Le bilan de Boni Yayi au scanner
Voici trois ans jour pour jour que le Bénin a mis un terme, démocratiquement, à la longue ère Mathieu Kérékou, consacrée par l’avènement au pouvoir du président Boni Yayi. Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous le pont, en dépit du changement prôné par ce dernier qui a suscité assez d’espoir chez les Béninois.
A deux ans de la fin de son mandat, des incertitudes planent sur la survie de son régime, en dépit de ses performances économiques. La principale raison de ce paradoxe, réside dans sa gestion catastrophique de la classe politique, doublée d’une méthode de gouvernance improvisée, émaillée d’improvisations.
Boni Yayi boucle ce jour la troisième année de son mandat à la tète du pays. Cela mérite que l’on s’arrête pour faire une pose, le temps de tirer quelques conclusions partielles. En terme de bilan, les avis sont très partagés et pour cause. A l’heure où l’on célèbre le troisièmè anniversaire de l’investiture de Boni Yayi, ce qui occupe les conversations des Béninois, c’est incontestablement, l’actualité politique dans le pays. Depuis bientôt deux ans, le régime du changement est confronté à une crise politique sans précédent. Cette situation, du fait que le pouvoir en place a perdu la majorité à l’Assemblée nationale ; avec pour première conséquence, la naissance du G13, un groupe de 13 députés entrés en rébellion, et puis après, la radicalisation de la position de ses anciens alliés, Rb, Madep et Psd, qui se sont constitués en G4 avec le Prd.
Le régime du changement entre alors dans une zone de turbulence, avec comme caractéristiques deux ordonnances coup sur coup en 2008, la désignation controversée des membres de la Cour constitutionnelle, l’instabilité quasi permanente au sein du Parlement et une campagne politico-médiatique de dénigrement systématique de ses actes par ses adversaires du moment. Si, du coté de l’opposition non déclarée il est reproché à Boni Yayi son manque de sincérité et sa mauvaise foi par rapport à ses engagements, aux yeux l’opinion, il s’est illustré par sa méthode de gestion caractérisée par l’improvisation dans la prise des décisions et l’absence perceptible d’une organisation structurée des affaires de l’Etat. Ainsi, au plan politique, et en moins de deux ans, Yayi a réussi l’exploit d’unir contre sa personne et son régime tous ses alliés de la classe politique qui l’ont soutenu en 2006. Parlant de sa méthode de gestion, on observe avec désolation le désordre qui se crée dans les ministères. En effet, dans les gouvernements du changement, les ministres n’ont généralement pas le pouvoir de former les cabinets, leurs collaborateurs leur étant directement recommandés par des lobbies installés à la présidence de la République. Pour ce qui est de la lutte contre la corruption et l’impunité, la protection que le gouvernement accorde aux personnes concernées montre que ce chantier est proprement rangé dans les placards.
Cependant, malgré les faiblesses précédemment énumérées, il existe plusieurs performances positives à mettre à l’actif du pouvoir du changement.
Des performances socio-économiques.
Le pouvoir de Boni Yayi aurait été acclamé par tous les Béninois s’il n’avait fait une piètre gestion de la chose politique et des ressources humaines. Car, au plan économique et social le bilan, son bilan après ans de règne, est largement appréciable. Dans ce registre, on cite volontiers le montant du Budget de l’Etat qui est passé du simple au double, de 600 milliards à plus de mille milliards 200 millions, le programme du micro crédit aux plus pauvres, lequel, quels que soient ses imperfections, a pourtant donné le sourire à plusieurs centaines de milliers de femmes. Au plan social, on note que beaucoup de revendications des travailleurs ont été prises en compte, même si pas entièrement. A ces énumérations, on peut ajouter les réalisations infrastructurelles, notamment de nombreuses écoles et routes construites à travers le pays, surtout à Cotonou, qui à sensiblement changé de visage.
Mais quelle garantie ces réalisations offrent-elles à Boni Yayi par rapport à 2011 ? La balance entre ses succès et ses contre-performances peut-elle lui assurer une réélection paisible au palais de la Marina ? Difficile d’y répondre par l’affirmative. Pour y arriver, il lui faudra, entre autres, revoir toute sa stratégie politique, prendre en compte les critiques sur sa méthode de gouvernance, assainir son entourage, discipliner sa troupe réunie au sein des Forces cauris pour un Bénin émergent (Fcbe) et travailler à améliorer son image qui le présente comme un homme sans parole ; sans oublier de s’assurer de ses relations personnels aves les collègues chefs d’Etat des Etats voisins. En outre, Boni Yayi doit veiller à asseoir une collaboration plus responsable avec les partenaires sociaux dans la gestion de la satisfaction des revendications des travailleurs. Et, pour en finir, il doit avoir à l’esprit qu’il aura des challengers de taille en 2011, au nombre desquels un certain Abdoulaye Bio Tchané.
