A propos de « la politique de l’échec » de l’Abbé Quenum

/food/amoussou1.jpg » hspace= »6″ alt= »Bruno Amoussou » title= »Bruno Amoussou »  » /> Le chemin vers l’avenir, Par Bruno Amoussou
J’ai pris la décision d’écrire un texte inutile. Il subira peut-être le même sort qu’un commentaire sur la corruption et la politique que j’avais adressé à La Croix du Bénin en 2006 et dont je n’ai même pas reçu un accusé de réception.

Je me réjouis que l’Abbé André Quenum ait présenté une analyse assez intéressante (cliquer ici pour lire l'analyse) de la situation politique nationale à la faveur de la tenue de notre séminaire à Bohicon. Il fait, à l’occasion, exception à la misère intellectuelle qui caractérise nos débats politiques, réduits le plus souvent à des invectives. Les pistes explorées dans l’article intitulé «La politique de l’échec» et dans l’éditorial ne manquent pas de pertinence même si certaines formules et affirmations, justifiées pour un acteur partisan, me paraissent excessives sous la plume d’un observateur indépendant. On peut également s’étonner de la violence de certains propos. La matière étant fournie, il devient possible de soumettre à débats des positions politiques souvent masquées par des discours fumeux ou des chroniques où la forme l’emporte sur le fond.
J’ai noté au moins trois centres d’intérêt dans les deux textes : d’abord l’évaluation politique des principaux acteurs du Séminaire de Bohicon, ensuite l’appréciation de leur motivation et des objectifs visés et enfin la présentation de la solution souhaitée.
A propos des principaux acteurs du séminaire

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De toute évidence, l’Abbé Quenum est très fâché contre quelques responsables politiques coupables d’avoir toujours conduit le pays à l’échec. L’un de leur forfait fut de mettre en œuvre  «une solution de retour aux vomissures, camouflée sous le prétexte  du principe de l’alternance, qui repêcha Mathieu Kérékou». Ils avaient organisé une véritable conspiration contre le renouveau en 1996. Ils étaient tous frappés d’indignité selon l’Abbé Quenum qui, néanmoins, les répartit aujourd’hui en deux groupes.

Il y a les nominés, ceux qui ont «le courage de servir la cause du changement par la vérité même si elle serait difficile. Je voudrais nommer, écrit l’Abbé Quenum, par exemple un président Emile Derlin Zinsou, dans une moindre mesure, mais surtout un Moïse Mensah et un Albert Tévoédjrè dont les mains devraient nécessairement trembler de tenir deux instruments, l’un de gouvernance concertée, et l’autre de médiation, en un temps où le Bénin a besoin spécifiquement de dialogue et de médiation». Leur choix politique d’être aux côtés de «l’Elu» comme l’écrit l’Abbé Quenum, les absout des conséquences de leur égarement ponctuel et restaure leur respectabilité. Ainsi lavé de toutes les souillures, ils sont devenus des références appelées au secours.

Il y a les acteurs de Bohicon pour qui, comme l’écrit l’Abbé Quenum « au-delà de toute rhétorique savante, le problème tient essentiellement à la tête du chauffeur, une tête qui, comme en 1996, ne plaît pas à certains passagers. Ce constat, en forme de vendetta politique consécutive à la présidentielle de 2006, aucun discours, aucune profession de foi, aucune verve si enflammée soit-elle, qu’elle soit chanson, parole ou poésie et que sais-je encore ! aucune accusation malveillante, aucune rhétorique aussi savante soit-elle (et j’ajoute aucun écrit) ne pourra l’effacer». Membres des G et F, ils se sont réunis à Bohicon le 28 novembre 2008 pour y tenir un séminaire, «expression d’abois qui ne disent pas leur nom». Leur choix politique de s’éloigner du président Boni Yayi n’autorise point une rémission de leur indignité. C’est pourquoi l’Abbé les disqualifie quant à la possibilité d’émettre des opinions sur la marche des affaires publiques, sans avoir au préalable demandé pardon au peuple !

