Foncier et genre

L'accès à la terre n'est pas automatique chez les femmes dans certaines localités béninoises

Hommes et femmes : pas les mêmes droits devant la terre
Dans la plupart des coutumes béninoises, à l'exception du milieu Adja, les femmes sont exclues de la succession foncière. Leur accès aux ressources foncières est étroitement conditionné par leur statut matrimonial.

Kowé Lèhami  est veuve et vit à kilibo, dans la commune de  Ouèssè au Bénin. Depuis la mort de son mari, elle est entièrement responsable de leurs neuf enfants. Pour subvenir aux besoins de ces derniers, elle dépendait d'une petite parcelle de terre que sa belle-famille a vendue à son insu quelques mois après la disparition de son mari. " Ce n'est que quand l'acheteur est venu nous expulser que nous l'avons appris", explique Kowé. Elle a réussi à récupérer l'usage de cette parcelle grâce à l'assistance juridique de Women Right, une Ong qui lutte contre la violence faite aux femmes dans les départements du Borgou et de l' Alibori. Malheureusement, elle doit chaque jour défendre ce lopin contre les velléités de certains vendeurs véreux, décidés à vendre cette terre pourtant officiellement reconnue comme  son héritage.
Ce genre de situation n'est pas rare en Afrique. Kowé Lèhami a eu plus de chance que la plupart des autres femmes. Après un divorce ou la mort de leur époux, elles sont nombreuses à ne jamais recouvrer l'accès ou les droits liés aux terres de leurs défunts conjoints. Pourtant, les femmes béninoises  sont à l'origine de 70 % de la production alimentaire nationale. Elles représentent également près de la moitié de la main-d'œuvre agricole et prennent en charge près de 80 à 90 % de la transformation, du stockage et du transport des aliments, ainsi que des travaux de sarclage et de désherbage.
Malheureusement ces femmes ne disposent souvent d'aucuns droits fonciers, généralement  détenus  que par les hommes. Les femmes n'y ont exceptionnellement  accès que par l'intermédiaire d'un parent de sexe masculin. Elles sont dans ce cas tenues de remettre à cet homme, l'argent provenant de la vente de produits agricoles et ne peuvent décider librement  de l'usage qui en sera fait.
Au Bénin et dans la plupart des localités du pays, les femmes acquièrent généralement par le mariage, un droit d'usufruit sur la terre de leur époux. Ce droit est généralement temporaire et peut leur être retiré à la fin de la saison agricole, dans certaines zones rurales, ou en cas de divorce ou de décès du mari. Aussi, les veuves ou les femmes divorcées sans droits sur la terre font-elles partie des couches particulièrement vulnérables à la pauvreté. Ces femmes sont très dépendantes économiquement de leur mari, même si elles peuvent utiliser librement les revenus tirés de leur exploitation agricole. En outre, le droit d'usufruit qui leur est accordé s'accompagne généralement, d'importantes restrictions (interdiction de pratiquer des cultures pérennes, de louer ou d'utiliser la terre comme garantie d'un prêt).
La logique  régulièrement agitée dans nombre de traditions et autres coutumes béninoises qui sous-tend la marginalisation des enfants filles et des femmes des propriétés foncières est qu'elles sont appelées à quitter leurs parents paternels pour se marier à d'autres collectivités. L'établissement de cette règle permet d'éviter l'héritage de la terre par les enfants de ces femmes ou par les beaux parents. Si c'était le cas, cela augmenterait le patrimoine foncier de la belle famille et pourrait rendre difficile l'accès à la terre (principal facteur de production), aux " vrais " héritiers que sont les enfants garçons.
Cette discrimination d'accès à la terre entre homme et femme est aussi fondée sur des préjugés. ''Faire hériter la terre à un homme est perçu comme un acte juste, logique et digne. Par contre, une femme qui cherche à hériter de la terre s'expose à des critiques''. Elle est perçue comme un ''bien'' qui  appartiendrait non pas à sa communauté d'origine, mais plutôt à sa famille d'accueil qui est celle de son époux. Elle n'a par conséquent aucun droit foncier à faire valoir. Il convient tout de même de noter que dans certains milieux, la succession est favorable aux femmes.  C'est le cas du milieu Adja, principalement Azovè où des études de terrain ont révélé que les femmes héritent de la terre au même titre que les hommes.
En milieux urbain et périurbain, la succession et l'achat sont relativement favorables aux femmes.  Bien que la succession soit globalement patrilinéaire, il faut toutefois noter que dans certains ménages dont le niveau d'instruction des parents est élevé, les enfants filles bénéficient de la succession. Parmi les femmes qui ont accès à la terre en milieu urbain ou périurbain, on retrouve notamment les fonctionnaires et les commerçantes. Ces dernières, bien que vivant dans la maison de leurs conjoints, construisent des maisons qu'elles mettent surtout en location du fait de leur pouvoir d'achat relativement élevé.

