Foncier

A qui appartient la terre au Bénin ?
Principales sources de richesse dans un pays essentiellement agricole comme le Bénin et base de toute politique d’urbanisme, les terres, notamment non immatriculées sont revendiquées aussi bien par l’Etat que par les populations pour sa mise en valeur ou non.

Il s’en suit généralement des conflits domaniaux dont l’issue n’est pas toujours des plus heureuses. Au Bénin, à qui appartient la terre ?
Le Bénin est un pays essentiellement agricole. La terre constitue aussi bien pour l’Etat que pour les agriculteurs et autres employés du secteur agro-alimentaire, la source principale de revenus. En milieu urbain, l’absence d’une politique claire en matière d’habitat fait du sol,  l’objet de grande convoitise.  Si aujourd’hui, la question du foncier rural est plus ou moins réglée avec le vote et la promulgation de la loi 2007-03 du 16 octobre 2007 portant régime foncier rural au Bénin, il faut reconnaître que la situation confuse qui a toujours codifié le foncier au Bénin trouve ses racines dans la période coloniale où le colon français a fait valoir des considérations aux contours flous pour se prévaloir des terres du pays colonisé.
Ainsi,  aussi bien en milieu rural qu’urbain, la terre n’est pas soumise à un régime juridique uniforme. Pendant la période précoloniale, la propriété foncière, dite traditionnelle était dominée par le collectivisme agraire. Ce collectivisme agraire qui octroyait de fait la propriété des terres aux rois, princes et familles royales sera bousculé pendant la période coloniale avec des tentatives de modernisation du système foncier traditionnel  par l’introduction de nouvelles procédures qui vont contribuer à l’appropriation privée des terres. Le colon estime que pour avoir annexé le royaume du Danxomè, les terres qui étaient considérées comme la propriété des rois lui revenaient de droit, un droit qui paradoxalement n’était guère écrit à l’époque. Il faudra attendre le 5 août 1900 pour voir un décret de l’administration coloniale codifier les droits fonciers coutumiers. Ce décret sera renforcé par  celui du 24 juillet 1906 relatif à l’organisation du régime de la propriété foncière dans les colonies et territoires relevant du gouvernement général de l’Afrique occidentale française. C’est ce texte qui posera véritablement les bases de la réglementation foncière avec l’institution des livres fonciers sur le Dahomey. Il sera  abrogé par le décret du 26 juillet 1932 qui fut appliqué jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 14 août 1965. Cette loi qui reproduit une bonne partie du décret de 1932, a été pendant plusieurs décennies, le seul texte réglementant la propriété foncière de droit moderne au Bénin. C’est une loi qui confère des droits nouveaux, différents des droits fonciers coutumiers qui ont une  conception particulière et traditionnelle de la terre. Pendant que les droits fonciers coutumiers estiment que la terre appartient aux dieux dont les rois sont les légataires, cette loi ouvre des perspectives quant à l’appropriation privée ou étatique de la terre et en fixe les conditions.

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Le droit coutumier fait de la résistance
 Dans la pensée traditionnelle béninoise, la terre est sacralisée, humanisée et socialisée. Elle n’est pas un objet comme les autres, susceptibles d’aliénation pure et simple. Cette caractéristique fondamentale du système foncier coutumier se rencontre partout au Bénin malgré quelques nuances locales. C’est dans ce contexte conflictuel que s’inscrit aujourd’hui le système foncier béninois. Si en milieu urbain les pratiques dites modernistes (permis d’habiter, permis de construire, titre foncier, immatriculation et dans une certaine mesure constatation de droits fonciers coutumiers) semblent l’emporter malgré la survivance de quelques pratiques coutumières, c’est surtout en milieu rural que les nouvelles procédures publiques proposées ou imposées par l’Etat ont suscité des réactions de méfiance, voire de rejet. Cette réticence face aux techniques modernes de gestion du foncier  a longtemps alimenté et continue de susciter des conflits domaniaux, les parties au litige  privilégiant toujours les témoignages oraux aux codes écrits.
Considéré comme source d’insécurité juridique et  antiéconomique, le système foncier coutumier doit faire face aux revendications de l’Etat et à la poussée de l’immatriculation, gage d’une sécurité foncière profitable à tous.

