Réflexion: L’Ornithorynque chez nous !

/food/hounyovi.png » hspace= »6″ alt= »Dr Maxime Jean-Claude Hounyovi » title= »Dr Maxime Jean-Claude Hounyovi »  » />(Lire aussi Qui est le Dr Maxime Jean-Claude Hounyovi ?)

S’il est une espèce dont la survie ne peut être menacée par le réchauffement de la planète, c’est bien l’ornithorynque. « Animal ressemblant à une grosse loutre avec un bec de canard et une queue de castor », l’ornithorynque est classifié comme mammifère ; et pourtant, il pond des œufs. L’ornithorynque est donc un ovipare mammifère. L’ornithorynque combine les traits de plusieurs familles d’animaux, notamment les reptiles, les oiseaux et brouille, par conséquent, les ordres. Mais qu’est ce que l’ornithorynque vient chercher chez nous, au Bénin alors que cet animal vit normalement en Australie ? Rien ! Absolument rien. Que les Australiens se rassurent ! Leur cher « compatriote », effigie de leur pièce de monnaie de vingt cents n’a pas émigré au Bénin. Il s’est tout juste incarné sous la forme d’un animal politique.
La communauté de naissance, la communauté ethnique et non la communauté des idéaux
En effet, la faune politique béninoise est désormais peuplée de partis ou de regroupements de partis politiques qui présentent toutes les caractéristiques d’un ornithorynque.
Un parti politique est communément défini comme un « groupement de personnes ayant les mêmes opinions politiques et s’organisant pour en poursuivre l’application par une action commune en vue de la conquête du pouvoir et dans l’exercice de celui-ci ».
L’observation de la scène politique béninoise montre qu’on est loin du compte. C’est énoncer une évidence que d’affirmer que nos partis politiques se constituent sur des bases essentiellement régionalistes, ethniques, voire familiales. Et le phénomène a pris davantage de relief depuis l’avènement du Président Boni YAYI au pouvoir. Désormais, un leader politique pour être pris au sérieux par le nouveau pouvoir ne doit pas mettre en avant les idéaux de son parti politique ou sa capacité de mobilisation au plan national ; il doit plutôt démontrer son implantation dans son village. Ce qui oblige les acteurs politiques à se replier sur leur village ou leur famille adoptant ainsi une stratégie enseignée en théorie des jeux : lorsqu’on veut participer à un jeu, il faut en connaître les règles et les respecter ou trouver les moyens de les contourner. Et l’une des nouvelles règles non écrites de la démocratie béninoise est la promotion du repli communautaire.
Nos partis politiques ne sont donc plus porteurs de projets, de vision pour le pays. Ils sont ainsi dépourvus de ce qui, en mon sens, doit constituer leur fondement : un idéal partagé, des valeurs communes. Et cette communauté d’idéal, de valeurs ne peut se construire que dans le temps, aux travers de débats, de discussions, de luttes communes qui concourent à la construction d’une « mémoire collective » pour l’Organisation. On pourrait ainsi penser qu’au fur et à mesure de l’avancement du processus démocratique, on aurait des partis politiques forts, construits sur des idées avec des principes et des orientations clairs. Ce n’est pas le cas. Bien au contraire ! Ainsi, une personnalité aussi respectable que Colette Houéto n’a –t-elle pas eu de scrupules pour justifier son adhésion au PRD : « …j’ai adhéré au PRD parce que je suis Portonovienne, et suis née dans le vieux Porto-novo (…) » (Le Matinal, avril 2008). Et la situation s’aggrave davantage lorsqu’on évolue vers des regroupements de partis ou de mouvements politiques.

