Interview du porte-parole du Fonac

Jean-Baptiste Elias, porte-parole du Fonac Photo / Archives « La lutte contre la corruption a pris un coup »
Un  constat  se fait  actuellement ; c’est le peu d’engagement que le chef de l’Etat met depuis quelque temps à mener  une véritable politique de lutte contre la corruption. Pour permettre à nos lecteurs de cerner davantage les enjeux actuels de la lutte contre la corruption, nous avons interrogé Jean-Baptiste Elias, le porte-parole du Front des organisations nationales de lutte contre la corruption(Fonac). Il est revenu, entre autres, sur certains sujets qui avaient défrayé la chronique, tels que les cas de la Sbee et  la Soneb.

-La Nouvelle Tribune :
Quel bilan faites-vous de la lutte contre la corruption sous le régime du changement ?
*Jean-Baptiste Elias :
 Le régime du président Boni Yayi vient de faire deux ans. En matière de lutte contre la corruption, des efforts ont été faits. Mais on peut faire mieux…
-Fondamentalement, qu’est ce qui ne marche pas ?
*Des textes ont été élaborés, des instituions ont été mises en place et des critères ont été définis. Seulement dans l’application, il y a eu problème. A titre d’illustration, nous avons le décret 2006-68 du 14 juin 2006, fixant les structures types des ministères, les critères de nomination des directeurs de cabinet, des directeurs adjoints de cabinet, …  Ces derniers doivent être des cadres A1 ou équivalent et avoir 15 ans d’ancienneté.  Ce qui suppose qu’ils ont déjà fait la moitié du parcours de leur carrière et qu’ils ont une certaine somme d’expériences à faire valoir. Le même décret dit également que les directeurs centraux doivent être des cadres A1, et avoir au moins dix années d’ancienneté. Au cours de notre conférence de presse du 09 juillet 2008, nous avons eu à préciser que beaucoup de directeurs de cabinet, de directeurs adjoints de cabinet, de secrétaires généraux de ministères et de directeurs centraux ne remplissent pas les critères contenus dans ce décret. Or, pour un véritable développement, il faut mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Un second exemple, c’est le cas des inspecteurs généraux des ministères. Selon le code d’inspection générale, l’inspecteur général d’un ministère, est un contrôleur qui doit  être en fonction pour trois ans, renouvelable une fois. Cependant, des inspecteurs généraux de certains ministères ne font même deux ans avant que leur ministre ne les remplace.  La bonne gouvernance et la lutte contre la corruption ont ainsi pris un coup. Il importe que le Chef de l’Etat reprenne les choses en main, qu’il respecte la loi et la fasse respecter.
-Nous voyons plusieurs organisations de la société civile, dont le Fonac, s’investir dans la lutte contre la corruption.  Est-ce qu’ils leur arrivent de prodiguer des conseils au chef de l’Etat ?
* Chacun à son rôle à jouer. Les organisations de la société civile comme le Fonac essayent autant que faire se peut d’informer le peuple des cas de corruption et de malversation dont ils ont connaissance. L’Etat de son côté doit jouer la partition qui lui revient.  Nous, nous sommes là pour porter un coup de main à l’Etat, ce que nous essayons de faire avec les moyens dont nous disposons. En fait nous devons nous compléter, car une seule structure ne peut réussir cette lutte.

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-Monsieur le porte-parole du Fonac, est-ce qu’il  vous est déjà arrivé d’être interpellé par le chef de l’Etat sur des déclarations que vous avez faites lors d’une conférence de presse.
  * le 20 juin 2007, le Fonac a, au cours d’une conférence de presse, dénoncé des malversations et la mauvaise gestion à la Sbee, au stade de l’amitié, à la Soneb. Le 21 juin 2007, le chef de l’Etat a invité tout le staff du Fonac  qui lui a expliqué pendant deux heures d’horloge et dans tous les détails, la situation au sein de ces différentes structures. C’était en présence de plusieurs ministres du gouvernement.   Le 09 juillet 2008, le Fonac a fait une sortie médiatique sur plusieurs dossiers, notamment sur la situation de l’ex- directeur général de la Soneb. Le 21 juillet 2008, le président de la République a dépêché  le secrétaire général du gouvernement qui a reçu tout le conseil d’administration du Fonac pendant trois heures d’horloge. Il n’y a pas encore de feedback sur cette dernière entrevue, mais on peut dire que le chef de l’Etat est parfaitement informé et dans les détails des dossiers que nous dénonçons. Et je ne vous apprends rien, depuis dix ans, le Fonac fait ce travail bénévolement et nous n’affirmons jamais rien sans preuve.   