L’Etat, de tout temps, a toujours tenté de contrôler les terres. Pour ce faire, il s’est appuyé sur diverses constructions juridiques. Dans la colonie dahoméenne où régnait à l’époque une organisation précoloniale étatique ou quasi étatique, l’administration coloniale brandit la théorie de la succession d’Etats pour s’emparer des terres des autochtones. Selon cette théorie, les souverains locaux étaient les véritables propriétaires des terres. Par conséquent, celles-ci devaient revenir en propres à la puissance conquérante au nom de la théorie de la succession d’Etats. En vertu de celle-ci, le nouvel Etat colonial succédait aux droits des souverains locaux pourtant considérés par les populations comme les maîtres légataires des terres de leur royaume qui n’appartiennent qu’à Dieu.
Cette théorie a été particulièrement discutée dans une affaire ayant opposé l’administration coloniale à un Dahoméen dans les années 1900 rapporte le chercheur Noël Gbaguidi, Professeur de Droit à l’Université d’Abomey-Calavi. Le Dahoméen qui voulait immatriculer en son nom une parcelle, s’est vu former une opposition du représentant de l’administration coloniale au motif que, entre autres, le terrain appartenait à l’Etat colonial du fait de la substitution par conquête de l’Etat français à l’ancien souverain du Dahomey considéré abusivement par ses sujets comme le propriétaire de toutes les terres de son royaume. Et le chercheur d’écrire : « La question était alors de savoir si le représentant de l’administration avait qualité pour agir ».

La primeur de l’autorité de l’Etat
La Cour de l’Afrique Occidentale Française (Aof) dans un arrêt de principe en date du 10 mars 1933 décida que les souverains locaux même s’ils avaient des droits exorbitants sur les terres étaient des détenteurs sans titre qui ne pouvaient légitimement transmettre leurs droits abusifs à un État civilisé (Cour d’Appel de l’AOF, 10 mars 1954). Cette haute juridiction coloniale condamna donc l’utilisation de la théorie de la succession aux droits des souverains locaux pour s’approprier les terres indigènes, parce que les souverains locaux précoloniaux n’étaient pas propriétaires des terres. Cette jurisprudence va pendant longtemps motiver beaucoup d’actes d’expropriation, l’Etat colonial étant devenu le seul propriétaire des terres. Et pour s’en accaparer, il  a recouru successivement à la théorie de la succession d’Etats puis à celle des terres vacantes et sans maître. Or, pour le droit coutumier sur le foncier,  la terre est un bien inaliénable par l’homme qu’on ne peut qu’exploiter et non l’approprier. Elle se lègue d’où le collectivisme agraire.  La théorie de la succession d’États a été abandonnée au profit de celle des terres vacantes et sans maître. Pour acquérir des terres pour ses projets d’investissements, l’Etat peut incorporer à son domaine privé des zones émergées, des terres gagnées par remblayage de zones marécageuses ou des terres abandonnées. En outre, il y parvient aussi par l’expropriation ou de façon détournée par le permis d’habiter et le titre foncier. Dans un cas ou dans l’autre, il veille à une compensation préalable et juste de l’occupant de la terre sujette à l’expropriation.  Il faut noter que l’utilisation de l’expression « compensation » en cas d’expropriation des droits fonciers coutumiers au lieu d’ « indemnisation » n’est pas innocente et signifie que, malgré leur reconnaissance officielle, les droits fonciers coutumiers n’ont pas la même valeur que les droits fonciers découlant de l’immatriculation. En effet, il existe d’autres modes de cession forcée utilisés par l’Etat comme la réquisition, la nationalisation, la saisie ou la confiscation de biens. Contrairement à l’expropriation pour cause d’utilité publique, ces mesures sont soit des sanctions (confiscation, saisie et quelquefois la nationalisation), soit temporaires (la réquisition).
C’est dire aujourd’hui qu’en République du Bénin, à l’étape actuelle des choses, l’Etat et le citoyen se réclament tous propriétaires légaux des terres. Mais  l’interventionnisme étatique dans les domaines économique et social ainsi que la transformation du droit de propriété en droit à fonction sociale permettent à ce dernier de justifier à tout moment une expropriation. Toutes choses qui font dire à certains spécialistes des questions foncières que la terre appartient en définitive à l’Etat.

Cet article est le premier d’une série réalisée par la D/Com -MCA-Bénin-
Septembre 2008

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(Source : Le foncier au Dahomey, une étude du Pr. Noël GBAGUIDI)

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