A propos du débat télévisé sur la correction du baccalauréat

Les limites de l’arbitrage de la rue
L’organisation du baccalauréat, cette année, a gratifié le public d’un intermède inédit dont la télévision a été le principal vecteur.

Un ministre qui, au sortir d’une rencontre avec les acteurs de l’examen du Bac, clame haut et fort, et d’un ton qui se veut catégorique, son opposition énergique à toute négociation visant à la réévaluation de la prime de correction.
-Des représentants d’enseignants intrépides qui dénoncent les incohérences que renferme la démarche de l’autorité de tutelle.
-Des recteurs qui, la bile ouverte, invectivent et menacent en direct des enseignants frondeurs.
Chaque camp se fige dans sa logique, bombe le torse et affûte sa stratégie, celle qui devra lui permettre d’avancer aux dépens de l’autre. Le public est captivé par ce mélodrame grâce au petit écran.
Ce feuilleton télévisé et radiodiffusé improvisé pour épicer gracieusement les vacances scolaires connaît très vite son dénouement. Un dénouement sur fond de négociations, de promesse d’excuses publiques, de majoration de la prime en cause au franc symbolique près… Puis le jingle de fin. Et les caméras sont rangées. Et les enseignants rejoignent les salles de correction… et retrouvent leur intimité professionnelle.
Entre -temps il sera annexé aux annales de l’organisation du baccalauréat 2008 un tableau illustratif que chacun appréciera, l’histoire aussi.

Que visait l’esclandre télévisé ?
Il ne me tente guère de formuler un jugement sur cet esclandre médiatisé. Je pense au contraire qu’il est des spectacles à l’issue desquels les impressions des propres acteurs sont plus valables que celles de l’observateur. Une fois le show terminé, la singularité du divertissement indique que l’on s’intéresse plutôt aux sentiments des agents de l’Etat et de l’administration éducative qui l’ont conçu et exécuté.
En décidant de s’affronter par le truchement des médias, la ministre, les recteurs et le directeur de l’office du bac, d’un côté, et les représentants des enseignants, de l’autre, s’étaient-ils au préalable interrogé sur les contrecoups d’une telle aventure communicationnelle surtout par rapport à la dignité de la fonction enseignante ? Pourquoi jeter en pâture à la rue un sujet dont ils sont les seules parties prenantes et autour duquel ils ont tout intérêt à débattre intra muros ? Avaient-ils ignoré qu’à cause des médias, ils invitaient dans le débat les élèves et les familles de ces enseignants, les parents des candidats, le personnel des institutions représentées au Bénin, l’homme de la rue, etc. ? Autant d’individus dont l’implication dans ce genre de discussion n’était pas appropriée ? En vertu de quelle stratégie de management a-t-on recours à un tiers arbitrage alors que le linge sale n’avait même pas été plongé dans la bassine d’eau de la famille ? Quels objectifs poursuivait-on ? L’éclairage des protagonistes eux-mêmes me semble fondamental pour mieux décrypter cette empoignade.
Tous les acteurs en scène sont au demeurant formés et payés pour savoir que l’étape des corrections dans le processus de l’organisation d’un examen est pour le candidat ce que représente pour le pèlerin les dernières graines du chapelet avant le miracle présagé. L’impatience de la délivrance met les nerfs au bord de la rupture. C’est aussi pour les parents d’élèves un moment d’anxiété intense. Au sein des administrations des établissements d’enseignement qui ont présenté des candidats, c’est la veillée d’armes… Qu’au lieu de respecter cet état d’âme, on décide de distraire l’opinion, il faut se mettre dans la peau des acteurs pour apprécier.

Une mission commune pour deux partenaires indissociables
Par sa définition, le baccalauréat est le diplôme qui sanctionne les études secondaires et ouvre la porte à l’enseignement supérieur. C’est le premier diplôme universitaire. En ce sens, son organisation mobilise différents acteurs dont les principaux peuvent être répartis en deux groupes. D’une part, il y a l’administration centrale qui se décline depuis le ministère en charge de l’enseignement supérieur jusqu’à la direction de l’office du baccalauréat et du brevet des techniciens supérieurs en passant par les rectorats des Universités d’Abomey-Calavi et de Parakou. D’autre part, il y a les enseignants avec leurs différentes structures d’animation et de suivi pédagogique.
L’administration centrale a pour mission principale d’élaborer les textes réglementaires, de décider de l’organisation et du calendrier des épreuves, de convoquer les candidats et d’assurer en dernier ressort la fonction de contrôle a posteriori.
Les enseignants quant à eux sont notamment chargés de l’instruction et de l’éducation des apprenants qui leur sont confiés. Ils contribuent, dans une perspective interdisciplinaire, à assurer leur formation générale. A ce titre, ce sont les enseignants qui exécutent les programmes d’études, proposent les épreuves, corrigent les copies, interrogent les élèves, etc. De par les activités liées à leur fonction, ils sont en contact quotidien avec les candidats.
Le bac est un instrument d’évaluation des connaissances des candidats. Son organisation ne peut être effective sans l’apport combiné de l’administration et des enseignants. Aucune des parties à elle seule ne peut se prévaloir de conduire le processus à terme sans s’appuyer sur l’autre. Les deux parties sont en conséquence condamnées à travailler en intelligence et à se protéger réciproquement.
L’on peut comprendre qu’entre la langue et les dents, il y ait de temps en temps des accrochages, mais ce n’est pas pour autant que l’arbitrage de la rue doit être requis. La noblesse du métier de l’enseignant exige de l’autorité administrative une attention pudique en vue de le préserver de la dégénérescence implacable qui l’enveloppe. Si l’on éprouve le besoin d’exposer au public les étapes et les implications financières du processus d’organisation du baccalauréat, que l’on saisisse l’occasion de cette année 2008 qui coïncide avec le deuxième centenaire de sa création pour organiser par exemple les journées portes ouvertes du Bac. Ce sera plus décent que ces morceaux choisis relatifs aux primes pour alimenter des joutes publiques.

Wilfrido Ayibatin
Journaliste indépendant.

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