Réflexion: loi organique de la Haac

/food/dossou1.jpg » hspace= »6″ alt= » » title= » »  » /> La cour veut affaiblir les organes de contre pouvoir
L’arrêt Saka Fikara est une décision rendue du 21 août 2008 rendue par la Cour Constitutionnelle en matière de séparation du domaine de la loi et du règlement dans le cadre de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990. Elle intervient en matière de conflit d’attributions entre l’assemblée nationale et le gouvernement. Emile Tozo,
Chargé de recherches à la faculté de Droit et de sciences politiques de l’Université d'Abomey-Calavi

1-    Les faits

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Le 09 juin 2008, le député Saka FIKARA et douze (12) autres parlementaires ont déposé sur le Bureau du Président de l’Assemblée nationale une proposition de loi organique modificative des articles 16, 18 et 35 de la Loi organique n° 92-021 du 21 août 1992 relative à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC).

Le 7 juillet 2008, le Président du parlement a engagé la procédure législative en  annonçant la proposition de loi en séance publique, puis en l’affectant à la Commission des Lois, de l’Administration et des Droits de l’Homme pour étude.
Le 07 août 2008, le Président de l’Assemblée nationale a reçu une correspondance du Président de la République qui lui a demandé de prononcer l’irrecevabilité de la proposition.
Pour le chef du gouvernement, la proposition modificative de loi organique introduite par les députés doit être déclarée irrecevable au motif  que son objet et son contenu ne relèvent pas du domaine de la loi tel que prévu par l’article 98 de la Constitution. En l’occurrence, le chef du gouvernement conteste  les 2ème et 3ème alinéas de l’article 35 nouveau de la loi modificative qui disposent que les autorisations d’usage de fréquences pour la radiodiffusion sonore, la télévision par voie hertzienne terrestre, par satellite ou par tout autre moyen sont délivrées aux personnes privées par la HAAC, après avis consultatif du Ministre en charge de la Communication.
Selon le gouvernement, une telle disposition  permet à la HAAC de le «dessaisir de son droit de regard et de gestion de ce qui relève de son domaine» ; il précise que les fréquences par voie hertzienne terrestre, par satellite qui relèvent dans notre pays de la sécurité et de la souveraineté de l’Etat ne sont pas du domaine de l’article 98 de la Constitution.

2-    La procédure

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Devant une situation de contrariété de situations dans la conduite de la procédure législative,  le Président de l’Assemblée Nationale a saisi le 18 août  2008, la Haute juridiction constitutionnelle d’une demande d’avis (daté du 14 août 2008) afin d’être « situé sur la recevabilité ou non» de la proposition de loi organique modificative des articles 16, 18 et 35 de la loi organique n° 92-021 du 21 août 1992 relative à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) introduite par le député Saka FIKARA et douze autres députés.
Le Président de l’Assemblée nationale a saisi la Cour sur le fondement de l’article 74.4 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale.

3-    Le problème de droit

Selon la Haute juridiction constitutionnelle, la question centrale qu’elle avait à trancher est celle de la délimitation du domaine de la loi (articles 98 et 100 de la Constitution de 1990). Une proposition de loi organique peut-elle porter sur la gestion des fréquences ?

4-    La décision de la Cour Constitutionnelle

La Cour constitutionnelle a déclaré irrecevable la proposition modificative de la loi Organique.

5- Sens et portée de la décision de la Cour
On peut considérer que la décision de la Cour est la sanction logique du principe constitutionnel de la délimitation du domaine de la loi, un des instruments de la rationalisation du parlementarisme.
Mais, une analyse approfondie de l’arrêt Fikara démontre que la cour constitutionnelle a erré à un double niveau : d’une part, en prononçant l’irrecevabilité de la loi, d’autre part en reléguant une loi organique au même niveau que les lois ordinaires

I/ L’irrecevabilité, une sanction logique de la limitation du domaine de loi par la Constitution

Pour bien comprendre la décision de la Cour Constitutionnelle, il convient  de rappeler le cadre conceptuel de l’émergence de la notion de la délimitation du domaine de la loi. Aussi essayerons-nous d’expliciter ladite notion en rapport avec le parlementarisme rationalisé avant d’expliquer la décision de la Cour.