Or l’Abbé André Quenum sait et le défend dans ses éditoriaux qu’en démocratie de surcroît, tous les êtres humains ont le droit de penser, de suggérer, d’émettre des jugements sur l’action publique quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur leur propre agir. Rien à mes yeux n’élimine du champ des contributions à la réflexion ceux dont je n’approuve ni les opinions ni les actions. Outre mon propre parcours, j’ai mené une expérience avec le regretté monseigneur Isidore de Souza à la prison civile de Cotonou en 1986. L’écoute de condamnés à perpétuité, et non de prévenus ou de soupçonnés, a enrichi l’immense connaissance que ce prélat avait de notre société, selon ses aveux. Mon combat porte toujours sur ce que chacun dit et fait. Les discours du genre «on les a vu ; que veulent-ils encore dire ; ils n’ont qu’à se taire» ne m’ont jamais handicapé dans la lutte politique. Je les considère, au mieux, comme des gémissements de personnes intellectuellement et politiquement fragiles.

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Cela dit, j’en viens au «Òconcept de Solution Kérékou  avancée par l’Abbé Quenum pour nommer les solutions de recul auxquels nous conduisent, selon lui, les politiciens après chaque tentative de renouveau ou de changement».

La politique de l’échec et l’oiseau rare
Je partage sa présentation du comportement politique de l’ancien Président qui n’a pas permis de «construire un Bénin prospère (et) une organisation politique solide… Il est devenu un virtuose  inimitable en matière de manipulation des motivations et des passions humaines, se satisfaisant de contrôler le pouvoir (et même les institutions, du moins pendant un certain temps) en sachant tenir ses collaborateurs et le peuple par leurs instincts les plus primaires et par le dénominateur commun le plus bas». Par rapport à cela, à ce jour, je ne perçois malheureusement aucun changement  dans cette façon de conduire les affaires publiques et de traiter les collaborateurs durant ces deux dernières années. Il me semble même que ce comportement exerce une véritable fascination sur les dirigeants actuels qui s’efforcent d’y puiser maladroitement les  recettes d’une longévité politique. Dans ce registre, je ne suis pas certain que la copie soit mieux que l’original.

C’est ce que j’ai voulu caractériser dans ma rhétorique à l’ouverture du séminaire de Bohicon. La pratique politique du  Chef  de  l’Etat,  la  seule qui m’intéresse,  s’apparente   au  populisme dont la définition la plus proche serait celle de Pierre-André Taguieff. Il s’agit, selon ce dernier, d’un «style politique, fondé sur le recours systématique à la rhétorique de l’appel au peuple et la mise en œuvre d’un mode de légitimation de type charismatique, le plus propre à valoriser ‘le changement’. C’est précisément parce qu’il est un style, une forme vide remplie à sa manière par chaque leader, que le populisme peut être mis au service d’objectifs antidémocratiques non moins que d’une volonté de démocratisation».
Dans mon intervention, je pense avoir indiqué clairement que le Chef de l’Etat s’est engagé dans la voie de l’affaiblissement des institutions et de tous les acteurs de la vie publique, donc dans un processus antidémocratique. Je persiste à dire que «la source première de nos difficultés actuelles se trouve dans la pratique politique du régime dit du Changement, dans sa philosophie politique et dans son style de gouvernement». C’est donc à changer la manière de conduire le véhicule Bénin que beaucoup s’étaient attelé, en vain, avant d’en arriver à la nécessité de changer le chauffeur.

