Pour un nouveau découpage territorial au Bénin (partie1)
Après la tenue des Etats-Généraux sur la décentralisation et l’administration territoriale qui, après moult péripéties, accoucha difficilement en 1998 des lois sur la décentralisation et l’administration territoriale, il aura fallu 5 années encore avant que ne se tiennent en 2003 les premières élections locales qui virent l’érection des conseils municipaux et de leurs organes exécutifs.
Quant au découpage territorial instituant une nouvelle administration territoriale, il ne fut guère mis en pratique. On se contenta de garder en place les préfets des 6 anciens départements quoiqu’ils soient censés être divisés chacun par deux ; surtout, on se garde de procéder à la désignation des chefs-lieux des 6 nouveaux départements créés, les anciens gardant leur chef-lieu respectif.
Si un découpage territorial s’effectue avant tout dans l’objectif de procéder à un aménagement du territoire dans une visée du développement intégré des régions, le découpage opéré au Bénin, en ne se contentant que de diviser les anciens six (6) départements chacun par deux, sans tenter de corriger les déséquilibres criards nés de la colonisation, a raté les objectifs de ce que devrait être un vrai découpage qui doit se situer dans la finalité politiquement souhaitable d’un aménagement du territoire pertinent.
C’est lorsque 10 ans après le vote des lois sur l’administration territoriale, on a voulu procéder à la désignation des chefs-lieux des nouveaux départements, qu’on a ouvert une dangereuse boîte à Pandore avec des mouvements de contestation et de revendication multiformes. Il n’y a pas à dire : l’actuel découpage territorial est mauvais ; il faut donc dans les meilleurs délais, procéder à un nouveau découpage afin de corriger ses tares et ses insuffisances.
I-UN MAUVAIS DECOUPAGE TERRITORIAL
11-Un mauvais découpage colonial du territoire
L’ancienne colonie du Dahomey devenu territoire de l’Union Française en 1946, était particulièrement mal découpée par l’administration territoriale. C’est ainsi que le soi-disant Nord, espace vaste qui couvre près des 2/3 de la superficie totale du pays, était simplement divisé d’abord en deux cercles, le Nord-Ouest et le Nord-est, puis en cinq (5) :
– Le Nord-Ouest, subdivisé plus tard en cercles de Djoujou et de Natitingou
– Le Nord-Ouest divisé plus tard en cercles de Kandi, Nikki et Parakou
Aux lendemains des indépendances, on ne se donnera pas beaucoup de peine. L’ancien cercle du Nord-Ouest devient le département du Nord-Ouest, puis de l’Atacora en 1965 sous le régime du Général Christophe SOGLO ; l’ancien cercle du Nord-Est devient le département du Nord-Est, transformé en 1965 en département du Borgou. En 1998, on se contenta de diviser ces deux départements en quatre, sans essayer de corriger le découpage difforme effectué dès le départ par l’administration coloniale.
La faute de ce mauvais découpage dans les régions septentrionales du pays est d’abord imputable à la puissance coloniale ; mais les colonisés, lorsqu’ils avaient à l’époque des deux périodes d’autonomie interne (celle de la Loi-cadre en 1957 et celle de la Constitution française de 1958) la possibilité d’opérer des rectifications salutaires, n’avaient rien fait pour corriger ces anomalies. Au contraire, ils mirent fidèlement leurs pas dans les empreintes laissées par l’administration coloniale.
12-Stratégies politiques et technologie électorale du Premier Ministre Sourou MIGAN APITHY
En vertu de l’article 76 de la Constitution française du 4 octobre 1958, l’ex-Dahomey choisit le statut d’Etat-membre de la Communauté le 4 décembre 1958. L’Assemblée Territoriale se transforma en Assemblée Nationale Constituante et le Conseil de Gouvernement, le Gouvernement Provisoire de la République (Conseil des Ministres) avec à sa tête un Premier Ministre. Le 14 février 1959, l’Assemblée Nationale Constituante adopta la première constitution de la Nouvelle République. De nouvelles élections furent fixées au 2 avril 1959.
Auparavant, la Loi N° 59-6 fixant les règles particulières de l’élection des membres de l’Assemblée Législative dispose : « les députés à l’Assemblée Nationale Législative du Dahomey sont élus au scrutin de liste majoritaire à un tour sans panachage, ni vote préférentiel.