– Justement monsieur Jean-Baptiste Elias, on se souvient que vous avez largement évoqué le cas de la Sbee.  Mais aujourd’hui le constat est que les anciens directeurs généraux de cette société, dont vous aviez dénoncé la gestion n’ont pas été interpellés, mieux ils sont  à l’abri avec une immunité à l’Assemblée nationale.
* Vous savez, le Fonac est une organisation légaliste. La constitution, le règlement intérieur de l’Assemblée nationale et bien d’autres textes ont prévu des dispositions qui indiquent les démarches à suivre en pareille circonstance. Nous savons que les populations sont pressées de voir la suite. Le Fonac en ce qui le concerne suit parfaitement le dossier. Je peux dire que le gouvernement en ce qui le concerne fait de même. Car je sais que le ministre de la justice,  de la législation et des droits de l’homme a transmis le dossier au Procureur général qui à son tour l’a affecté au procureur de la République ; nous en avons la preuve. Ce dernier a déjà ouvert une information judiciaire ; les officiers de la police judiciaire se chargent de mener les enquêtes et de procéder aux interrogations nécessaires. A un moment donné, ils ont réclamé des moyens supplémentaires. Donc, comme vous le voyez, nous suivons le dossier de très près. Mais la justice béninoise est très lente, comme partout ailleurs elle a son rythme et nous n’y pouvons rien.

-Concernant le cas de la Soneb, vous vous êtes intéressé à la situation pour le moins particulière de l’ex-Dg Allassane Baba Mousssa, ce qui a suscité la réaction du ministre en charge des Mines.  Là-dessus, la Nouvelle Tribune a souhaité qu’il y ait un débat contradictoire entre vous et lui, mais qui tarde à venir.  Vous avez sans doute des éléments nouveaux qui peuvent éclairer davantage la lanterne des populations
*   Au nom du Fonac, je dis merci à la Nouvelle Tribune. Vous avez souhaité  un débat contradictoire. Nous avons constaté qu’il n’y a pas eu de réponse de la part du ministre. Au Fonac, nous avons constaté que le conseil des ministres du 29 février 2008 n’a pas donné les détails sur les raisons du limogeage du Dg de la Soneb. Contrairement au cas de la Sbee, de l’hôtel Croix du Sud, du Padme  où il a été suffisamment explicite. Mais curieusement, en ce qui concerne la soneb, rien. Le quotidien La Nation du 04 mars 2008, en a fait cas.

-Quelles sont les raisons du limogeage de l’ex-Dg de la Soneb ?
*Il y a eu malversation, mauvaise gestion, et surfacturation, pour ne citer que celles-là. Il y a bien évidement d’autres détails. Nous pourrions éventuellement en débattre avec le ministre Sacca Lafia, si un jour il consentait à en discuter avec nous. Faute donc de ces détails, le Dg sortant Allassane Baba Moussa a fait un grand discours lors de sa passation de service faisant croire que la mafia voulait lui faire la peau. Je vous rappelle que bien que limogé, ce dernier a continué à garder son véhicule de fonction jusqu’au 22 août dernier. Ensuite, il écrit pour réclamer quatre mois de congés payés et trois mois de sevrage. Et le ministre d’ordonner de le payer. Mais le Fonac dit que monsieur Baba Moussa n’a pas droit à cela et pour cause. D’abord du fait de son statut. C’est un cadre de la Soneb qui a travaillé  jusqu’au 31 décembre 2003. Dès lors, son statut change en tant qu’agent. Curieusement, le lendemain on le nomme directeur général de la Soneb. Le 14 janvier 2005, la Soneb, à travers le président du conseil d’administration,  signe un contrat de travail avec  Baba Moussa ; un contrat a durée déterminée d’une durée de cinq ans. Or, aucun contrat à durée déterminé ne peut excéder deux ans. Ledit contrat n’avait pas non plus le visa du ministre du travail, conformément à ce qu’exige l’article 13 du code du travail. Monsieur Baba Moussa et le président du conseil d’administration signeront un autre contrat qui fait de l’ex-Dg un prestataire de service. Ce qui ne fait pas de lui un agent de la Soneb.  Le contrat de prestation étant régi par le code de passation des marchés publics, il devrait payer des taxes à l’Etat. Mieux, il n’avait pas un bulletin de paie mais il présentait des factures d’honoraires pour se faire payer. Au regard de ce qui précède, on a un monsieur qui n’est ni régi pas la convention générale, ni régi par le code du travail, donc il ne peut prétendre à un congé, encore moins au sevrage. C’est cela peut-être que le ministre ne maîtrise pas. Le Fonac au cours de sa sortie, n’a pas voulu révéler les émoluments de l’ex-Dg, mais comme le ministre en a pas parlé, j’y reviens : monsieur Baba Moussa gagnait 2.221.150  cfa par mois. Si on lui paye les sept mois, soit trois mois de sevrage et quatre mois de congé, ça donne 15.478.050 cfa, et non 6 millions et quelque comme l’a dit le ministre.