A/ La délimitation de loi, un outil du parlementarisme rationalisé

Pour pallier les dérives du parlementarisme (notamment l’instabilité gouvernementale chronique), le Constitutionnalisme européen a inauguré en 1918 avec la Constitution allemande de Weimar le concept de parlementarisme rationalisé.
La délimitation du domaine de la loi est l’un des instruments techniques de ce type de régime parlementaire qui en compte d’autres (l’octroi de prérogatives au Gouvernement dans la procédure législative, réglementation de la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale, délai de réflexion, majorité qualifiée, désignation concomitante du successeur ou du nouveau chef du gouvernement en cas de motion de censure…).
L’objectif est de renforcer le gouvernement et favoriser sa stabilité. Par exemple, dans le régime français de la Vè République, le renforcement de l'Exécutif s’est opéré par la délimitation rigoureuse du domaine d'action du Parlement. Et le Conseil constitutionnel a été créé, à l’origine, pour veiller au respect et à la garantie de la délimitation du périmètre de la loi.
La Constitution béninoise de décembre 1990 a instauré un régime présidentiel qui s’inspire du modèle américain tout en intégrant des éléments du parlementarisme rationalisé. Au nombre de ces techniques figure la délimitation du domaine de la loi qui s’incarne dans l’article 98 et 99 de la loi fondamentale béninoise.
Autrement dit, à la suite du Constituant de 1958, le Constituant béninois de 1990 a ajouté à la définition classique et formelle de la loi comme l’acte voté par le Parlement, une définition matérielle qui précise que la loi est non seulement votée par le Parlement mais qu’elle fixe les règles et détermine les principes fondamentaux dans des matières limitativement énumérées par la Constitution.
Conséquence logique : l’article 100 de la Constitution crée la catégorie des règlements autonomes en disposant que : « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire».
En plus des règlements d’application des lois, l’Exécutif dispose également de la prérogative constitutionnelle de prendre des règlements autonomes. Ce qui signifie que le pouvoir du parlement de voter la loi peut être écarté dans certaines matières.

B/ Compétences limitées du parlement béninois en matière de réglementation de la gestion des fréquences

Dans le cas d’espèce, tout en se refusant de se prononcer sur le contenu de la proposition de loi modificative, la Cour constitutionnelle béninoise a déclaré irrecevable cette proposition parce qu’elle a considéré, comme le gouvernement, que «la proposition de modification de l’article 35 de la loi organique, en fixant les modalités de gestion des fréquences, va au¬-delà de la détermination des principes fondamentaux et viole par conséquent les dispositions de l’article 98 précitées et l’article 100, alinéa 1er de la Constitution».
Par son arrêt, la Cour a jugé que le champ d’action du Parlement ne s’étant pas à la fixation des modalités de gestion des fréquences. Et qu’en la matière, il a appartient au gouvernement de déterminer les règles.
Le juge constitutionnel a statué sur les deux dimensions que recouvre la question du domaine de la loi. S’il admet implicitement que l’Assemblée nationale peut légiférer en matière de gestion de fréquences en restant au niveau des généralités ou des principes fondamentaux (dimension horizontale), elle exclut que le parlement puisse atteindre un niveau de précision telle qu’il fixe les modalités de cette gestion (dimension verticale).
Il s’agit là, d’après la haute juridiction constitutionnelle, d’une des  limites de la souveraineté de la loi, "expression de la volonté générale ».
La décision de la Cour s’expliquerait par le souci de protéger, conformément à la Constitution en ses articles 98 et 100, la compétence réglementaire. En effet, aux termes de la Constitution et du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, l’irrecevabilité est l’une des procédures de protection du domaine réglementaire contre la loi. En décidant ainsi qu’elle l’a fait, la Cour ne ferait que rappeler au Parlement béninois que son domaine de compétence n’est pas illimité.  Mieux, qu’en la matière, l’Assemblée nationale dispose d’une compétence d’attribution bien encadrée par le texte constitutionnel. Et que dans la d’espèce, elle a outrepassé ses attributions en raison de la matière, objet de loi (plus précisément les modalités de gestion des fréquences).

