Seulement voilà. La question qui se pose depuis peu est celle-ci : la crise alimentaire doit-elle être une porte ouverte pour l'introduction des Ogm dans l'agriculture et l'alimentation au Bénin et en Afrique? La réponse du Réseau Jinukun et ses partenaires dont Capagen et Grain est sans appel : non, non et non. Une position nette. Et pour cause. Commençons par la caractérisation de la crise elle-même. L'analyse que présente la fiche signalétique du Programme d'Urgence d'Appui à la Sécurité Alimentaire (Puasa) de notre gouvernement met en bonne place les conditions de campagnes défavorables qui ont affecté le Bénin et les pays de la sous-région. Mais quand on regarde les produits alimentaires subventionnés en même temps que la mise en place du Puasa, on constate que ce sont tous des produits d'importation: le riz, la farine de blé, les pâtes alimentaires, la tomate en boîte, le lait. Cela indique qu'il s'agit plutôt d'une crise de pouvoir d'achat dans les zones urbaines que d'une crise de production, ce qui met en exergue les facteurs externes, En effet l'Asie, frappée par des catastrophes répétées, a diminué ces exportations de riz afin de satisfaire les besoins internes. En ce qui concerne le blé, sa production est devenue beaucoup plus chère à cause de la hausse constante et progressive du prix du carburant, car l'agriculture américaine, européenne et des pays émergents est grande consommatrice d'énergie. En ce qui concerne le maïs au plan international – mais cela ne nous concerne pas vraiment- il faut ajouter que les Américains ont prélevé près de 80 millions de tonnes de maïs sur leurs stocks pour fabriquer de l'éthanol (agro – carburant).
" Si les habitants des zones urbaines avaient eu suffisamment d'argent pour acheter les produits ci- dessus mentionnés, on n'aurait jamais parlé de crise alimentaire. Les conditions défavorables de campagnes se sont répétées que de fois depuis près de 50 ans, mais cela n'a pas suffi pour déclencher un revirement dans la politique agricole de notre pays ni dans celle des autres pays africains " regrette le conférencier. Et de poursuivre que , malgré le sort fait à l'agriculture vivrière depuis des décennies, on peut dire que les paysans béninois tirent leur épingle du jeu. Si, alors, les efforts au plan national avaient été soutenus par les institutions internationales pour mettre en place assez tôt, de vraies filières pour accompagner la production vivrière, la situation serait moins malheureuse aujourd'hui. .
" En conséquence, les gesticulations et les hauts cris de ce qu'on appelle la communauté internationale ne sont pour nous que des larmes de crocodiles. Pendant plus d'un demi-siècle, elle n'a fait que pousser l'Afrique vers le développement des produits d'exportation que nous connaissons tous et les dirigeants du continent les y ont bien aidés, puisque eux aussi n'ont pas fait grand chose pour mettre en place de vraies filières de produits vivriers sur le continent" fait observer par ailleurs Mr Réné Sègbénou.
Pour le Réseau Jinukun, et beaucoup d'autres organisations qui se consacrent à la question des Ogm, le premier niveau de veille concerne leur introduction dans l'agriculture et l'alimentation et la protection de la biodiversité. A cet égard il n'y a rien qui indique que le Puasa introduit des semences Ogm dans le pays. Mais il se fait que certaines semences distribuées ne sont pas étiquetées. Ce qui parait peu prudent pourrait affecter l'efficacité du programme. Les semences distribuées sont des hybrides du genre Dmr, Congo S, Qpm Faaba, Tzpb-Sr pour le maïs et le Nerica 1,2, 3, 4, 5 et 6, Iita 128, Warb 32, etc.
Le deuxième niveau de veille est l'efficacité du programme. Ainsi , le réseau Jinukun dit apprécier positivement le fait que le gouvernement ait fait montre d' une volonté claire de soutenir la production vivrière et ait en conséquence prévu des moyens. Une mention spéciale doit être faite à la subvention à l'aménagement sommaire dans le Nord.
Mais, là où les difficultés s'annoncent de façon importante est la mise en œuvre du programme. Le nombre total de producteurs à toucher est de 1 850 pour une superficie à emblaver de 15 000 ha, pour 48 000 tonnes de céréales attendus (21 750 t de riz et 26 250 t de maïs) et la durée du programme est de 6 mois. Pour dépenser en 6 mois plus de 6 milliards de francs, il faut avoir au préalable sur place un mécanisme bien rodé, ce qui n'est pas le cas. Pour la subvention à l'aménagement sommaire qui est saluée par tout le monde, on demande aux producteurs de pré financer les 80 %. Combien parmi les 1 850 producteurs peuvent le faire? C'est un handicap important pour le succès du programme. Vu la manière dont les semences sont distribuées à certains endroits, une bonne partie passera à la consommation. Pour d'autres aspects de la mise en œuvre nous laisserons la parole aux paysans eux-mêmes. Christian Tchanou
Il y a d'abord un principe à respecter par-dessus tout. A savoir, les produits vivriers ou les aliments ne sont pas une marchandise comme les autres et l'on doit mettre en place des dispositions particulières dans leur traitement. De la même façon, selon le réseau, Jinukun, l'agriculture ne doit pas être considérée seulement comme du 'Business'. Sinon elle n'est tournée que vers le profit et risque de manquer son objectif premier qui est d'assurer une nourriture saine à l'Humanité.
Cela dit, il faut surtout vite sortir du Puasa, de l'urgence. Il faudra pour cela, entre autres, évaluer le programme avant la 'fin de l'année et en tirer des éléments pour la mise en œuvre du programme à plus long terme d'aménagement des vallées; réaliser dès maintenant une filière céréalière digne de ce nom, organisant de façon systématique et systémique la production, la mise en marché et la transformation, avec un accent particulier sur le riz ; prévoir des autonomies régionales dans la filière; la mise en marché doit sécuriser un prix rémunérateur pour les producteurs; réguler de façon souveraine l'importation du riz, de sorte que progressivement, d'année en année, le riz localement produit remplace le riz importé; aujourd'hui le Bénin consomme environ 100000 t de riz, mais n'en produit que 10000 t, alors que les ressources humaines et foncières existent pour produire au moins 10 fois plus.
" Nous sommes convaincus d'une chose: notre pays a aujourd'hui les moyens d'assurer une production vivrière fondée sur les ressources génétiques de notre terroir pour le grand bien des consommateurs. Tant que cette conviction nous habitera, nous n'aurons de cesse à œuvrer pour préserver notre agriculture et notre alimentation." aspire René M. Sègbènou.
C.T.