Chronique Darfour : quand le four à cramer d’El Béchir se retourne contre lui.

/food/bechir.jpg » hspace= »6″ alt= » » title= » »  » />Omar Hassan El Béchir est un magicien.

Il y a peu, le président soudanais, devant l'indignation générale des massacres perpétrés par les milices pro-Khartoum contre les populations du Darfour, opposait un démenti musclé, arguant que de telles accusations étaient orchestrées par une presse occidentale hostile. Au Darfour, disait-il, à part deux pelés et trois quidams victimes de règlements de comptes entre tribus, les meurtres dont on l'accable relèveraient de la fiction. D'ailleurs, contre-attaquant, le général jette le tort sur les rebelles Zaghawa, responsables à ses yeux de ces crimes. Et si, après moult négociations, il accepte enfin le déploiement sur place des troupes africaines, puis celles internationales des casques bleus, c'est pour pacifier la région et couper l'arbre sous le pied de ces " hors la loi ".
Ce raisonnement, longtemps clamé et présenté comme irréfutable, sonne aujourd'hui comme une anecdote de mauvais goût, car El Béchir a littéralement changé. Changé de tout au tout. Tant par le langage que par l'attitude. En vocabulaire routier, cela s'apparente à un virage à cent quatre-vingt dix degrés.
Le président soudanais reconnaît brutalement qu'au Darfour il y a problème, que les populations Four, Masalit et Zaghawa ont été victimes de massacres et de violations massives de droits de l'homme, que, plus de deux millions de gens ont perdu leurs terres et leurs maisons, que des déplacés se comptent désormais par millions…Et de proposer des solutions de sortie de crise : les populations vont retourner chez elles, le gouvernement fournira aux villages les services sociaux de premières nécessités, il sera mis en place des tribunaux spécifiquement soudanais pour juger les gens suspectés de violations de droits de l'homme, etc.…On se met à rêver et à se frotter les mains de satisfaction.
Lancé comme un TGV, El Béchir est ainsi prêt à faire toutes sortes de promesses, même les plus irrationnelles, pourvu qu'elles soient entendues et perçues comme telles non pas par les populations bénéficiaires mais par les instances de la Cour Pénale Internationale. Car, le général soudanais se fout éperdument de ce que les Darfourites pourraient attendre de ses engagements, son obsession, c'est de donner l'impression à la communauté internationale, et surtout au procureur Luis Moreno-Ocampo de la CPI, de prendre en charge le dossier et d'y apporter des solutions. C'est pourquoi, il s'est dépêché de se rendre à El Facher, dans la province du Darfour, précisément dans un camp de réfugiés, là où en temps normal, il n'aurait jamais pu risquer le nez. Et c'est là qu'on a vu un El Béchir plus que jamais danseur, s'exécutant sur un rythme imaginaire avec des youyous de supporters recrutés pour la circonstance. Un one man show tout aussi fourbe que l'a été jusque là l'attitude du maître de Khartoum.
Mais le fait est que, danseur de Raï ou pas, le général président a senti l'étau se resserrer autour de lui. Il sait que la menace du procureur Moreno-Ocampo est loin d'être un épouvantail et, quelques dilatoires que puissent être ses actions pour geler l'échéance, l'ombre des morts du Darfour, confortée par le mandat d'arrêt international, le rattraperait.
Je voudrais ici saluer l'audace de ce juge de la Cour Pénale Internationale. Depuis 2003 où le génocide des Darfourites a été révélé au monde, c'est la première fois qu'une décision contraint les autorités du pays à faire marche arrière. Avant, aucune sanction, aucune négociation, aucun plaidoyer n'avait réussi à faire plier la machine à génocider de Khartoum : les Djindjahouites continuaient toujours de massacrer les populations. Les violences, racontées par des rescapés, défient l'imaginaire même des films d'horreur : des enfants qu'on embroche sur des lances plantées au sol ; des femmes dont on transperce le sexe avec des baïonnettes ; les hommes qu'on éviscère ou qu'on écartèle des quatre membres…Bref, c'est de la " la barbarie sans limite, ni territoire " pour reprendre les termes du philosophe français Bernard-Henri Levy.
Et c'est contre cette barbarie que la menace du juge Ocampo prend tout son sens. En organisateur suprême de cette violence, à moins qu'il n'en soit qu'un simple instrument, El Béchir doit répondre au CPI. Aucune autre porte de sortie n'est envisageable pour lui. A moins de se risquer dans un bras de fer. Ce à quoi le poussent certains chefs d'états africains et arabes coupables des mêmes travers, même si c'est à plus petite échelle. On connaît le proverbe : " si je ne t'aide pas à éteindre l'incendie dans ta maison, c'est chez moi que viendra le feu".

Par Florent Couao-Zotti
Ecrivain

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