Réflexion: La malédiction de Cham sur nous?

Docteur Maxime Jean-Claude HOUNYOVI. Photo / DrD’après un épisode biblique, Canaan a été maudit à la place de son père Cham. Cham a contemplé la nudité de son père Noé ; mais c’est l’un des fils de Cham, Canaan, qui a été maudit. La tradition judaïque parle alors de la « malédiction de Canaan ». Mais la tradition judéo-chrétienne préfère parler de la « malédiction de Cham » ; la tradition judéo-chrétienne considère Cham comme l’ancêtre des peuples noirs. La thèse d’une prétendue malédiction des peuples noirs est alors soutenue par certains pour justifier la souffrance de ces peuples sur terre. L’éternel recommencement qui caractérise l’histoire politique du Bénin, faite d’avancées et de reculs, plus de reculs que d’avancées, d’espoirs et de désenchantements me fait souvent me poser la question de savoir si nous n’étions pas poursuivis par cette malédiction.

C’était déjà le cas en 1972 avec « la révolution ». Les jeunes officiers de l’armée nationale qui ont pris le pouvoir y croyaient ; et ils ont réussi à réveiller la fibre patriotique du peuple ; et le peuple a suivi. Mais, « la révolution » a dérapé et le rêve s’est transformé en cauchemar. Ce fut ensuite le cas avec la Conférence nationale et l’ère du « Renouveau démocratique » dont il a accouché. Le peuple béninois y a crû ; il croyait avoir tourné définitivement la page des « révolutionnaires » du PRPB. Mais fatalement, de maladresses en maladresses, le Président élu Nicéphore Soglo a favorisé le retour au pouvoir du Président Kérékou et des ténors du PRPB. Et lorsqu’en 2006, est sorti de « l’ombre », un certain Boni YAYI, le peuple Béninois, une fois encore, y a crû ; alors, le peuple est allé voter, en chantant et en dansant, pour celui qu’il considérait comme l’homme du changement. La ferveur était telle qu’on ne pouvait pas ne pas y croire. Le nouveau Président de la République avait donc toutes les cartes en main pour réussir sa mission ; parce qu’il avait le peuple derrière lui. Mais on constate aujourd’hui que, progressivement, le désenchantement reprend le dessus.

Le désenchantement en marche

A preuve, « YAYI Boni on, zogbin on, enon tchi, bonon ta, bonon tchi, bonon ta », comprenez, « vraiment YAYI Boni, la lumière s’allume, s’éteint, s’allume et s’éteint » ; voilà le verbatim d’une étude qualitative réalisée par mes soins quelques mois après l’avènement de Boni YAYI au pouvoir ; c’était la réponse d’une vielle dame, soutien de « première heure » comme le revendiquent certains « changementeurs » bien de chez nous. Cette dame, je le confirme, était une Yayiboniste convaincue, pas pour les dorures de la République, mais par conviction. Je confirme aussi que toute sa descendance était Yayiboniste convaincue. Mais quelques mois seulement après l’avènement de leur champion au pouvoir, ce beau monde n’y croyait plus. Le désenchantement était donc en marche ; à preuve encore : « Yédolé YAYI Boni wa oh, yanayi, adimgban non lè, noubi wè vèhahi, YAYI Boni wa bo xhovè wa », entendez « ils ont dit que avec l’arrivée de YAYI Boni au pouvoir, la pauvreté va partir ; des menteurs, tout coûte cher ; YAYI Boni est venu au pouvoir et la pauvreté avec .» ; voilà encore le Verbatim de la réponse d’un zémidjan lors d’une étude qualitative que j’ai réalisée au Bénin en mai-juin dernier ; et ce zémidjan a juré sur la tête de son feu père qu’il était un « partisan chaud » du candidat Boni YAYI. Mais aujourd’hui, il a décroché. Le désenchantement est là. J’atteste, au passage que ces anecdotes sont bien représentatifs des réponses recueillies lors des deux études suscitées. L’évidence est donc là : le peuple n’y croit plus.

