Donc le nègre est mort.
Il est mort debout, au petit matin de la moiteur tropicale de sa Martinique éternelle. Il est mort comme il l’avait toujours souhaité, au milieu des siens, le regard peuplé d’étincelles, ces petites lueurs étoilées dont il avait voulu éclairer les consciences noires, qu’elles soient de l’Afrique ou qu’elles appartiennent à ses morceaux disparates à travers le monde.
Il est mort debout, au petit matin de la moiteur tropicale de sa Martinique éternelle. Il est mort comme il l’avait toujours souhaité, au milieu des siens, le regard peuplé d’étincelles, ces petites lueurs étoilées dont il avait voulu éclairer les consciences noires, qu’elles soient de l’Afrique ou qu’elles appartiennent à ses morceaux disparates à travers le monde.
Une révérence et une échappée comparables à la sortie de scène du comédien conscient d’avoir donné la pleine mesure de son rôle. Et des quatre-vingt quatorze ans qu’a duré cette présence sur scène, de ces longues années pendant lesquelles ses écrits se sont fait autorité, on a pleuré en le lisant, on s’est mis en colère en le commentant, on s’est révolté en l’analysant. Puis, s’est imposé le besoin de se lever, de marcher, de lever haut la tête pour transformer les pertes nées de l’histoire en un combat de vie, en un idéal d’honneur pour faire du siècle à venir, de tous les siècles, le temps du nègre debout, le temps du nègre digne, le temps de l’homme libre.
J’ai pris, en égrenant mes souvenirs de lycéen, en me retrempant dans le Césaire littéraire, le raccourci des paresseux pour interroger d’une façon générale l’héritage immense que l’écrivain nous a laissé.
Le lecteur a pleuré, ai-je dit ? Oui, il a fondu en larmes en découvrant son propre portrait dans Cahier d’un retour au pays natal. Le portrait sans concession du nègre, être invisible, être plié et courbé par des siècles de traite négrière, d’esclavage et de colonisation. Sous-homme, objet de servilité et de déshumanisation totale, il ne peut que se contenter du bon vouloir de son maître qui a réussi à faire de lui un décalque de lui-même, copie affreuse du modèle blanc.
Après les larmes, la colère, puis de la colère est né le besoin de révolte. Discours sur le colonialisme, l’œuvre éponyme de l’écrivain a montré l’orchestration immonde mise en place par l’Occident – en coupe réglée avec des potentats locaux – initiateur et multiplicateur de l’infortune du peuple nègre.
Mais la révolte, si légitime et si furieuse qu’elle puisse paraître, ne peut pas être du marronnage. Si elle est condamnée à ne plus être physique – les forces en face sont inégales – elle peut se mener sur un autre plan : la culture. La réponse est toute trouvée : la Négritude. Césaire qui en est le concepteur, le définit comme « le fait d’être noir ». En clair, elle est sinon ontologique ou, à tout le moins, essentielle.
Alors, les oripeaux blancs dont le colonisateur couvrait le noir, doivent être jetés. Retrouver son essence première, c’est se retremper dans la connaissance des valeurs de civilisation nègre : culture, histoire, pensées, habitudes de vie. D’où la restitution du passé du continent noir. De ses héros. De ses temps de gloire. Restitution qui s’accompagne de sublimation. La Négritude devient triomphante.
L’héritage césairien est donc pluriel. Il n’est pas « une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre », il « n’est ni une tour, ni une cathédrale », mais une force indubitable. La force de croire en quelque chose, la défendre en tout lieu, malgré l’âge, malgré les caprices du temps. La force de croire que, du regard de soi, dépend la considération que l’autre vous confère. A quatre-vingt onze ans, le vénérable vieillard a refusé de recevoir Nicolas Sarkozy alors instigateur, par le soin de la majorité présidentielle, d’un projet de loi reconnaissant le « rôle positif de la colonisation ».
L’héritage césairien, c’est aussi l’humanité de son combat. S’il estimait qu’il se sentirait toujours dévalorisé, opprimé et enchaîné tant qu’un homme le serait sur terre, il s’inscrivait automatiquement dans un processus humaniste universel. Une ouverture que le poète a résolument instruite pour la postérité.
