La machine à perdre du Roi

Quelle qu’ait été l’ampleur des dysfonctionnements notés dans l’organisation des scrutins communaux, municipaux et locaux du 20 avril, il n’en est pas moins que le peuple béninois se sera prononcé.

Et même dans l’attente des résultats officiels, on peut déjà parier – et gagner le jackpot – sur les tendances sorties des urnes au soir de ce 20 avril. Il est vrai que les communales diffèrent des législatives ou de la présidentielle. Pour autant, il faut éviter de se méprendre sur la vérité des chiffres.
Dans la tradition yoruba-nago, le griot chante les louages du roi, il peut dire du roi, qu’il est beau, qu’il est intelligent, qu’il est brillant, mais il ne tord pas le cou à la vérité factuelle et historique. Citant par exemple la lignée royale, une seule omission suffit à l’envoyer vers ses ancêtres dans l’au-delà. La lecture que fait la presse grise présidentielle des premiers résultats laisse l’observateur abasourdi. A en croire les titres en une, la « victoire » des Forces Cauris pour un Bénin Emergent (FCBE) passe par le nombre de communes entrées dans son escarcelle : 66% des communes. Donc 66% du Bénin. Comme si Djougou valait Cotonou, comme si Nikki faisait Porto-Novo. Et que dire de cette affiche qui balance partout « la déferlante cauris » montrant sur une carte du Bénin toute en vert, rien que des cauris pour matérialiser « les zones à majorité FCBE » et quelques petits points jaunes tout en bas pour délimiter les « zones de présence minoritaire FCBE ».

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Pourtant, Cotonou la capitale économique où le Chef de l’Etat venait largement en tête à la présidentielle, Cotonou qui a gracieusement offert presque autant de députés FCBE que la Renaissance du Bénin aux législatives, n’octroie hélas, qu’un tout petit nombre de conseillers municipaux à la mouvance présidentielle. Jérôme Dandjinou mis en pôle position pour déloger Nicéphore Soglo de l’hôtel de ville n’aurait même pas réussi à se faire élire conseiller municipal dans le 3e arrondissement. L’échec des FCBE à Cotonou paraît tout aussi retentissant que la longue guerre des tranchées à laquelle se sont livrés les deux camps depuis l’avant-veille des municipales. Les visites des délégations ministérielles dans les arrondissements de Cotonou au grand dam des responsables municipaux, la guerre des communiqués, l’épisode de l’école de Yagbè et la grande étincelle des déclarations et contre déclarations incendiaires de Nicéphore Soglo et d’Alexandre Hountondji sur RFI ont finalement tourné à l’avantage du maire de Cotonou et de son fils bien-aimé douillettement assis dans le fauteuil de premier adjoint. Etrillées à Cotonou, mises à sa sac comme à l’accoutumée à Porto-Novo, les FCBE n’empochent en fin de compte que la portion congrue de nos trois municipalités : Parakou.

La vérité, c’est que les plus grandes villes du Bénin échappent à la majorité présidentielle. Aux deux plus grandes municipalités, il faut ajouter la conurbation Abomey-Bohicon, Lokossa, Abomey-Calavi (sous réserve) et même Ouidah où, on ne sait par quelle tour de magie, ressuscite subitement le RDL de Sévérin Adjovi. Pourtant, on connaît Ouidah pour son attachement à sa digne fille, la première Dame, Madame Chantal de Souza Yayi.

Dans ces conditions, peut-on objectivement parler d’une « déferlante verte » avec à l’appui encore plus de cauris qu’il y en avait en avril 2006 ? Pourquoi la presse grise veut-elle à tout prix à plaire au Chef en déformant la réalité ? Récitant le panégyrique, le griot peut-il déclarer au roi qu’il a gagné lorsque, sorti d’une bataille, le royaume perd une partie de son territoire conquis et sa principale ville ? N’est-il pas temps d’attirer l’attention du Roi sur les superficies amputées du Royaume aux fins de l’amener à réajuster sa stratégie de guerre ?

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De toute évidence, les municipales, communales et locales du 20 avril appellent une prise de conscience sur le mécontentement rampant qui, doublé de la cherté de la vie, se faufile de plus en plus dans les esprits. Et l’un des principaux aspects à corriger reste encore à trouver au niveau de cette « grisaille savante » qui se perd dans la présentation des faits. Comment comprendre en effet que la mouvance présidentielle perde Cotonou ? La capitale économique bénéficie, à elle seule, des plus gros investissements du pays en matière d’éducation, de santé, de micro-finance, de subvention contre la vie chère et surtout en matière de travaux publics et des transports. Les nombreux chantiers, dont certains sont achevés, les nouveaux bâtiments qui ceinturent l’Océan Atlantique en sont une illustration.

On apprend en journalisme audiovisuel que la forme vaut autant que le fond. En communication, la forme prend carrément le pas sur le fond. Votre produit peut être le meilleur, si vous ne savez pas le présenter et l’adapter à la cible, personne ne l’achètera. Lorsque le factuel prend l’allure de propagande, lorsqu’on fait faire au Chef des interventions fleuves qui rivalisent avec celles du leader maximo  –  environ 3h30 d’intervention télévisée même lors d’une solennité, cela ressemble étrangement à Fidel Castro -, lorsqu’on sature l’image, qu’on la fait passer simultanément et à longueur d’antenne sur les 4 chaînes locales, oubliant que le personnage-président n’est plus le personnage-candidat, il y a de quoi faire craindre aux Béninois le retour à l’Etat totalitaire. Quand on parle trop, on court toujours le risque d’ennuyer. La pertinence d’un sujet ne réside pas dans la durée, ni dans le volume de parole. Le drame, c’est que la moindre objection au dilatoire est taxée d’impertinence, d’opposition ou encore d’aigreur. C’est parce que l’objecteur ne fait pas partie de l’équipe ! En fin de compte, cette « grisaille savante » devient une machine à perdre. Et dans l’univers politico-médiatique on joue généralement à la roulette russe ou aux échecs. La conséquence pour les perdants, c’est ou une balle dans la tête ou échec et mat.

Charlemagne Kêkou
Journaliste à l’ORTB

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