La posture de l’homme providentiel

Or, nous devons à la vérité de reconnaître que les problèmes soulevés par les participants à ces études qualitatives, notamment les problèmes de l’électricité et de la cherté de la vie sont des problèmes qui ne sont pas spécifiques au Bénin. La plupart des pays de l’Afrique de l’ouest sont confrontés au problème du délestage ; la problématique de l’augmentation des prix est une problématique mondiale. Alors pourquoi rendre le Chef de l’Etat responsable de cette situation ?
La chute du taux de crédibilité du chef de l’Etat dans l’opinion publique n’est que la conséquence de son positionnement depuis son avènement au pouvoir. En adoptant la posture de l’homme providentiel capable de régler d’un coup de baguette magique tous les problèmes du pays, il a fait preuve d’une imprudence coupable ; en réglant ses décisions sur l’état de l’opinion publique, il a commis des incongruités graves pour notre démocratie. Tout indique que le candidat Boni YAYI ne s’est jamais mué en Président Boni YAYI. Pour plaire à l’opinion publique, le Chef de l’Etat a érigé le spectacle en mode de gouvernement, multipliant les promesses et les effets d’annonces, créant ainsi, les conditions de sa propre chute. Car, comme je l’ai déjà affirmé à d’autres occasions, les effets d’annonce finissent toujours par rattraper leurs auteurs. Le Chef de l’Etat adopte donc une posture d’homme providentiel, disais-je, allant jusqu’à se laisser convaincre, à moins que ça ne soit lui-même, qu’il était un élu de Dieu. Ce qui voudrait dire que c’est le pouvoir spirituel qui dirigerait le pouvoir temporel et que, par conséquent, les décisions seraient prises sous le coup de l’inspiration divine. On comprendrait alors les multiples cafouillages observés au sommet de l’Etat relativement à certaines décisions et qui ont amené certains à parler de « navigation à vue » ou de « gouvernement ventilateur ». Il y a lieu de rappeler au Chef de l’Etat qu’il n’est pas un élu de Dieu, pas plus qu’il n’est celui du diable d’ailleurs. Il est tout simplement l’élu des Hommes, l’élu du peuple béninois.