Le vote a lieu par circonscription électorale, chaque liste comprend un nombre de candidats égal au nombre de députés à élire dans la circonscription ».
Le décret N° 42 du 13 mars 1959 découpe les circonscriptions électorales d’une manière ouvertement favorable au PRD de Sourou MIGAN APITHY, Premier Ministre et au RDD de Hubert MAGA, au détriment de l’UDD de Justin AHOMADEGBE-TOMETIN. Comme on le voit déjà, même à cette période, la maîtrise de « la technologie électorale » était une arme stratégique pour s’assurer la victoire.
Ainsi face à l’active, encombrante et entreprenante UDD dont l’avancée devenait menaçante pour le PRD, le Gouvernement mit au point le très astucieux découpage électoral suivant.
Seules les deux circonscriptions électorales du Nord (Nord-Ouest et Nord-est) obéissent à peu près à une certaine logique géographique. Dans la partie méridionale du pays, on aurait pu créer une circonscription du Sud regroupant Ouidah, Cotonou, Abomey-Calavi et Allada où les vagues déferlantes de l’UDD à Cotonou et à Ouidah auraient écrasé les localités aïzo d’Abomey-Calavi et d’Allada acquises au PRD. De même, on ne voit pas ce que le Cercle de Zangnanado fait dans la circonscription du Sud-est (Ouémé). Cette forte zone PRD aurait dû faire partie de la Circonscription du centre (Zou), bastion de l’UDD.
Les élections eurent lieu le 2 avril 1959. Nous avons vu par quel artifice, on avait empêché l’UDD de triompher dans la circonscription électorale du Sud-Ouest (Mono). Les deux partis finirent par être au coude à coude (48 970 voix pour le PRD et 48 630 voix pour l’UDD, soit une différence de 340 voix) !
Voici les résultats au départ.
PRD : 37 sièges
RDD : 22 sièges
UDD : 11 sièges
Le PRD ayant la majorité absolue à l’Assemblée Législative, son leader Sourou MIGAN APITHY était en passe de devenir le nouveau Premier Ministre. Il y eut de violents mouvements de contestation électorale en ce qui concerne les résultats de la circonscription du Sud-Ouest où le PRD l’avait emporté dans un mouchoir de poche. En effet, avec une très faible avance de 340 voix, le PRD devrait rafler les 18 sièges de cette circonscription du sud-Ouest (Mono). De ce fait, il détenait à nouveau la majorité des sièges à l’Assemblée Nationale (37 sur 70). Aussi l’adversaire de toujours, le rival abhorré par toute l’UDD, Sourou MIGAN APITHY, deviendrait à nouveau Premier Ministre ! Inacceptable par l’UDD qui créa une agitation sans précédent dans le pays et il n’est guère exagéré de dire qu’on était au bord de la guerre civile.
Mais une fois encore, le génie béninois du consensus et de l’horreur de la violence sanglante, triompha et suite à l’accord de Sèmè entre le PRD et l’UDD, les élections dans la circonscription du Sud-ouest furent annulées et reprises. Les deux partis présentèrent une liste commune aux élections partielles organisées à nouveau dans le Sud-Ouest le 23 avril 1959. Le PRD et l’UDD se partagèrent à égalité les 18 sièges de cette circonscription électorale, à raison de 9 sièges pour chaque parti.
La nouvelle répartition totale des sièges donna :
PRD : ………143 205 voix : 28 sièges
RDD : ………63 728 voix : 22 sièges
UDD : …….. 163 084 voix : 20 sièges
L’Union Démocratique Dahoméenne (UDD) est battue par les deux autres formations politiques alors que c’était le plus grand parti national, le seul qui semblait avoir une vocation nationale en recueillant des suffrages dans tout le pays !
Vu la situation socio-politique tendue dans laquelle se trouvait le pays, toute la classe politique opta pour la solution d’un Gouvernement d’Union Nationale que rejetèrent les nationalistes fédéralistes du PPD/PFA (Emile Derlin ZINSOU, Alexandre ADANDE, Louis Ignacio PINTO). Félix HOUPHOUËT BOIGNY favorisa le rapprochement entre l’UDD et le RDD, devenues deux sections territoriales du RDA et qui détenaient ensemble 42 sièges dans la nouvelle Assemblée Législative contre 28 sièges au PRD. Justin AHOMADEGBE-TOMETIN fut élu le 25 avril 1959, Président de l’Assemblée Législative (68 voix des 68 votants), M. Salomon BIOKOU était Premier Vice-Président et M. MAMA CHABI, 2ème Vice-Président.