L’héritage césairien, c’est encore l’appel à la « négraille debout ». Parce qu’on est nègre, il faut exiger du nègre plus de travail. C’est le bréviaire du roi Christophe dans la tragédie qui lui est consacrée. Une pièce publiée en 1963 qui met en scène ce roi exigeant, si exigeant envers ses sujets qu’il en est devenu despotique. Une œuvre prémonitoire contre les dérives dictatoriales des régimes issus des indépendances.
Ecrivain parmi les écrivains, homme de culture parmi les hommes de culture, Aimé Césaire fut, comme les icônes des siècles passés, la force dont l’histoire s’était fait complice pour orienter la marche du citoyen. La force qui sait féconder les mythes fondateurs. La force qui sait, à tout jamais, enfanter les espérances nouvelles.
J’ai pris, en égrenant mes souvenirs de lycéen, en me retrempant dans le Césaire littéraire, le raccourci des paresseux pour interroger d’une façon générale l’héritage immense que l’écrivain nous a laissé.
Le lecteur a pleuré, ai-je dit ? Oui, il a fondu en larmes en découvrant son propre portrait dans Cahier d’un retour au pays natal. Le portrait sans concession du nègre, être invisible, être plié et courbé par des siècles de traite négrière, d’esclavage et de colonisation. Sous-homme, objet de servilité et de déshumanisation totale, il ne peut que se contenter du bon vouloir de son maître qui a réussi à faire de lui un décalque de lui-même, copie affreuse du modèle blanc.
Après les larmes, la colère, puis de la colère est né le besoin de révolte. Discours sur le colonialisme, l’œuvre éponyme de l’écrivain a montré l’orchestration immonde mise en place par l’Occident – en coupe réglée avec des potentats locaux – initiateur et multiplicateur de l’infortune du peuple nègre.
Mais la révolte, si légitime et si furieuse qu’elle puisse paraître, ne peut pas être du marronnage. Si elle est condamnée à ne plus être physique – les forces en face sont inégales – elle peut se mener sur un autre plan : la culture. La réponse est toute trouvée : la Négritude. Césaire qui en est le concepteur, le définit comme « le fait d’être noir ». En clair, elle est sinon ontologique ou, à tout le moins, essentielle.
Alors, les oripeaux blancs dont le colonisateur couvrait le noir, doivent être jetés. Retrouver son essence première, c’est se retremper dans la connaissance des valeurs de civilisation nègre : culture, histoire, pensées, habitudes de vie. D’où la restitution du passé du continent noir. De ses héros. De ses temps de gloire. Restitution qui s’accompagne de sublimation. La Négritude devient triomphante.
L’héritage césairien est donc pluriel. Il n’est pas « une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre », il « n’est ni une tour, ni une cathédrale », mais une force indubitable. La force de croire en quelque chose, la défendre en tout lieu, malgré l’âge, malgré les caprices du temps. La force de croire que, du regard de soi, dépend la considération que l’autre vous confère. A quatre-vingt onze ans, le vénérable vieillard a refusé de recevoir Nicolas Sarkozy alors instigateur, par le soin de la majorité présidentielle, d’un projet de loi reconnaissant le « rôle positif de la colonisation ».
L’héritage césairien, c’est aussi l’humanité de son combat. S’il estimait qu’il se sentirait toujours dévalorisé, opprimé et enchaîné tant qu’un homme le serait sur terre, il s’inscrivait automatiquement dans un processus humaniste universel. Une ouverture que le poète a résolument instruite pour la postérité.
L’héritage césairien, c’est encore l’appel à la « négraille debout ». Parce qu’on est nègre, il faut exiger du nègre plus de travail. C’est le bréviaire du roi Christophe dans la tragédie qui lui est consacrée. Une pièce publiée en 1963 qui met en scène ce roi exigeant, si exigeant envers ses sujets qu’il en est devenu despotique. Une œuvre prémonitoire contre les dérives dictatoriales des régimes issus des indépendances.
Ecrivain parmi les écrivains, homme de culture parmi les hommes de culture, Aimé Césaire fut, comme les icônes des siècles passés, la force dont l’histoire s’était fait complice pour orienter la marche du citoyen. La force qui sait féconder les mythes fondateurs. La force qui sait, à tout jamais, enfanter les espérances nouvelles.