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-Alors pourquoi le Dg a voulu d’un contrat de prestation de service ?
*La loi interdit d’être à la fois pensionné et salarié. Pour la contourner  on a dû lui signer un contrat de prestation de service. Le Dg gagne comme pension, 439200f par mois. Il est resté Dg pendant 50 mois. S’il était salarié et jouissait de ses congés, ça lui fait 15.478.050f et la pension 21.960.OOO. Normalement, le Cnss devrait lui couper la pension. Comme le ministre n’est pas là, on garde quelques éléments complémentaires.

-Comment interprétez-vous le silence du gouvernement sur une pareille anomalie ?
* Beaucoup se posent des questions sur le silence du gouvernement et sur les vraies raisons de son limogeage. Est-ce parce qu’il serait proche du président de la République comme certains le prétendent ? Si ce n’est le cas, ses comportements y prêtent le flanc. Je vous ai dit qu’il a gardé son véhicule de Dg jusqu’au 22 août dernier.

– Outre le Fonac, vous êtes également membre  du conseil économique et social (Ces). Nous avons reçu des informations selon lesquelles la cellule de passation des marchés publics de l’institution n’existe que de nom. D’aucuns ne comprennent pas que, artisan de la lutte contre la corruption que vous êtes, vous puissiez cautionner une telle anomalie.
*J’espère que le président du Ces ne m’en voudra pas, puisque je ne donne pas cette interview en tant que membre du conseil économique et social.  C’est vrai que toute institution doit avoir une cellule de passation des marchés publics. Le ministre des Finances  avait écrit au Ces pour lui demander de se doter d’une cellule. Ce qui a été fait. Les membres ont été nommés ainsi que le président. Au terme du décret portant création des cellules de passation des marchés publics des ministères et des institutions, les membres de cette structure ne doivent pas avoir d’autres occupations au sein de leur institution. Ils ne doivent faire que ça. Mais il  se trouve le budget Besa alloué au Ces chaque années est de 39.000.000fcfa. Les indemnités des membres de la cellule de Ces s’élèvent à 5.600.000fcfa.   Or vous savez qu’en matière de passation publique, des seuils ont été définis, et varient entre 10 à 20 et 30millions, selon le cas. Si le seuil est par exemple fixé à 10 millions, le Ces ne peut que passer deux ou trois marchés par an  avec un tel budget.  Après analyse, les membres de l’institution étaient convenus de ce qu’il est impossible de mobiliser des cadres à ne faire que deux dossiers durant toute une année. Donc voilà où nous en sommes.

-Monsieur Elias, on reproche au Fonac de sélectionner  ses dossiers et de ne  parler que des affaires qui concernent les menus fretins.
*Le Fonac n’agit que quand il a les preuves. Il ne sélectionne jamais au gré du vent. Chaque fois que nous sortons, des gens disent que nous faisons de fausses déclarations. Mais ils n’arrivent jamais à apporter les preuves qui contredisent ce que nous avons dit. Imaginez que le Fonac fasse des déclarations qu’il n’est pas en mesure de prouver. Immanquablement sa crédibilité en prendrait un coup ! J’en profite pour inviter tous ceux qui ont des informations  sur n’importe quel dossier à s’adresser à nous ; nous ferons les investigations nécessaires malgré nos moyens limités.

Réalisé par Benoît  Mètonou

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