II/ Une décision contraire aux compétences de la cour et à l’esprit de la Constitution

La Cour constitutionnelle a rendu une décision erronée pour une double raison : d’une part, elle s’est trompée de procédure ; d’autre part, elle a fait une lecture très partielle de la Constitution de 1990.

A/ Une Décision au lieu d’un avis

La procédure pour laquelle la Cour a été sollicitée par le Président de l’Assemblée est une procédure de consultation et non une procédure contentieuse au sens classique. Car, le Président  de l’Assemblée a saisi la Cour sur la base de l’article 74.4 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui dispose :
« Les projets et propositions de lois qui ne sont pas du domaine de la loi délimité par l’article 98 de la Constitution sont irrecevables.
L’irrecevabilité est prononcée par le Président de l’Assemblée nationale, d’office, ou à la demande du Président de la République.
En cas de désaccord entre eux, le Président de l’Assemblée nationale peut consulter la Cour constitutionnelle qui statue dans un délai de huit jours ».
Il est difficile de soutenir à la lecture de ces dispositions que la limitation du domaine législatif ne fait partie des matières pour lesquelles est requis l’avis de la haute juridiction constitutionnelle. En utilisant le mot «consulter», le constituant indique que le président du parlement dispose bien de la possibilité de solliciter l’avis ou l’éclairage technique du juge constitutionnel avant de prendre sa décision définitive. Mais, la Cour, dans le cas d’espèce a estimé qu’elle devait prendre une Décision. Pour rendre son arrêt, elle s’est certainement fondée sur le verbe « statuer » qui signifie «régler avec autorité : décider. Statuer sur un litige» (Dictionnaire Le petit Larousse Grand format, p. 1008).
Etant donné que c’est le président de l’Assemblée nationale qui la consulte, après avoir déclaré la proposition de loi recevable, la Cour aurait pu rendre un avis. Et attendre que le Président de la République la saisisse dans le cadre d’une procédure contentieuse normale pour prendre une décision en bonne et due.
Il s’agit donc de procéder à une lecture différenciée de l’article 74.4 du Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale : lorsque le Président de l’Assemblée nationale consulte la Cour constitutionnelle sur la recevabilité d’un projet ou proposition de loi, celle-ci rend un avis ; lorsqu’elle est saisie par le chef du gouvernement, elle rend un arrêt.
En décidant de prononcer directement l’irrecevabilité sur le fondement des articles 98 et 100 de la Constitution, elle a fait une lecture restrictive de la Constitution.