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A chaque tradition ses réalités
Dans la partie méridionale du Bénin, même si la succession est patrilinéaire, il n'en demeure pas moins que certaines femmes du fait de leur statut social héritent de la terre. Il s'agit des femmes divorcées, veuves, ou en brouille avec leur époux suite à des malentendus. Elles se trouvent obligées de rechercher un lopin de terre auprès de la famille paternelle. Dans d'autres cas, la femme peut hériter quand elle est vieille et n'a plus la possibilité de se remarier à une personne d'un lignage différent de celui de son défunt mari, ou dans le cas où l'intéressé prend l'engagement de se remarier à un membre du lignage de son époux décédé. Dans d'autres localités, notamment dans les départements du Zou et des Collines, les femmes sont éliminées systématiquement de la succession foncière lorsque le père n'a fait de son vivant, que des filles. Dans ce cas, ce sont plutôt les frères du défunt qui en héritent, si ce n'est le chef de la collectivité qui dispose unilatéralement des terres du défunt.
Ailleurs, les frustrations revêtent d'autres formes dans le partage des patrimoines fonciers aux héritiers. ''Dans certaines familles où les femmes ont acquis un degré d'autonomie grâce à leur niveau d'étude ou leur ascension sociale, elles arrivent à contraindre leur père à leur octroyer des terres de leur vivant, au même titre que leurs frères''. Elles obtiennent souvent gain de cause. Mais cette générosité engendre toujours des frustrations et des convoitises de la part des autres frères. Parfois, ces legs sont remis en cause soit après le décès du père, ou après le décès de la femme héritière de force. Cela expose souvent sa progéniture à des difficultés sérieuses lorsque leurs oncles ou cousins ne sont pas consentants au moment du legs. Cette situation est généralement  sources de conflits le plus souvent fratricides. Elle conduit les protagonistes vers les tribunaux. Néanmoins, les femmes dont le niveau d'émancipation est relativement élevé prennent des dispositions judiciaires en vue d'une sécurisation foncière de leurs descendants.
Au Nord du Bénin, ces femmes qui ont accès à la terre par succession sont qualifiées de " cas sociaux ". Il faut souligner que la plupart de ces femmes héritent des terres de leur mère ou de leur tante. Au sud comme au centre du Bénin, d'autres facteurs permettent à la femme Mahi ou fon d'avoir accès à la terre par succession. Il s'agit des femmes appelées " Tangninon en Fon " qui sont des femmes sans époux vivant dans leur famille paternelle.
Ces femmes  parviennent à acquérir une autorité du fait de leur caractère rigide et foncièrement conservateur des valeurs ancestrales. La deuxième forme d'accès des femmes  à la terre dans ces communautés est la ''reconnaissance pour services rendus''.     Il s'agit d'une récompense qu'un père offre à sa fille qui se serait très bien comportée avec lui de son vivant.
Il arrive que le père de son vivant, fasse la donation de parcelles à ses femmes. Ces parcelles sont parfois remises en cause lorsque la disponibilité en terre commence par faire défaut. Par ailleurs, le niveau d'instruction des populations fait qu'aujourd'hui certains parents reconnaissent le droit de succession à la femme. Aussi, dans certains milieux, notamment urbains, les femmes héritent-elles au même titre que les garçons, des terres au nom du principe de l'égalité entre les genres.  

Dossier réalisé par la Direction de la Communication et de la Documentation du MCA-Bénin- Septembre 2008

(Source : Rapport sur l'Habilitation juridique des pauvres par rapport  à la propriété, Déc. 2007)

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