Des films tournés en désordre faute de loi pour organiser le secteur
Le cinéma béninois sort peu à peu d’un sommeil profond. L’émergence de la vidéo a consacré l’inactivité des salles de cinéma jusqu’à leur disparition. Les films volent de succès en succès, consommés par le public qui n’est pas exigeant sur la qualité. D’où la nécessité de doter le secteur d’une loi.
La démonopolisation des ondes en 1990 a ouvert les yeux à une véritable révolution au niveau de l’audiovisuel. A la multiplication des chaînes de télévision, s’ajoute la naissance de structures de production de films. Les réalisateurs poussent comme des champignons. Beaucoup de comédiens se convertissent en acteurs de cinéma. Tous s’approprient les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Tous sont au numérique. Sans chercher fondamentalement à connaître les règles de l’art. Les films naissent seulement, sur support Vcd. Ils pullulent sur les grands carrefours dans les mains de vendeurs à la criée, âgés entre quinze (15) et trente (30) ans. Progressivement, les salles de cinéma se vident. Des magnétoscopes Vcd de fabrication chinoise à vil prix envahissent le marché. Ils consacrent la fermeture définitive des salles de cinéma. Le montant pour s’offrir l’entrée dans une salle vaut le prix d’un Cd.
«L’essentiel aujourd’hui est de produire pour occuper l’espace audiovisuel envahi par les productions d’ailleurs», commente Brice Brun, professionnel de l’image. «Si la qualité de ces productions embarrasse parfois les professionnels avertis, force est de reconnaître que le public semble apprécier les histoires qu’elles portent» note Kokouvi Eklou, journaliste culturel.
Grâce Agnila est de la compagnie de théâtre et de cinéma Sèmako Wobaho. Elle est l’une des plus grandes comédiennes du groupe. Chaque année, cette compagnie tourne deux à trois films. Entre autres, des séries et des longs métrages. La langue utilisée est le Fon, langue essentiellement parlée dans le sud et le centre du Bénin. Ils essayent, autant que faire se peut d’y ajouter du français en appui ou en sous-titrage. «Pour tourner un film, quelqu’un du groupe donne l’idée générale. On crée les personnages et chacun prend celui qui lui correspond. Arrivé sur les lieux du tournage, chacun improvise pour la suite. Et, d’improvisation en improvisation, le film naît.»
Le même scénario se produit avec la compagnie Aziza Plus. A cause de la difficulté à concevoir professionnellement un scénario, les membres de la compagnie se sont désormais tournés vers la critique de la politique nationale. Ils suivent l’actualité de bout en bout. Actuellement, ils évoluent dans une série intitulée «Monsieur le Président».
Les compagnies de théâtre qui versent dans le cinéma sont ainsi nombreuses: Oncle Bazard, Les Echos de la capitale (une troupe féminine), Sans soucis, etc. Ce qui désole le directeur de la cinématographie, Akambi Akala. Il souligne: «L’art et la technique du film constituent un métier et il ne suffit pas d’avoir une caméra pour déverser sur le marché n’importe quoi. Il y a trop d’aventuriers et de magiciens dans ce secteur.»
Des indices pour un nettoyage du secteur
Soucieux, comme le directeur de la cinématographie, de la professionnalisation du secteur, Jean Odoutan (réalisateur de longs métrages) a créé le festival international de film de Ouidah, Quintessence. Depuis sept ans qu’il organise le festival, il fait projeter au public des films aussi bien béninois, africains que d’autres continents. L’objectif de Jean Odoutan est de présenter «le plus grand nombre possible de films au public béninois». Mais pas n’importe quoi. Des films réalisés sur des supports professionnels comme le photochimique. Pour ce faire, il organise des ateliers d’écriture de documentaire et de critique de film pendant le festival.
Dans ce même ordre, Monique Phoba, congolaise d’origine, a créé Lagunimages. La quatrième édition qu’elle a organisée en 2007 avant de quitter le pays était placée sous le thème «L’année du Bénin». Elle y a présenté 9 films et séries télévisées: «Les inséparables» de Christiane Chabi Kao, «Abéni, Le chemin étroit» de Tundé Kelani, «Allo cousin», de Clovis Agbahoungba, «Juste un peu d’amour» de Jemima Catrayé, «Gbêhanzin, le rêve inachevé» de André Marie Johnson, «Un trésor dans la poubelle» de Chantal Mêlé, «Akoba» de Wilfried Agbadogbé et «Crânes épais… Lèvres fausses» de François Okioh.
En août 2008, Elvire Adjamonsi est rentrée de la République centrafricaine avec «@fricourt». Son ambition est d’aider les cinéastes débutants à se familiariser avec la profession à travers le court métrage.
Dans l’optique de la relance du cinéma béninois, l’Etat a octroyé à la Direction de la cinématographie, 175 millions pour l’acquisition de matériel de production et de post production. Ce matériel est mis à la disposition des cinéastes qui disposent d’un «projet sérieux de production». Des opportunités sont offertes à ceux-ci notamment les jeunes réalisateurs de se faire former sur place et de disposer de creusets d’échanges sous régionaux avec d’autres acteurs du métier à l’occasion des rencontres cinématographiques tels que Clap Ivoire à Abidjan, Fespaco à Ougadougou.
Mais jusque-là, le secteur n’est pas codifié. Beaucoup de pagaille s’observe avec les vidéastes. Sentant déjà venir cette situation, la Direction de la cinématographie a introduit en 1990 une loi portant Code de la cinématographie à l’Assemblée nationale (alors Haut Conseil de la République). Mais le Code, voté en 1998, n’a pu être promulgué par le Chef de l’Etat pour vice de procédure. Suivant les explications du directeur Akambi Akala, «le texte a été rejeté par la Cour suprême parce qu’il n’a pas reçu préalablement son avis motivé ni l’avis consultatif de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac). Ce qui est contraire à la Constitution.» Or, précise-t-il, en 1990, au moment où la direction de la cinématographie introduisait la loi, aucune de ses deux institutions étatiques de régulation n’était encore créée.
Cependant, obligé de se conformer à la décision de la Cour, le texte a été repris et la nouvelle mouture se trouve actuellement dans les dossiers de la haute juridiction pour son avis motivé, l’étape de la Haac étant déjà franchie. C’est suite à cela qu’il va être retourné sur la table des députés pour un nouveau vote.
Fortuné Sossa
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