La sagesse des nations nous l’enseigne : « Si ce que tu as à dire n’est pas plus important que le silence, alors tais-toi ». Précieuse leçon de vie qui fixe les conditions à réunir, les exigences à observer si l’on veut prendre la parole ou si l’on se veut porteur d’une parole, de la parole publique notamment.
Car l’arène publique bruit de discours multiples et divers, sans que ceux qui l’animent, en tenant ainsi le crachoir, aient toujours une claire conscience de leur responsabilité.
Pourquoi des acteurs de premier plan qui avaient eu longtemps le privilège, dans l’espace public de notre pays, de capter l’intérêt et l’attention de leurs compatriotes, se taisent-ils soudain ou perdent-ils subitement la voix ? N’ont-ils plus rien à dire qui soit plus important que le silence ? Ont-ils jamais eu quelque chose à dire qui soit vraiment important ? Ne sont-ils pas plus importants dans le silence que dans la parole ?
En observant notre scène publique, il y a des cas de silence qui troublent. Ces cas ne peuvent manquer d’interpeller, de nourrir la réflexion en vue de cerner la dialectique du silence et de la parole, deux pôles d’une seule et même réalité qui n’est que la vie. Car il vaudra toujours mieux se tailler la réputation de quelqu’un qui tient parole ou qui n’a qu’une parole que de se mettre sous la tutelle de la loi du silence ou de se commettre à la conspiration du silence, toutes postures pas très catholiques et qui cachent quelque chose.
Le premier cas qui nous vient à l’esprit, dans ce jeu subtil de la parole et du silence, c’est celui de Lionel Agbo. Nous avons affaire à un homme de la parole, au sens bambara de maître de la parole. C’est toujours un régal d’entendre cet homme dont l’atout maître sur la scène publique, dans l’arène politique, demeure sa grande capacité à dire et à bien dire.
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Il fut alors l’un des tout premiers jeunes Béninois à tutoyer la fonction présidentielle en se portant candidat à l’élection de 1996. Il fut aussi chef de parti politique lancé à l’assaut du pouvoir d’Etat. Les consommateurs des produits GSM ne sont pas prêts d’oublier qu’il fut leur défenseur le plus constant et le plus éloquent.
Avec ces différentes casquettes, l’homme avait une arme redoutable, sa parole qu’il avait des raisons de croire plus importante que le silence, synonyme, dans le cas d’espèce, d’indifférence voire de trahison. Il avait le sentiment d’être en mission et portait sa parole comme une récade, du nom de cette petite canne qui servait de sauf-conduit aux émissaires des rois de l’ancien royaume du Danhomê.
Mais depuis, plus rien. L’homme semble avoir disparu, corps et biens, dans l’océan d’un immense silence. Les héros sont-ils fatigués ou ont-ils donné leur langue au chat ? Qui a pu faire taire celui qui a laissé ainsi et depuis orphelins les consommateurs des produits GSM ?
Le deuxième cas est celui de Roger Gbégnonvi. Comme membre en vue de la société civile, il était une étoile qui brillait dans le vaste ciel. Au vrai, l’homme incarnait les aspirations et les attentes du plus grand nombre de nos compatriotes. Et il savait les exprimer par sa plume enchantée, par sa verve intarissable. Il était présent sur tous les fronts, visible sur tous les médias, nanti d’une parole forte, parfois inspirée, toujours engagée.
Tout d’un coup, l’homme bascula, rentra au gouvernement. Mais aussi dans des liens de solidarité qui réduisent forcément les marges de manœuvre. Mais encore dans des complicités de pouvoir qui imposent naturellement une certaine obligation de réserve. L’ancien militant de la société civile marquait désormais le pas derrière l’homme politique avant qu’il ne s’essoufflât et que sa voix ne s’enrouât. On ne peut servir deux maîtres …
Ce dédoublement désormais difficile, a pour résultat une parole embrouillée, sur l’image brouillée d’un homme qui s’est condamné à se débrouiller, vaille que vaille, pour sauver, en termes de crédit personnel, ce qui peut encore l’être.
En vérité, la dialectique de la parole et du silence, dans toute société, procède toujours par catégorisation, en déterminant différents types de citoyens. Il y a, d’une part, ceux qui n’ont plus rien à dire, ayant épuisé le registre de leur discours. C’est justice qu’ils se taisent ou qu’ils se contraignent au silence. A cours de munitions, le chasseur doit renoncer à la chasse et rentrer à la maison. Il y a, d’autre part, ceux qui ont encore quelque chose à dire, mais qui payent ou qui se rachètent désormais par le silence le fait d’avoir eu à trahir leur parole. Pour dire que la parole est à l’image de l’huile qui, renversée, ne se ramasse plus. Il y a, enfin, ceux qui n’ont jamais rien dit de bon et dont le silence a quelque chose de bon, a valeur, pour eux-mêmes, d’un remède salvateur. Si la parole est à exiger comme un droit, le silence est à prescrire comme un devoir.
Jérôme Carlos
La chronique du jour du30 avril 2009