Des associations d’intérêts et non la proximité idéologique
Ainsi, en va-t-il du G4, par exemple, qui malgré ses intentions manifestées de lutter contre les « dérives » du pouvoir en place cache, en réalité, des sautes d’humeur pour des attentes déçues. On n’a pas besoin d’être expert en politique pour comprendre qu’un regroupement de partis comme la RB, le PSD, le MADEP et le PRD ne peut se reposer sur aucune valeur commune, si ce n’est la volonté de combattre un adversaire commun, mais pour des raisons différentes. Ainsi le réveil tardif de la RB, du PSD et du MADEP se justifie t-il surtout par le non respect supposé de l’accord signé avec le candidat Boni YAYI au second tour de l’élection présidentielle contre le Président du PRD.
Ainsi en va-t-il aussi du G13 qui a été explicite dans son mémorandum du 8 janvier 2008 : « (…) Au lendemain de l’élection législative de mars 2007, les députés des partis politiques ci-dessus cités…avaient signé un accord de législature comme expression de leur adhésion à l’action du Président Boni YAYI…Aucune des formations politiques auxquelles appartiennent les 13 députés n’a été consultée pour la formation du Gouvernement post-législatives, de même que pour les deux remaniements techniques qui ont suivi au cours de la même année 2007 (…). »
Il y a lieu de souligner qu’en signant l’accord de gouvernement, les députés du G13 ont adhéré pleinement à l’action du chef de l’Etat. Or, les « dérives » auxquelles ce regroupement de partis fait allusion, par ailleurs, dans son mémorandum remontent plus loin et expliquent en partie l’échec du FCBE aux législatives de 2007. Par exemple, lorsque le chef de l’Etat, dans un discours inquiétant à Porto-Novo a fait l’apologie de la dictature dans les pays asiatiques qui favoriserait mieux leur développement, personne n’a levé le petit doigt pour attirer l’attention des citoyens sur la gravité de telles déclarations. Il ressort de ce qui précède que quand bien même les problèmes soulevés dans le mémorandum du G13 sont des problèmes réels, il est évident que les vraies motivations sont ailleurs. Bien sûr que leur déclaration commune avec le G4, le PRD et Force clé en date du 26 juin 2008 rejette tout  « appel au partage du gâteau » ; ce qui ne peut qu’être encourageant pour notre démocratie. Mais curieusement, ces partis politiques continuent de prétendre soutenir l’action du chef de l’Etat. Il est opportun de rappeler à la classe politique béninoise qu’il n’y pas de démocratie véritable sans opposition. En ce sens, toute critique de l’action gouvernementale ne peut qu’être salutaire. Bien sûr, le peuple béninois est désormais habitué à cette manie du camp présidentiel qui, à la moindre critique, comme dans un réflexe de Pavlov fait recours systématiquement à la théorie du complot, avec à la clé des diatribes.
Ainsi en va-t-il, enfin, du FCBE dont la situation est encore plus préoccupante. Si au niveau du G4 et du G13, on connaît à peu près ceux à qui on a affaire, ce n’est pas le cas avec ce regroupement qui prétend soutenir l’action du Chef de l’Etat. Il paraît que tout le monde est « neuf » au FCBE. En réalité, on a affaire, pour la plupart à des gens qui ont mangé à l’ombre de tous les régimes et de tous les partis politiques qui ont dirigé ce pays depuis le PRPB jusqu’au pouvoir actuel. On y trouve ainsi les transfuges de tout ce que le Bénin compte de partis politiques. Qu’on me dise ce que ces gens ont de commun au plan idéologique ! Leur dénominateur commun, c’est le Chef de l’Etat ; mais c’est aussi et surtout les avantages qu’ils tirent ou qu’ils espèrent tirer de la position de ce dernier, quitte à le lâcher si d’aventure il perdait les élections en 2011. Les Présidents Kérékou et Soglo en savent quelque chose. Et les propos d’Edgar Alia, de Benoît Dègla et d’Edmond Agoua lors d’une manifestation politique de soutien au  Chef de l’Etat en décembre 2007 à Glazoué  dans l’arrondissement d’Assanté est anecdotique : « Dans cette famille acquise à la cause du Président Boni YAYI, on ne fait que la promotion des nagos et des autres mais pas des mahis. La conséquence en est que ces députés privilégiés qui sont favorisés au détriment des autres, roulent dans des voitures rutilantes à plaque bleue, pendant que les élus mahis sont oubliés et humiliés » (le Matin du 4/12/2007). Voilà là où en est la pensée politique, l’idéal politique au FCBE. Car, le député FCBE Alia et ses comparses n’ont fait que mettre des mots sur les motivations politiques qui sont à l’œuvre dans ce regroupement hétéroclite, et qui sont les mêmes d’ailleurs dans l’opposition. C’est triste. J’ai voté pour Boni YAYI parce que je pensais « lutter contre l’ethnicisassion à outrance de la vie politique ». Et voilà qu’on me sort des histoires de Nago, de Mahi etc. Soixante quinze pour cent des Béninois ont porté leur suffrage sur le candidat Boni YAYI parce qu’il les a fait rêver ; et le voilà pris en otage par des opportunistes de tout poil avec à la clé des luttes de tranché pour des voitures à plaque bleue. Voilà là où nous en sommes dans notre cher pays !

