/food/bhelyquenum.jpg » hspace= »6″ alt= » » title= » » » />Le regard critique de l’universitaire italienne Liana Nissim
Autant l’avouer tout de suite : de cette captivante étude consacrée à l’œuvre de l’écrivain béninois Olympe Bhêly-Quenum, je ne peux pas accepter son inscription sous l’étiquette de poétique baroque, qui me paraît inadéquate et peu pertinente pour définir les caractères et les projets des littératures africaines et du romancier étudié.
L’auteur écrit : « la profondeur de l’apparence du roman négro-africain d’expression française n’exprime pas moins un mouvement, celui-là qui tient surtout sa force de la volonté de désigner plus qu’une simple opposition entre le mode de pensée traditionnel – la parole mythique – et les valeurs modernes. Par conséquent, le terme qui conviendrait le mieux pour désigner un tel mouvement est le baroque » (p. 6). Or : à moins de penser au baroque comme à une vague catégorie universelle et atemporelle (comme il arrive souvent dans la critique américaine, selon un usage impropre d’une catégorie historico-esthétique), l’évocation du baroque chaque fois qu’il y a mouvement me paraît abusif et, ce qui plus est, déroutant par rapport à une vraie connaissance des littératures africaines.
Une autre notion est à mon avis beaucoup plus pertinente, celle d’archaïque (que l’auteur considère – abusivement, à mon avis – comme un caractère spécifique de l’esthétique baroque), notion qui est en fait à la base cette étude, puisque « le concept de l’archaïque offre une nouvelle lisibilité à l’œuvre d’Olympe Bhêly-Quenum » (p. 11), selon ses caractères de rémanence, de permanence et de résurgence considérés par le critique.
Dans le premier chapitre (« Le fait religieux : l’archaïque comme rémanence de l’initiatique », pp. 13-54), Kakpo prouve que dans l’œuvre du romancier béninois le thème très présent de l’initiation (outre à « révéler l’Afrique des profondeurs », p. 13) est employé comme une résistance culturelle à toute forme d’oppression, « qu’elle soit coloniale ou relative aux choses, aux êtres et aux phénomènes de la nature » (p. 15) ; en effet, le critique montre dans l’œuvre étudiée, « la résistance du religieux à l’ordre colonial » (p. 46) mais aussi à toutes les formes d’oppression et d’injustice, de désordre et d’anarchie. Surtout, la vision du monde d’Olympe Bhêly-Quenum se structure systématiquement selon une « pensée par antithèse » (p. 53), selon une polarisation constante entre le Bien et le Mal, la lumière et les ténèbres, l’Ordre Cosmique et le Chaos.
Le deuxième chapitre (« Une épiphanie de la peur : l’archaïque comme permanence », pp. 55-76) étudie quelques manifestations de l’archaïque permanent : ainsi la peur, surgie d’élans pulsionnels inconscients et activant « le schème de la chute où la mort est le résultat final » (p. 63) ; ainsi la transe, parfois caractérisée par le « débridement des instincts de la violence » (p. 76).
Dans le troisième chapitre (« L’isomorphisme de la mort : l’archaïque comme rémanence », pp. 77-145) le critique part du constat que « l’archaïque rémanent, de par sa caractéristique essentielle qui est la persistance des images […] s’allie surtout à des attributs d’un autre plan de la vie : le rêve et la mort » (p. 77), qui – dans l’œuvre d’Olympe Bhêly-Quenum, « ont pour antichambre les visions et les apparitions » (p. 77). Kapko passe en revue les quatre niveaux du symbolisme de la mort dans l’œuvre de l’écrivain : la mort comme acceptation (« l’impuissance de l’individu face à l’acharnement du destin l’amène à accepter la mort », p. 86) ; la mort comme punition (la ‘mauvaise mort’ qui frappe tous « ceux qui violent les principes cosmiques » (p. 94) et plus spécialement ceux qui donnent la mort à autrui) ; la mort comme vie continuelle (au sens que la mort n’est pas un achèvement, mais « un autre plan de vie » (p. 103), ce qui implique l’abolition de la peur de la mort) ; l’hymne à la mort, enfin, élevé dans le roman Les appels du Vodou en l’honneur de la mort de la mère et « opérant […] comme un désir thérapeutique et exorciste » (p. 114). Ensuite le critique réfléchit sur la mort en tant que symbole dans l’œuvre du romancier, qui se révèle « à travers des manifestations subliminaires » (p. 126), comme les rêves, les visions, les apparitions : il s’agit du recours aux ‘archétypes’ (Jung) ou ‘résidus archaïques’ (Freud), et qui marquent l’effort de l’écrivain « de rendre ostensible la réalité physique de la mort dans le seul but de l’exorciser » (p. 134), de « la vaincre en abolissant mentalement la frontière qui la sépare de soi » (p. 135).
Le quatrième et dernier chapitre du livre (« Les symboles de l’inconscient collectif : l’archaïque comme résurgence », pp. 147-195) analyse l’œuvre du romancier du point de vue de l’éternel retour, qui est la forme de l’archaïque quand il rejaillit à la surface. C’est dans ce chapitre que le critique inscrit les liens autobiographiques qu’entretiennent avec l’auteur plusieurs personnages, ainsi que la récurrence des mêmes personnages et des mêmes lieux dans des œuvres différentes ; en effet, « l’archaïque étant aussi un style, la résurgence des mêmes personnages dans une sorte d’éternel retour » (p. 166) en constitue une marque de forte cohésion interne. Surtout, l’éternel retour est sacralisé par les cérémonies concernant l’initiation, ce qui boucle parfaitement le discours du critique.
(Mahougnon Kakpo, Poétique baroque dans les littératures africaines francophones. Tome 1 : Olympe Bhêly-Quenum (thèmes et styles), Cotonou, Les Éditions des Diasporas, 2007, 217 pp.)
Liana Nissim, Professeur
d’université, Italie