Le 22 Mai 1959, l’Assemblée Législative investit Hubert MAGA, Premier Ministre à l’unanimité. C’était un Gouvernement de Coalition tripartite :
– 5 ministres PRD, dont APITHY, Ministre d’Etat sans porte-feuille
– 4 ministres RDD
– 4 ministres UDD
Cependant, cette coalition instable tangua quand le 2 septembre 1959, le PRD se prononça pour l’indépendance nationale alors que l’UDD et le RDD favorables aux thèses de Félix HOUPHOUËT BOIGNY, maintenaient leur attachement à la "Françafrique". Le 18 septembre 1959, Sourou Migan Apithy fut éjecté du Gouvernement.
En octobre 1959, Emile Derlin ZINSOU organisa à Cotonou le Congrès Constitutif du nouveau PPD/PFA, section Dahoméenne du Parti de la Fédération Africaine. Les 11, 12, 13 décembre 1959, le PRD tenait un congrès à Abomey-Calavi suite auquel il se prononça derechef pour l’indépendance immédiate, condition posée par le PPD/PFA à l’adhésion du PRD. Le PRD et le PPD devraient fusionner et donner le PND (Parti des Nationalistes Dahoméens) dont M. Zinsou était Secrétaire Général.
Mais en avril 1960, ceux qui restaient les partisans de la Fédération du Mali (elle était réduite au Sénégal et au Soudan Français) demandèrent et obtinrent l’indépendance ! Les pays du Conseil de l’Entente (Côte d’Ivoire, Niger, Bénin, Haute-Volta) se trouvaient dans l’obligation de suivre la danse et demandaient à leur tour l’indépendance qui pour le Bénin, devrait intervenir le 1er Août 1960.
A ce niveau de notre réflexion, il y a lieu de souligner comment des décisions inspirées par des considération stratégiques de nature politicienne ou coloniale, comme le découpage des circonscriptions électorales de 1959, encouragé et parrainé par le Gouverneur du Territoire du Dahomey, peuvent persister après l’indépendance et se donner une apparence de réalité géographique que rien en fait ne justifie. Il s’agit principalement de ces entités fabriquées de toute pièce, comme notamment le Nord et le Sud.
De ce bref rappel, on peut tirer la conclusion suivante.
Le Nord, le Centre et le Sud du Bénin tels qu’ils sont délimités actuellement, constituent en réalité des divisions géographiques qui sont avant tout des subdivisions coloniales commodes qui répondaient à l’époque à la nécessité de procéder d’une manière ou d’une autre à des découpages de circonscriptions administratives, puis électorales. Mais à l’analyse, le découpage d’avril 1959 qui va pérenniser cette option, ne correspondait à rien de logique. Lors des élections à l’Assemblée Législative d’avril 1959, le Premier Ministre d’alors Sourou MIGAN-APITHY aidé par l’Administration coloniale plutôt favorable au tandem APITHY-MAGA et totalement hostile à Justin AHOMADEGBE-TOMETIN et sa remuante UDD, opéra comme on l’a vu, le découpage des circonscriptions électorales comme suit:
– le Nord-ouest, 12 sièges ;
– le Nord-est, 10 sièges ;
– le Centre, 11 sièges ;
– le Sud-est, 19 sièges ;
– le Sud-ouest, 18 sièges.
Comme on était sûr que Hubert Koutoukou MAGA allait s’imposer dans les deux "Nord", de par les effets ethno-régionalistes laissés par l’ancien Groupement Ethnique du Nord, l’appellation que se donna au départ le parti de l’ancien instituteur de Natitingou, on laissa à sa disposition les deux vastes circonscriptions électorales du Nord-Ouest et du Nord-Est qui à elles deux, donnaient au leader incontesté du Nord, 22 sièges ! Sourou MIGAN APITHY, fin stratège politique, en fit ipso facto son allié ; en attendant le revirement d’alliances induit par Félix HOUPHOUET-BOIGNY qui fit tout pour favoriser le rapprochement entre l’UDD et le RDD, deux sections territoriales du RDA.
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