. Ceux qui soutiennent le gouvernement actuel, et c’est leur droit le plus absolu aussi, ceux-là dans leurs déclarations, ont mis en exergue les erreurs des autres leaders, surtout celles du président Soglo, en taisant dans l’ensemble ce qui ne va pas à l’heure actuelle. Et Foly Vincent, votre Directeur de publication de réagir admirablement dans un éditorial, de s’adresser précisément au docteur Hountondji dans un style journalistique bien balancé en disant entre autres, « C’est bon de rappeler à notre souvenir les erreurs du président Soglo. Mais, Docteur Hountondji, est-ce à dire que tout va bien maintenant ? ». Et il a fait un développement bien équilibré sans oublier surtout ce qui amène les Béninois à avoir des craintes pour la liberté d’expression, la démocratie et l’état de droit.

A la veille du scrutin du dimanche dernier, le chef de l’Etat a une déclaration dans laquelle dans laquelle il a tenté de calmer la tension socio-politique d’alors et rassurer ses compatriotes de la tenue du scrutin. Cette intervention était-elle opportune selon vous ?
Je constate que le président Boni Yayi a pris la mesure du climat politico social, en faisant, dans le cadre de la campagne électorale pour le scrutin du 20 Avril 2008, une déclaration apaisante, en exprimant sa volonté d’éviter l’érosion des droits de l’homme, et de la démocratie. J’avoue que c’est une bonne déclaration. Je souhaite qu’il concrétise sa volonté non seulement dans le cadre électoral actuel, mais aussi durant tout son mandat. Car, il ne faut pas que le Bénin évolue insidieusement vers une guerre civile aux conséquences extrêmement tragiques aussi bien sur le plan national que hors de nos frontières. De plus, les grands défis du moment sont là : la flambée des prix, la crise alimentaire, le coût de la vie. On parle déjà de New Deal alimentaire. Tous ces défis doivent être relevés à mon avis dans un climat social apaisé. Le pouvoir et l’opposition ainsi que leurs partisans ne doivent pas manquer de mesure dans leurs comportements « in medio stat virtus », la vertu est au milieu.

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L’actualité internationale est actuellement agitée par plusieurs dossiers ; du Zimbabwé en Chine en passant par le Darfour ? la Birmanie et autres.
Dans le domaine des droits de l’homme, ça va mal au Darfour, en Birmanie, au Zimbabwé, en Chine pour ne citer que ces pays. Les pays de la Sadec et l’Union Africaine doivent agir résolument pour mettre un terme à la dégradation persistante au Zimbabwé. Le désastre qui persiste au Darfour et en Birmanie, est dû au comportement de la Chine qui dispose du droit de véto qui, comme vous le savez annihile les efforts de redressement en matière de droits de l’homme. Les gens s’en prennent maintenant à la flamme olympique non seulement à cause de la répression au Tibet, mais aussi en raison de la situation en Birmanie et au Darfour. Ce qui se passe dans ce dernier pays est un scandale. On laisse le Soudan dicter sa loi à la communauté internationale en ce qui concerne le déploiement des forces mixtes. C’est dommage.

Que faire alors ?
Il faut continuer à réfléchir, à envisager d’autres stratégies. Vous voyez, Gordon Brown envisage déjà une conférence internationale à Londres sur le Darfour. C’est une bonne chose. On verra bien.  Je dirai que lorsqu’il s’agit des droits de l’homme, il faut être en éveil et aucune stratégie ne sera de trop pour les sauvegarder. L’actualité internationale, c’est aussi la menace qui pèse sur les droits économiques et sociaux à cause de la dégradation de l’économie mondiale à divers degrés et les pays pauvres ne sont pas sûrs de parvenir aux objectifs du millénaire. Il faut espérer que la sagesse prévaudra et que les solutions idoines pour résoudre la crise seront trouvées.

Réalisé par Alain Assogba

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