chronique: Abolition de l’esclavage, pourquoi faire?

Il s’est passé quelque chose de bizarre, samedi dernier à l’esplanade de La Médiathèque des Diasporas. Pour célébrer l’abolition de l’esclavage, plusieurs artistes s’y sont retrouvés, avec le soutien du centre culturel américain. Des débats agrémentés de prestations musicales et chorégraphiques auraient eu lieu à la galerie des expositions, réunissant d’importantes personnalités du high-life culturel.

Pour couronner le tout, un concert a été prévu sur l’esplanade. Le seul problème, c’est qu’il n’y avait pas de spectateurs. Tout au plus un effectif de quarante personnes qui, telle la peau de chagrin, s’est réduit, crescendo, au fur et à mesure que la sonorisation hurlait sa parfaite concordance avec le caractère approximatif du programme musical.
Mais je ne reviens sur cet événement ni pour la tristesse de la prestation artistique, chose que nous avons tendance à considérer comme une fatalité sans que d’autres indicateurs de notre intelligence nous garantissent un revers, ni sur la préoccupante question de la sonorisation maléfique de nos spectacles les plus nobles.
Ce qui me préoccupe ici, c’est le pourquoi de l’événement. Originaires d’un des plus grands pourvoyeurs d’esclaves pendant le commerce triangulaire, aucune question rappelant cette calamité ne devrait nous laisser indifférents. Je veux dire que nous n’avons pas le droit de faire comme si nous n’étions pas tributaires de notre héritage, que nous n’avons pas le droit d’oublier, nous qui avons gardé, jusqu’à l’instant où je m’exprime, les stigmates de cette odieuse étape : châtiment corporel, vente de personne humaine, exploitation éhontée du travail d’autrui y compris celui des enfants, égoïsme érigé en culture nationale, muflerie, sournoiserie et toutes autres formes de méchanceté gratuite.
Il y a, certes, ceux qui ont conçu, initié et organisé cette affreuse blessure, mais il y a aussi les tarés qui l’ont cautionné en se livrant systématiquement à la chasse à l’homme, en préférant le parti du persécuteur au détriment de la dignité, et il y a même ceux qui ne s’en sont pas sentis concernés tant qu’ils n’en ont pas été victimes. Il était plus que temps de reconnaître cette vérité afin de balayer vers l’arrière toutes velléités nouvelles. Or, en nous cachant la vérité à nous-mêmes, tout en exhibant, dès que cela est opportun l’excuse de la faiblesse, en ne reconnaissant pas qu’il y en avait, parmi nos ancêtres, qui étaient proprement minables et peu recommandables, nous esquivons la possibilité de notre propre aptitude au progrès, nous nous fermons la porte à toute absolution.
Il se trouve curieusement que le spectacle douteux de samedi dernier reflète un sentiment général. Je n’ai pas vu, en circulant dans mes deux départements ordinaires, de personnes qui se sentent réellement concernées par l’abolition de l’esclavage. Peut-être même que s’il n’y avait rien à en tirer, les artistes présents ne le seraient pas. Il y a peut-être une raison politique à cela. C’est que cette abolition, pour dire les choses rapidement, quitte à récolter des étiquettes dont je me balance, est le fait de mâles blancs. Je veux dire que ce sont les criminels eux-mêmes qui, ayant découvert des manières plus sophistiquées de perpétuer cette barbarie, se sont repliés face aux réactions de plus en plus cocasses, qu’il y a toujours eu, parmi les victimes de braves personnes qu’il convient de réhabiliter massivement pour nous débarrasser de la tare, pour aboutir enfin à notre propre libération, à notre propre décision d’abolition.
Déjà au temps des gladiateurs, Dragba a refusé de mettre à mort Spartacus et lancé son arme en direction du général romain avant d’être doublement assassiné. Mais c’est Spartacus qui sera célébré comme le premier héro antiesclavagiste, bien entendu en reprenant l’étendard de Dragba. Deux mille ans plus tard, l’acte de subordination naïve du nègre Bartolo révèlera, à travers la trahison de Mangin, la logique implacablement inhumaine de tout esprit esclavagiste et précipitera l’épopée de Toussaint Louverture tandis qu’ici même Adandozan se révèle comme le premier vendeur potentiel à rejeter l’opprobre avant d’être banni des livres d’histoire, déchu de son pouvoir de chasseur en chef, sali, vilipendé à travers les âges sans que personne réagisse. On pourrait citer de tas d’autres noms, malgré le zèle de certains à effacer l’histoire. Mais ces quelques uns déjà, presque personne ne les connaît dans nos rues.
Que ceci soit clair, il ne s’agit pas d’opposer artificiellement les races à travers l’histoire. Il s’agit de reconnaître que dans toutes les races, il y a eu, historiquement, des barbares et que ces barbares se sont entendus à travers les continents pour conduire à l’acte la plus insalubre de l’humanité. A chacun d’opérer son nettoyage en reconnaissant que certaines races ont été plus victimes que d’autres tout dégageant, à chaque étape de l’histoire, des héros, des vrais dont il convient d’être fier.

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Camille Amouro

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