Les G et les F ne se sont manifestés, pour la première fois, que le 12 mars 2008 soit deux années après l’accession au pouvoire du Chef de l’Etat. Pendant ce temps, ils ont tenté de trouver des modalités d’un dialogue fécond voir d’une collaboration avec le pouvoir. Ils ont voté tous les textes à l’Assemblée nationale. Ils ont multiplié les initiatives pour organiser un cadre de concertation autour du Chef de l’Etat. J’ai été personnellement à l’origine de certaines d’entre elles et je me suis prêté de bonne grâce aux sollicitations qui allaient dans le sens de la promotion du dialogue. Présent au gouvernement ou non, nous avions maintenu cette recherche de partage d’expériences. Mais la vérité m’oblige à affirmer sans ambages que nous avons fini par comprendre que nous n’étions pas désirés et que notre voisinage constituait un handicap. Jamais «l’indigestion de la victoire d’avril 2006 de Boni Yayi» n’a été le moteur de nos prises de position.

En justifiant notre combat politique par les seules considérations subjectives, l’Abbé Quenum nierait-il l’existence de vraies difficultés dans notre pays? Or, mes amis et moi, croyons trouver dans la dernière lettre pastorale d’octobre 2008 des raisons de penser que le temps de l’attente et de l’observation était révolu. Parce que les fondamentaux de notre système politique sont mis à mal, le silence et l’inaction ne sont plus les réponses appropriées. Je n’ai pas souvenance que les évêques aient eu à attirer l’attention, par le passé, sur «le fondement politique des grandes orientations de la Conférence nationale» ou qu’ils aient invité les acteurs de la vie publique à «restaurer la confiance et préserver la paix». S’ils le font et le font maintenant, c’est qu’ils ressentent, à tout le moins, des menaces sur ces orientations.
Dans ces conditions, aucun responsable politique ne peut s’enfermer dans l’immobilisme au motif qu’il ne faudrait pas déclencher une campagne électorale précoce. Si nous adoptons une telle attitude, nous aurions démissionné de nos responsabilités en tant que dirigeants de partis politiques. C’est nous, les G et F, qui avions été les principaux animateurs de la vie publique, tout au moins depuis le Renouveau démocratique. L’honnêteté intellectuelle amène à nous reconnaître notre part de mérite dans la sauvegarde des principes démocratiques jusqu’à ce jour. Ce sont nos comportements qui ont permis d’entretenir le dialogue et le climat de sérénité qui ont caractérisé notre pays. Quoi de plus normal que nos partis politiques et d’autres forces sociales montent au créneau au moment où bon nombre de nos concitoyens, y compris de hautes personnalités morales, expriment leurs inquiétudes.

Le second aspect du concept «Solution Kérékou» se réfère au processus de retour aux affaires de l’ancien président de la République en 1996. Comme aujourd’hui, il fut, selon l’Abbé Quenum, une machination d’une coalition de forces politiques ayant pour seul objectif de faire partir celui « dont la tête ne plaît pas ». Cette approche me paraît simpliste et expéditive car une relecture attentive des conditions politiques et sociales qui prévalaient en 1995 mettrait en évidence quelques spécificités de la situation actuelle. Quant au fond du débat, la solution qui semble avoir la préférence de l’Abbé Quenum est celle-là même qui a ramené le Général aux affaires : l’Oiseau rare autour duquel s’agglutinent des invités. Ce sont les trois nominés Zinsou, Mensah, Tévoédjrè qui avaient été recherché l’Oiseau rare en 1996. C’est encore eux qui l’ont réédité en 2006. Mon propos ne vise donc pas seulement à réfuter l’argumentation sur l’impossibilité de trouver l’Oiseau rare au sein des G et F, comme l’affirme l’Abbé Quenum, mais à rejeter la recherche elle-même de l’Oiseau rare parce que cette démarche est une composante essentielle et permanente de la «politique de l’échec».

Il faut reconnaître que la recherche de l’Oiseau rare ou la politique de l’échec a la vie tenace dans notre pays. Elle remonte à la réunion présidée en 1945 par Paul Hazoume qui lança l’appel au R.P. Aupiais, l’Oiseau rare, afin qu’il soit le candidat du premier collège pour l’élection du représentant du Dahomey à la première Constituante. C’est elle qui, en 1968, a conduit Barnabé Bidouzo à Brazzaville pour susciter la candidature de Moumouni Adjou, l’Oiseau rare puisqu’en service dans une organisation internationale, au lieu que les dirigeants de l’Union Démocratique Dahoméenne dégage un candidat en leur sein.  C’est encore elle qui, la même année, a amené les militaires à nommer le Docteur Emile Derlin Zinsou, l’Oiseau rare capable de mobiliser des financements extérieurs. Ce comportement continue de nous habiter sous le Renouveau démocratique. Par conséquent, je ne vois aucune perspective pour notre pays tant que nous allons nous enfermer dans la recherche de l’Oiseau rare messianique.

