Fête des armées ou fête nationale ?
Le point d’orgue des festivités commémoratives de la fête de l’indépendance au Bénin, à l’instar de plusieurs autres pays, est sans doute la parade militaire. A Parakou et comme par le passé, les forces de défense et de l’ordre ont pris une place prépondérante dans les festivités.
{joso}La réussite de l’organisation des anniversaires de l’indépendance de notre pays repose sur celle du défilé militaire que le protocole d’Etat et autres comités d’organisation se tuent à exprimer dans un timing millimétré pour le plaisir des corps constitués et autorités et de l’Etat.
L’ostentation militaire dans les festivités du 1er août est si récurrente que le symbole de notre indépendance en vient à s’apparenter à l’exhibition de ces hommes en tenue, à leur aptitude à exécuter différentes marches au rythme de la fanfare.
L’intérêt du spectateur par rapport au défilé militaire se fonde sur le caractère annuel de l’événement et tout le cinéma de déplacement motorisé qui l’entoure.
Du coup, le 1er août, par la pratique que nous en faisons depuis que l’histoire l’a érigé, par la force des choses, en fête nationale de l’indépendance, tend à être, s’il ne l’est déjà, beaucoup plus une fête autour des parades militaires avec, dans les milieux urbains, son corollaire de cortège de tenues d’apparat des personnalités. Pour les travailleurs dans leur ensemble et le peuple dans sa majorité, ce n’est pas plus qu’un jour de repos et, au mieux des cas, de show télévisé.
Pourtant, s’il s’agit, comme l’histoire politique du Bénin l’a admis, de la fête nationale, donc la fête de toute la nation, il faut s’interroger par rapport à la nette prédominance de la cérémonie des hommes en tenue sur toutes les activités commémoratives. La question mérite, à mes yeux, qu’on s’y attarde quand on sait que le rôle joué par ce corps de la nation lors de notre accession à la souveraineté nationale n’a pas été magnifié par l’histoire. Aucun soulèvement ou velléité de ce qui lui ressemble n’est retenu à l’actif des casernes dont les éléments avaient bien assimilé leur rôle de soldats à la solde de la hiérarchie métropolitaine.
C’est plutôt l’action combinée de l’élite politique et estudiantine que la mémoire collective retient comme protagoniste de la lutte qui a conduit le colonisateur à programmer, en fonction du propre agenda de celui-ci, la date de la proclamation de l’indépendance nationale.
Un coup d’œil à l’horizon permet de comprendre, s’il en est besoin, que la métropole, en ce qui la concerne, s’offre, entre autres, une parade militaire chaque 14 juillet, date qui rappelle la première insurrection des Parisiens pendant la Révolution, qui entraîna la prise de la Bastille en 1789. La date du 14 juillet qui est devenue pour le peuple français le symbole de la victoire sur l’arbitraire royale, n’a été instituée pour commémorer la fête nationale qu’en 1880, soit près d’un siècle plus tard.
Il ne s’agit pas ici de regretter le caractère pacifique ou nominal de la lutte pour l’indépendance de notre pays ou de déplorer les liens très étroits qui, après la proclamation de l’indépendance, nous ont cependant tenus sous le joug du maître. Non. Il s’agit simplement de s’interroger sur la pertinence du programme traditionnel des manifestations commémoratives nationales.
Il s’agit de se demander si, pour célébrer notre indépendance vis-à-vis du colonisateur, nous sommes obligés de nous référer justement à la manière dont ce dernier célèbre son accession à la Liberté ?
Au temps des régimes forts des années 70-80, il était loisible aux Chefs d’Etats africains d’exalter la puissance des forces qui exprimaient leur invulnérabilité comme pour prévenir toutes velléités de remise en cause de leur règne.
Mais aujourd’hui où le vent démocratique arrime l’Afrique sur la voie du développement, et le Bénin sur celle de l’émergence, aujourd’hui où l’intégration économique sous-tend la conduite de la politique régionale et internationale, pourquoi, à chaque célébration de notre accession à la souveraineté nationale, l’occasion doit être propice pour prévaloir le bruit des rangers sur toutes les autres valeurs propres ?
Tout doit-il continuer à se passer comme si l’armée était le seul instrument d’expression de notre souveraineté ? Et même au sein des hommes en tenue, laisser libre court à l’armée de terre qui se veut hégémonique et exclue de la partie les marches qui ne lui paraissent pas suffisamment militaires (sort connu par la menthe religieuse créée il y a seulement peu par la police nationale) ?
Depuis la Conférence nationale des forces vives de Février 1990, l’armée s’est donnée une nouvelle vocation, celle d’être au service du développement. Ce concept est-il suffisamment pris en compte par le tableau programmatique des manifestations officielles ?
Certes, le Gouvernement béninois a innové en délocalisant les manifestations officielles au niveau des départements. Ceci permet à chaque chef-lieu de vivre son tour de toilettes circonstanciées et renforce chez ses habitants le sentiment de compter pour la nation. Le corps militaire et paramilitaire aussi innove par la variation des marches et offre un répertoire musical plus actualisé. Mais le mérite, me semble-t-il, sera encore plus grand si une réflexion est initiée sur les festivités commémoratives de l’indépendance de notre pays.
Pourquoi ne concevons-nous pas un programme national officiel véritablement en phase avec notre environnement et notre époque ?
Au lieu de nous réjouir seulement à démontrer notre capacité à nous défendre – contre qui d’ailleurs ? – ne pouvons-nous pas faire de cet événement annuel une occasion solennelle de promotion de nos valeurs propres ?
Si l’équivalent ou partie du fonds alloué au transport et à la logistique des forces militaires et paramilitaires béninoises et celles des pays étrangers invités était voué à la prise en charge d’autres composantes de la nation dans le même cadre des festivités, n’aurions-nous pas eu droit à une fête plus colorée et digne d’intérêt pour toute la nation ?
Au cours des manifestations officielles du 1er août, nous avons déjà assisté par le passé au renvoi des groupes civils engagés dans le défilé sous le prétexte fourbe qu’ils manquent d’organisation ou que le timing officiel ne les prenait pas en compte. On les a taxés de « bordel » . A Parakou aussi, moins de la dixième partie du temps imparti aux militaires a été accordé aux civils. Tout se passe comme si le bordel est définitivement l’apanage du civil. On dénonce le manque d’organisation des troupes civiles mais sans s’intéresser aux conditions de préparation qui sont les leurs et les moyens mis à leur disposition. Comparaison n’est pas raison, mais on a vu à côté de nous dans un passé récent que les organisations juvéniles civiles bien encadrées et bien habillées peuvent présenter un mouvement d’harmonie qui ravisse la vedette aux hommes en uniforme militaire.
Au lieu de donner toute la place et tout le temps aux forces militaires et para militaires, ne conviendra-t-il pas d’élaborer un tableau qui tienne compte des autres composantes de la nation, les valeurs scientifiques, intellectuelles, artistiques, artisanales, cultuelles, etc. ? Pourquoi ne pas faire du 1er août une vraie occasion de fierté pour toutes les béninoises et tous béninois ? {/joso}
Wilfrido Ayibatin