B/ Une lecture dépassée et partielle de la Constitution

La Cour constitutionnelle béninoise a adopté une conception dépassée de la délimitation du domaine de loi. Même en France où la délimitation du domaine de la loi a été inventée, le Conseil constitutionnel a procédé à une quasi-suppression de la délimitation horizontale du domaine de la loi (délimitation loi / règlement). Il a même progressivement élargi le domaine de la loi en utilisant plusieurs techniques. Il a procédé d’une part à un élargissement direct [plusieurs procédés ont été utilisés : assimilation des règles et des principes fondamentaux, affirmation selon laquelle le domaine n’est pas seulement délimité par l’art. 34 (art. 72 à 74 de la Const. de 1958) ; reconnaissance du domaine du règlement comme « domaine de compétence partagée avec priorité au règlement sur la loi ») et d’autre part par un élargissement indirect en empêchant le législateur d’abandonner ou de négliger son propre domaine]
 La Cour constitutionnelle pouvait rester fidèle à sa jurisprudence audacieuse (DCC 34-94 du 23 décembre 1994 concernant la création de la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA) ; Avis CC 001/97 du 5 août 1997 relative à l’institutionnalisation d’une fête annuelle des religions traditionnelles) en suivant l’exemple de son homologue de la France.
D’au autre côté en décidant ainsi qu’elle l’a fait, la Cour Constitutionnelle béninoise a fait une lecture étroite de la Constitution de 1990 et a mal fondé sa décision. Car, au terme de la Constitution de 1990, le domaine législatif ne se limita pas à l’énumération de l’article 98.  Il prend en compte le vote du budget (art. 96) de la Const. 1990)  dont les modalités sont spécifiées aux articles 99 et 109 à 112, mais également le vote des lois organiques. Il est parfaitement de la compétence du parlement de légiférer en matière de lois organiques.
Le fondement de la proposition de loi querellée est l’article 143 de la Constitution qui dispose que « La composition, les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication sont fixés par une loi organique».
Décider d’appliquer l’article 98 de la Constitution à la proposition de loi organique revient à rabaisser une loi organique au même niveau qu’une loi ordinaire. Or fondamentalement, celle-ci se distingue de celle-la sur le fait que la loi organique fait partie du bloc de constitutionalité. Et à ce titre, elle est formellement définie comme un texte législatif dont l’élaboration et la modification obéissent à une procédure différente de la procédure législative ordinaire. L’article 97 de la Constitution est le siège de cette distinction : « La loi est votée par l’Assemblée nationale à la majorité simple. Cependant, les lois auxquelles la présente Constitution confère le caractère de lois organiques sont votées et modifiées dans les conditions suivantes :
–    la proposition ou le projet n’est soumis à la délibération et au vote de l’Assemblée qu’après l’expiration d’un délai de quinze jours après son dépôt sur le Bureau de l’Assemblée ;
–    les lois organiques ne peuvent être promulguées qu’après déclaration par la Cour constitutionnelle de leur conformité à la Constitution».

Au surplus,  lorsque la Cour constitutionnelle, dans ses motifs, soutient que «la proposition de modification de l’article 35 de la loi organique, en fixant les modalités de gestion des fréquences, va au¬-delà de la détermination des principes fondamentaux et viole par conséquent les dispositions de l’article 98 », elle se trompe lourdement. Car, la organique  92-021 du 21 août 1992 relative à la HAAC et qui est actuellement en vigueur a bien fixé les modalités de gestion des fréquences. Et ces modalités ont été précisées par la loi 97-010 du 20 août 1997, portant libéralisation de l’espace audiovisuel et dispositions pénales spéciales relatives aux délits de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin (cette loi est validée par la décision de la Cour Constitutionnelle DCC 97-017 des 03, 28 et 29 avril 1997).  
Les seules précisions qu’apporte la proposition de loi modificative concernent la nature de l’avis que le ministère de la Communication doit donner à la HAAC dans son rapport technique préalable à l’attribution des fréquences et le délai dans lequel cet avis doit être donné. Une telle disposition vise, en fait, à remédier à l’imprécision  de l’article 3 de la loi 97-010 du 20 août 1997.
La gestion des fréquences serait facilitée si l’Etat béninois créait une Agence de gestion des fréquences au sein de laquelle seront représentés le gouvernement et la HAAC. Car, il ne faut pas oublier que la question de la gestion des fréquences touche à l’exercice d’une liberté publique fondamentale à l’époque contemporaine : la liberté de communication audiovisuelle dont la Haute autorité de l’Audiovisuel et de la Communication est la garante, aux termes de la Constitution de 1990. Elle agit, d’ailleurs, dans ce domaine au nom de l’Etat dont elle fait partie intégrante.

Conclusion :
En jugeant irrecevable, une proposition modificative de loi la organique sur la HAAC sur le fondement de la limitation du domaine législatif, la Cour Constitutionnelle a pris une Décision  (DCC 08-095 du 21 août 2008) très critiquable. D’une part, elle adopte une conception dépassée de la séparation du domaine de la loi et du règlement. D’autre part, son fondement est fragile, parce que procédant d’une lecture erronée de la Constitution.
Il est, enfin, difficile de séparer l’arrêt Saka Fikara des Décisions DCC 08-044 du 02 avril 2008 et DCC 08-021 du 28 février 2008 relatives à l’annulation de l’attribution des fréquences par la HAAC : l’ensemble de ces décisions ne participent-elles pas d’un processus de limitation des attributions et  pouvoirs des organes constitutionnels de contre-pouvoirs ?

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