Du  populisme et de la théorie du complot

Le Chef de l’Etat s’est positionné en homme providentiel, disais-je ; et en même temps, il n’a eu de cesse de solliciter les passions du peuple, de flatter ses « bas instincts ». La preuve par le cas de Monsieur Fagbohoun qui a été arrêté et jeté en prison sans les précautions judiciaires qu’il fallait. L’objet de mon propos, ici n’est pas de dire si Fagbohoun est coupable ou pas ; mais la question est de savoir si toutes les précautions ont été prises pour permettre à la procédure de prospérer. On comprend alors que le pouvoir se soit précipité dans ce dossier, certainement, pour faire plaisir au « peuple » qui voulait la tête de l’homme d’affaires, et en profiter pour renforcer, du moins pensait-il, sa position dans l’Ouémé. Aujourd’hui, Monsieur Fagbohoun est sorti de prison et a rejoint les bancs de l’Assemblée nationale. Et est désormais fréquentable, assidûment courtisé qu’il est, par le camp présidentiel. La preuve par les limogeages intempestifs qui laissent sans voix tout spécialiste de la gestion des Ressources humaines. Une fois encore, qu’on me comprenne. Que le Chef de l’Etat limoge un cadre pour malversations, est normal ; nous l’avons élu, aussi, pour ça. Mais qu’il limoge pour manque de résultats après seulement quelques mois d’exercice me paraît totalement irrationnel. Mais là encore, c’est la même motivation qui est à l’œuvre : le peuple aime les limogeages intempestifs et le Chef de l’Etat limoge, et le peuple applaudit et le Chef de l’Etat limoge encore. La preuve en fin par les marches contre la corruption. A défaut d’avoir des résultats concrets dans la lutte contre ce fléau dont il a fait son cheval de bataille, le Chef de l’Etat est descendu dans la rue ; il s’est mis à marcher, marcher et marcher ; et le peuple aussi s’est mis à marcher. Le Chef de l’Etat marche contre la corruption, le peuple marche contre la corruption, nous marchons tous contre la corruption. Le peuple a tellement marché que dans un département comme le Mono – Couffo, à ce qu’il paraît, la corruption n’existe plus aujourd’hui ; parce qu’on l’a simplement mis dans un cercueil et enterré. Et ce faisant, sans nous en rendre compte, nous sommes allègrement entrés dans un système populiste qui, comme tout populisme, se traduit par des comportements électoralistes, privilégie le court terme au détriment de toute vision prospective.
Il ressort de ce qui précède que le Chef de l’Etat n’a pas compris le sens du message émis par le peuple le 6 avril 2006. A mes yeux, le peuple béninois avait rejeté la classe politique traditionnelle parce qu’il ne voulait plus de la politique politicienne ; le peuple béninois a porté massivement son suffrage sur le jeune banquier, parce qu’il voulait être gouverné autrement, parce qu’il voulait donner désormais la priorité au développement. Mais nous constatons malheureusement que le pouvoir en place est plus dans la perspective de 2011 que dans une véritable logique de développement. Et la situation est d’autant plus déplorable que comme tout système populiste, à la moindre critique ou tensions, le pouvoir sollicite le soutien populaire en insinuant des menaces qui viendraient de l’extérieur ou de groupes intérieurs. C’est dans ce registre que s’inscrit la réaction du Palais de la Marina aux lendemains d’une émission de la chaîne de télévision « 3a Télésud », en juillet 2007, émission consacrée à la première année du pouvoir du Président Boni YAYI. Des Béninois sont alors désignés comme ceux qui veulent empêcher leur pays d’émerger, comme des apatrides qui, à coups de millions, détruisent leur pays à l’étranger. Cette réaction, typique des régimes populistes a un nom en sociologie politique : la théorie du complot. Et comme l’a si bien souligné Umberto Eco, « la théorie du complot consiste, pour les détenteurs du pouvoir à accuser des groupes supposés malveillants de manigancer la grande dépression et  tous les maux que nous endurons ». C’est dans ce registre que s’inscrit aussi la cabale menée contre l’Assemblée nationale qui par son refus de siéger empêcherait le gouvernement de bénéficier des accords de prêts dans le cadre de la lutte contre l’érosion côtière. Or tout le monde sait qu’à l’origine de ce blocage était le camp présidentiel. En empêchant l’installation de certains conseils municipaux, au grand mépris des lois de la République, le Président Boni YAYI a ouvert une boîte de pandore. Car, la loi N° 2004 – 20 du 17 août 2007 portant « Règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour Suprême est sans ambiguïté : « Article 1er : l’introduction d’un pourvoi en cassation ou d’un recours contentieux administratif ne suspend pas l’exécution du jugement ou de la décision attaquée, sauf dans les cas prévus à l’article 40 ». Les exceptions prévues à l’article 40 sont relatives à « l’état des personnes », aux « faux incidents », à l’ « immatriculation foncière » ; l’exception est aussi applicable en  «  matière pénale ». On dit souvent en Fon que ce n’est pas là qu’on est tombé qu’il faut regarder, mais là où l’on a trébuché. Il serait vain de chercher des boucs émissaires, car vouloir justifier ses difficultés en rejetant la responsabilité sur ses opposants, c’est faire preuve de naïveté, de la même naïveté que le légendaire baron de Münchhausen, qui pour sortir de l’étang dans lequel il est tombé n’a rien trouvé de mieux à faire que de se tirer par les cheveux.
En 2006, dans une réflexion publiée dans les colonnes de Nouvelle Tribune, au terme des cent jours du Président Boni YAYI, et au vu des manifestations organisées à cette occasion, je rappelais au Chef de l’Etat que la campagne électorale était terminée et qu’il fallait passer de la démagogie à la pédagogie, expliquer au peuple ce qu’il est possible de faire et ce qui ne l’est pas. J’avais même ajouté qu’on ne pouvait pas rattraper en cinq ans ce qui n’a pas été fait en quatre décennies d’indépendance. Parce que j’étais conscient de la complexité du réel et j’imaginais que la réalité du pouvoir serait encore plus complexe. Mais le camp présidentiel n’a que faire des conseils ; il déteste les critiques. Et la comédie a continué et le peuple a continué d’applaudir ; ce qui a amené T.L.F., l’excellent chroniqueur de « Radio Planète » à en déduire que « les Béninois sont redevenus bêtes ». Mais aujourd’hui, le pouvoir a le dos au mur et est obligé de reconnaître qu’il n’avait plus de munitions. Il aurait fallu le faire plus tôt. Nous assistons donc à un changement d’attitude de la population à l’égard du Chef de l’Etat, comme déjà constaté plus haut ; cette situation était prévisible ; nous sommes dans le cas typique de ce qu’on appelle la « dissonance cognitive » : le peuple a toujours pensé que son leader avait les moyens de le « guérir » de sa souffrance, parce qu’il le lui avait promis ; et voilà que son mal continue de s’empirer ; et que des messages, d’abord subliminaux, ensuite explicite, lui font comprendre qu’il n’y avait pas de solutions miracles au mal. C’est alors qu’il découvre que celui qu’il prenait pour un messie n’en n’était pas un. Une fois encore, l’échec est à nos portes. Alors, y a-t-il une malédiction qui nous poursuit, et qui, à chaque fois casse notre élan ? Serions-nous victimes de la malédiction de Cham ?
En ce qui me concerne, je refuse de céder à la tentation de la fatalité. Aucune malédiction ne nous frappe. Nous sommes les acteurs de nos malheurs. Nos Hommes politiques sont les prédateurs de l’Espérance. Tant que le pouvoir politique ne sera pas conçu comme une mission sacrée à accomplir avec sincérité, humilité et détachement, dans le sens de l’intérêt général, nos problèmes resteront entiers ; car l’économique et le politique sont intimement liés et toute stratégie économique est, par nature, politique. Je refuse de céder à la tentation de la fatalité, mais je crains qu’on assiste en 2011 à un mouvement balancier de l’Histoire : le retour en force de la classe politique rejetée en 2006, comme c’était déjà le cas avec le Président KEREKOU en 1996. Alors l’éternel recommencement se poursuivra. Et la souffrance du peuple avec. Et on ne s’empêchera pas de penser à Cham.

Par Docteur Maxime Jean-Claude HOUNYOVI.

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