La regrettable reculade de Yayi
Le président Boni Yayi vient de commettre une nouvelle gaffe politique, en revenant sur une importante nomination, celle de Karim da Silva au poste de grand chancelier de l’ordre national, qu’il était pourtant censé avoir mûri auparavant.
L’une des grandes faiblesses du régime du changement reste indubitablement l’improvisation qui a souvent caractérisé les agissements de son chef, le président Boni Yayi. Le cas Karim da Silva, dont la nomination, par décret, en qualité de Chancelier de l’ordre national, a été rapportée, en est une parfaite illustration. Le chef de l’Etat, en son âme et conscience, a pris la décision de confier la charge de grand chancelier à un citoyen béninois, de surcroît un octogénaire. Une décision matérialisée par la prise d’un décret. Deux semaines plus tard, la même autorité revient sur ses pas, prend un nouveau décret et annule sa décision de nomination. Sans la moindre explication sur les raisons éventuelles à l’origine de cette reculade.
Après la sortie du décret d’annulation, Karim da Silva monte au créneau et déclare sur une chaîne privée, à la surprise générale, qu’il n’avait jamais accepté la proposition de nomination du chef de l’Etat. Il évoque au passage son âge très avancé, 80 ans, et ses nombreuses occupations qui, selon lui, ne lui permettent pas d’accepter une telle responsabilité. Si l’on s’en tient à ce qui précède, c’est que Boni Yayi a nommé Karim da Silva sans avoir obtenu son accord de principe. Dans cette hypothèse, pourquoi ce dernier n’exprime publiquement son refus que seulement après la prise du décret d’annulation ? L’hypothèse qui paraît la plus plausible, et qui semble être retenue au sein de l’opinion, réside plutôt dans l’opposition que cette nomination a suscitée dans l’entourage du chef de l’Etat. Il s’est révélée, et la presse en a largement fait échos, que le choix de Karim da Silva a provoqué plusieurs réactions négatives dans certains milieux politiques et de la part de personnalités non moins importantes, qui se sont révélées des ennemis jurés de l’intéressé. Boni Yayi a donc été l’objet de nombreuses pressions qui, sans doute, l’ont amené à capituler. Les détracteurs de Karim da Silva ont, à l’occasion, abondamment utilisé la presse où il a surtout été présenté, à tort ou à raison, comme un faussaire et un faux monnayeur. Donc un personnage de mauvaise réputation. Soit. Et c’est là que l’attitude du chef de l’Etat est condamnable.
Yayi a cédé aux pressions
En effet, le président de la République ne peut nommer à un poste de responsabilité aussi prestigieux sans avoir pris le minimum de précautions de fouiller dans le passé de celui qui veut avoir sa confiance. C’est une démarche élémentaire qui va de soi. Il y a donc lieu de refuser de croire que Boni Yayi ne savait rien de Karim da Silva, de ce qu’on dit qu’il est ou qu’il a été. Conséquence, il a fait sa nomination en toute connaissance de cause. Le contraire serait regrettable et dangereux pour la République, que le Bénin ait un président qui confie des responsabilités au premier venu, sans chercher à savoir s’il a été un repris de justice, un faussaire ou un criminel. A moins que ce fut une stratégie du chef de l’Etat, lui qui, de jour en jour, se révèle un fin dribbleur, pour se débarrasser d’un élément dont il ne voulait pas en réalité. Si oui, c’aurait pourtant été un faux pas qui en rajoute au sentiment d’improvisation, de manque de méthode ou de légèreté que l’on a des décisions qui sont prises sous le changement.
Malheureusement, le régime de Yayi est coutumier de cette pratique de remise en cause de ses propres actes, donnant l’impression de ne pas les mûrir auparavant. Tout le contraire avec Mathieu Kérékou. Ce dernier a au moins la réputation d’être un orfèvre dans l’utilisation efficace et judicieuse de ses services de renseignement, au point qu’on ne se souvient pas qu’il ait nommé au gouvernement ou à un poste de responsabilité et se soit ravisé plus tard ou céder aux pressions de Pierre ou de Jacques.
Les pressions viennent donc d’avoir de nouveau raison de Boni Yayi, en le contraignant à se remettre en cause, à se dédire. Non seulement son comportement constitue une grande humiliation pour celui qui vient d’en être victime, mais aussi cela affaiblit son régime et entame sa propre crédibilité auprès de ses concitoyens. Ceux dont les menaces l’ont poussé à changer d’avis et qui pensent lui avoir révélé les dessous de Karim da Silva ont à leur compte de nombreux dossiers sales. Lequel de ces hommes politiques qui ont traversé les régimes des années 60 peut prétendre ne pas traîner de lourdes casseroles ?
Alain C. Assogba