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Un nécessaire positionnement « utopique » de nos partis politiques
Et pour s’en sortir, il faudra une clarification utopique de nos organisations politiques. Utopie pas au sens négatif de « chimère », d’ « illusion » etc. que lui donne le Dictionnaire Robert ; mais utopie dans le sens d’un projet de société dans laquelle les multiples problèmes auxquels sont confrontés notre pays seraient réglés. J’entends par « utopie », à la suite du sociologue Karl Mannheim, « toute orientation qui transcende la réalité et brime les normes de l’ordre existant (…) ». Plus concrètement, il s’agira de critiquer l’ordre existant avec une volonté de le réformer en profondeur, et par conséquent, réfléchir dans une perspective d’élargissement du champ du possible.
 Et en tant que telle, l’utopie devient un idéal, un repère vers lequel les acteurs politiques vont tendre. Toutes les grandes transformations que l’Humanité a connues ont partie liée avec l’utopie. Je suis de ceux qui pensent que l’utopie est le carburant par excellence pour le progrès social. Il ne s’agit pas de la Société parfaite qu’imaginait Thomas More, mais d’un idéal pour lequel il faut se battre. Ainsi, « Solon, le fondateur du premier Etat de droit est-il le parfait exemple de l’homme qui avait pris un idéal de justice comme guide, sans se faire d’illusions sur les obstacles auxquels il se heurterait en chemin (…) » (L’Encyclopédie de l’Agora).
J’en appelle, par conséquent, à une renaissance utopique des acteurs politiques de notre pays ; qu’ils sortent de leur communauté de naissance ou de leur communauté ethnique pour rentrer dans des communautés d’idéaux ; que l’adhésion à un parti politique se fasse sur la base des idéaux de ce parti. Ainsi, on ne nous parlera plus «  … de cette famille acquise à la cause du Président Boni YAYI » à la manière des militants de FCBE et compagnie ; alors on ne justifiera plus son adhésion au PRD, à la RB, au PSD, à l’ASD etc. par le fait qu’on est de Porto-Novo, d’Abomey, de Djakotomey ou de Grand-Popo ; alors, le regroupement de partis politique se fera sur la base de projets, d’idéaux, bref d’utopie, et non pas juste pour faire tomber le Président de telle ou telle autre Institution de la République.
Alors donc, on n’aura plus affaire à ces assemblages hétéroclites où militants de gauche, de droite, du centre etc. se retrouvent, à l’image de l’ornithorynque. C’est à ce prix, et à ce prix seulement que notre processus démocratique pourra prospérer. Sinon, nous aurons cautionné une parodie de démocratie qui nous conduira tôt ou tard dans l’impasse.
Vous l’aurez compris. L’Ornithorynque est bien chez nous. Mais il ne s’agit pas du charmant animal, dont parlent avec délectation certains explorateurs, animal « assez prodigieux et providentiel pour mettre à l’épreuve une théorie de la connaissance » selon Umberto ECO ; mais de l’horrible animal fait de morceaux pris sur d’autres animaux décrit avec dégoût par Borges et qui s’apparenterait plus à un monstre. Vous l’aurez compris. Les partis politiques chez nous présentent toutes les caractéristiques de l’ornithorynque horrible et j’ai pensé que sa mise en scène pourrait être pour moi un excellent moyen de rappeler aux uns et aux autres les travers de notre processus démocratique.

Qui est le Dr Maxime Jean-Claude Hounyovi ?

Maxime Jean-Claude HOUNYOVI est titulaire d'un doctorat en Sciences de Gestion soutenu à l'Université Paris I – Panthéon – Sorbonne. Précédemment enseignant-chercheur à la Sorbonne, co-auteur du Dictionnaire des Réformes économiques et sociales dans les Pays les Moins Avancés (éd. ORES-PMA, Paris 2005), l'auteur enseigne actuellement dans une Ecole de commerce à Paris. Il a effectué de nombreuses Missions d'observation des élections pour le compte de l'Organisation Internationale de la Francophonie, notamment au Mali (2002), à Madagascar (2002, 2006), au Cambodge (2003), en Macédoine (2004), au Cameroun (2004), à Djibouti (2005) et en Albanie (2005). Il a dirigé tout récemment une mission d'Etudes en Roumanie pour le compte de l'Université Paris-Dauphine et de la Société Générale.

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