Comment d’ailleurs nous étonner de ne pas trouver une chose qui n’existe pas ? Pour m’en tenir à l’actualité, Barack Obama n’est pas un Oiseau rare. Il est un produit. Il est le produit du Parti Démocrate américain. Il est le produit des luttes d’organisations juvéniles dans les banlieues de Chicago. Il est l’aboutissement d’un processus, d’un cursus, d’un parcours et non un Oiseau spontané. Il est porteur des valeurs que véhicule le Parti Démocrate. Il est généré par les combats du Parti dont il s’avère, de l’avis des membres de ce Parti en 2008, être le meilleur porte-drapeau. C’est ce qui lui permet de former immédiatement une équipe avec ses camarades de Parti, hier conseillers de Clinton. L’histoire des faits politiques et sociaux dans les pays développés, et aujourd’hui dans les pays émergents, ne fournit aucun exemple d’Oiseau rare qui ait évité l’échec. Et l’Oiseau rare tente toujours de constituer une force politique en utilisant les charmes du pouvoir.
Quel est le sens du séminaire de Bohicon ?

Notre ambition à Bohicon était de jeter les bases de la démarche qui aurait dû être la nôtre depuis toujours: construire, comme dans toutes les démocraties vieilles, nouvelles ou rétablies, une force politique capable d’élaborer et de mettre en œuvre une politique économique et sociale, une force en mesure de secréter les dirigeants du pays. Nous voulons bâtir dès maintenant une force politique capable de mobiliser notre peuple autour d’objectifs partagés et soutenus par un groupe et une organisation et non autour de la vision d’une seule personne, de surcroît isolée. Nous voulons faire renaître le militantisme désintéressé au sein de notre jeunesse pour lui permettre de rêver et de s’enthousiasmer. Nous ne savons pas le temps que cela prendra mais nous avons la conviction d’avoir enfin choisi la seule voie d’avenir qui s’offre à notre peuple.

L’enthousiasme de nos compatriotes autour de ce projet d’avenir, l’incrédulité de certains d’entre eux nous stimule parce qu’aucun déterminisme, aucune fatalité ne condamne notre rassemblement à n’être qu’un feu de paille ou une entreprise de retour en arrière. Nous serions heureux de voir d’autres formations politiques nous rejoindre ou d’accueillir tous ceux qui partagent notre ambition. D’autres formations politiques peuvent également s’engager dans un processus analogue sur la base de leurs affinités politiques pour une plus grande vitalité de notre démocratie. Une société civile qui ne serait ni un vivier de potentiels ministres en hibernation ni le refuge de fuyards déroutés par la complexité des problèmes et préférant le confort des sièges de censeurs aux confrontations avec les réalités sociales, placerait nos initiatives sous le regard critique dont nous avons besoin.

Une telle entreprise demande du temps. C’est la principale raison de sa mise en chantier maintenant, bien avant les échéances électorales et pendant que nous ne pouvons offrir aucune des facilités du pouvoir. Ceux et celles qui s’engageront dans ces conditions bénéficieront plus de la présomption de sincérité. Cette ambition peut devenir une réalité par l’action conjuguée de tous ceux et celles qui veulent ouvrir de réelles perspectives de développement pour notre pays dans une Afrique apaisée et déterminée.
C’est à nous de convaincre et, croyez-nous cher Abbé, nous le ferons.

Bruno Amoussou
Président du Parti Social Démocrate
Membre du G4
 Cotonou le 11 décembre 2008

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