Alain C. Assogba
La lutte contre l’impunité en lambeaux
En 2006, à son avril au pouvoir, le président Boni Yayi avait promis au peuple béninois une lutte sans faille contre l’impunité. Il avait le soutien du peuple et de la société civile. Pour montrer ses capacités à combattre le phénomène en vue du développement du pays, le nouveau premier magistrat de la République a mis la main sur le président directeur général de la Continental des pétroles et investissements (Cpi), Séfou Fagbohoun, dans le cadre de l’affaire-Sonacop (Société nationale de commercialisation des produits pétroliers). C’était un coup de tonnerre. C’était ce qui justifiait sa grande popularité à l’époque.
Très tôt, la lutte contre l’impunité s’est relevée comme une pure illusion. La précipitation, l’impréparation, le non-respect des textes de la République, le cafouillage, la protection des alliés politiques, le cafouillage, l’improvisation, la navigation à vue et les agitations stériles ont fini par enterrer la volonté affichée du chef de l’Etat à combattre cette pratique. L’affaire-Sonacop qui a conduit Séfou Fagbohoun et ses co-accusés en prison, a été un échec pour le régime du changement. Les mis en cause sont sortis de leur cellule sans aucune charge. Aujourd’hui, on n’en parle plus. Sur coup de tête, le président Yayi demanda la démission d’offre du député Issa Salifou, sous prétexte qu’il cumule ses fonctions parlementaires à ses activités professionnelles. Le non-respect de la procédure par le gouvernement a fait enterrer ce dossier. Au contraire, M. Salifou s’en est sorti célèbre, car le peuple voyait dans ce dossier un acharnement contre sa personne. La preuve est que son parti politique a créé des ennuis au gouvernement aux élections législatives de mars 2007 dans le septentrion. Après avoir subi un échec cuisant dans cette affaire, le chef de l’Etat, pour montrer qu’il est résolument engagé dans la lutte contre l’impunité sans considération politique, réclama la levée de l’immunité parlementaire des députés Célestine Adjanohoun et Santa’na da Matha, qu’il a positionnés sur la liste-Fcbe, alors que le peuple savait que les intéressés étaient accusés de détournement à la Société béninoise d’énergie électrique (Sbee). Le non-respect de la procédure en vigueur a bloqué le dossier. Ces députés sont encore en liberté jusqu’aujourd’hui et sont au service du président Yayi. C’est Célestine Adjanohoun qui a remis une certaine clé de Ouidah au premier magistrat de la République, à la présidence, il y a quelques jours. Aujourd’hui, la plupart de ceux qui ont commis des crimes économiques bénéficient de la protection du nouveau régime. Le comble est que l’ancien directeur général de la Société béninoise des eaux du Bénin (Soneb), Alassane Babamoussa, réclame meme des primes et indemnités, que le ministre des Mines et de l’énergie, Sacca Lafia, s’apprête à lui payer, alors qu’il a été limogé en conseil des ministres pour faits graves.
De nos jours, les populations se posent des questions. Que sont les résultats des audits de l’administration publique ? Que fait-on des investigations de l’Inspection générale de l’Etat (Ige) ? C’est la preuve que la lutte contre l’impunité, après trois ans de gestion du pouvoir d’Etat par le président Boni Yayi, a connu un échec sans précédent. On dirait même que l’on fait l’apologie de ce crime. L’autre n’a-t-il pas raison d’affirmer que les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient ? .
Benoît Mètonou
Bilan politique catastrophique pour Yayi
6 avril 2006-6 avril 2009. Il y a trois ans que le président Boni Yayi a été élu à près de 75% à la tete du pays. Dès sa prise de fonction, il était considéré comme un messie pour atteindre les objectifs du peuple. La classe politique nationale était à ses cotés. Et pour cause ! Au second tour de l’élection présidentielle, tous les candidats malheureux ont appelé leurs militants à voter Yayi contre son challenger du Parti du renouveau démocratique (Prd), Me Adrien Houngbédji. C’est ainsi que Lazare Sèhouéto, Séverin Adjovi et d’autres l’ont soutenu. Mais, le ralliement du groupe Wloguèdè constitué de Bruno Amoussou (16%), Léhady Soglo (8%) et Kolawolé Idji (3%) a été très déterminant dans la victoire du président Boni Yayi. Avec ses bases politiques, beaucoup d’observateurs de la vie politique nationale croyaient que c’était le début d’un parfait amour entre les ténors politique et le nouveau d’Etat.
Très tôt, la bonne ambition du départ s’est effritée à la formation du tout premier gouvernement du président Yayi. Bien que le Madep, la Rb et le Psd soient représentés dans l’exécutif, des mécontentements se sont faits observer dans le rang des leaders politiques, à cause du non-respect des accords, a-t-on dit. Malgré cela, personne n’osait attaquer ouvertement le nouveau régime, puisque le président Yayi continue de bénéficier d’un enthousiasme populaire. Sans faire des déclarations, tout le monde savait que les différentes coalitions n’étaient plus en odeur de sainteté avec le nouveau pouvoir.
Faux pas
Le chef de l’Etat était le premier à asséner un coup dur à la classe politique par l’arrestation spectaculaire de Séfou Fagbohoun. C’était un coup de tonnerre. Pourtant, il n’y avait pas de vives réactions, car le peuple le soutenait dans sa volonté affichée de lutte contre l’impunité. Quand bien même le gouvernement était soutenu par les populations, le Prd de Me Adrien Houngbédji était le premier à jeter des pierres dans le jardin du changement lors de son université de vacances tenue à Lokossa en septembre 2006. Les termes impréparation, précipitation, navigation à vue, cafouillage et improvisation sont utilisés pour dénoncer le régime avaient suscité des réactions diverses et variées. Conseillers, ministres, députés de la mouvance et meme la classe politique ne lui avaient pas fait de cadeau. On lui demandait de déclarer son opposition à Boni Yayi. De jour en jour, la situation politique se dégradait. Le premier coup des leaders politiques contre le régime du changement était la révision de la Constitution par l’Assemblée nationale pour proroger le mandat des députés. La société civile encore pro-Yayi, à l’époque, et certains hommes politiques proches du pouvoir avaient réagi et saisi la Cour constitutionnelle. A partir de là, la guerre était ouverte. C’est ainsi que des attaques fusaient de toutes parts avec la radicalisation des positions. Le chef de l’Etat a alors mis en branle sa politique de déstabilisation de la classe politique nationale. Dans la foulée, les Forces cauris pour un Bénin émergent (Fcbe) sont créées pour le soutenir. Par cette stratégie, le nouveau régime voulait avoir à compter sur sa propre famille pour mener sa politique de développement. Voyant le danger, des regroupements ont commencé par naitre pour faire front aux cauris. Alors, la tension est montée d’un cran aux élections législatives de 2007. Le chef de l’Etat rentre directement en campagne contre ses adversaires. « En 2006, vous m’aviez donné la valise. Je vous demande maintenant la clé pour l’ouvrir », déclarait-il aux populations pour montrer qu’il avait besoin du soutien du Parlement pour lutter contre l’impunité et la corruption. Ses adversaires criaient à la dictature si le pouvoir législatif était concentré dans la main du gouvernement. La tension était sur le terrain.
Crise au Parlement
Au finish, les Fcbe s’en sont sortis avec 35 députés et les leaders politiques en ont obtenu 48. N’ayant pas réussi son coup, le président Yayi était contraint à la négociation pour avoir le perchoir de l’Assemblée nationale. Bruno Amoussou, soutenu naturellement par les 20 députés de son alliance et les 10 du Prd, pouvait avoir d’autres alliés à ses cotés pour atteindre son objectif. Mais, c’était sans compter avec la ruse du changement qui est parvenu à mettre sous ses bottes un groupe de 13 députés par un accord de législature. Le jeu fut fait et Mathurin Nago est élu président du Parlement contre Bruno Amoussou. A partir de cet instant, le gouvernement avait la majorité au palais des gouverneurs à Porto-Novo. Quelques mois après, des voix ont commencé par s’élever contre une certaine violation des accords de législature. En plus, le régime en place, voulant tout contrôler, cherchait à mettre un embargo sur l’indépendance des partis politiques alliés et non Fcbe. C’est ainsi qu’une nouvelle guerre s’est éclatée avec la création du G13 au Parlement. L’alliance Force-clé, ne trouvant plus ses intérêts sans le nouveau système, a rejoint les forces anti-cauris. La majorité a changé de camp. Et, le président Boni Yayi a commencé par rencontrer ses grandes difficultés. La crise politique s’est aggravée. Le 12 mars 2008, le G4 composé du Prd, du Madep, du Psd et de la Rb a vu le jour à Cotonou. C’était un grand rassemblement des forces anti-Yayi où des critiques acerbes ont été émises contre la gestion des affaires publiques par les autorités du pays. La crise s’enlisait encore. Les tentatives pour ramener la balle à terre ont échoué, car il y a crise de conscience entre les deux camps. Le Parlement est bloqué à cause des querelles politiciennes. Mathurin Nago, voulant protéger les intérêts de son chef par l’instrumentalisation de son institution au profit du pouvoir en place, était sous menace de destitution. Cette affaire avait agité l’opinion pendant des mois. La crise s’est intensifiée au palais des gouverneurs. C’était l’ère des ordonnances pour le gouvernement. En trois ans de gestion des affaires publiques, le président en a pris cinq ordonnances contre deux pour Nicéphore Soglo en cinq ans et deux pour Mathieu Kérékou en dix ans. La situation s’est aggravée avec la non installation de plusieurs conseils communaux par le pouvoir en place, au lendemain des élections communales et municipales qui ont permis à l’opposition de contrôler les régions stratégiques du pays.
La situation est devenue de plus en plus préoccupante, après le séminaire des G4, G13 et Force-clé. Les forces anti-Yayi ont ouvertement affiché leur volonté d’opérer l’alternance au sommet de l’Etat en 2011. Une série de débauchages s’est ouverte. Des démissions s’observent dans les camps. C’est l’ère de la transhumance au Parlement et la crise se cristallise.
Jules Yaovi Maoussi