Entretien avec Bruno Amoussou, ancien Pdt de l’Assemblée nationale du Bénin

/food/amoussou1.jpg » hspace= »6″ alt= »B. Amoussou » title= »B. Amoussou »  » />«Il ne faut pas changer les règles du jeu au cours du jeu»

Bruno Amoussou, Secrétaire général du Parti social démocrate (Psd), ancien président de l’Assemblée nationale du Bénin, arrivé en troisième position lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2006, avait appelé à voter Boni Yayi lors du second tour.
Quelques mois après, il entre en désaccord avec le Président élu et s’allie avec des partis de l’opposition et l’ancien Président Nicéphore Soglo. M. Amoussou parle ici des menaces qui planent sur la démocratie béninoise, livre ses impressions sur le projet des Etats-Unis d’Afrique. De passage à Dakar lors la dernière réunion de l’International socialiste, il en a profité pour présenter son ouvrage l’Afrique mon combat.

En 2006, vous aviez soutenu le Président Boni Yayi lors du deuxième tour de l’élection présidentielle. Quelques mois après, vous êtes passé dans l’opposition en dénonçant le recul de la démocratie au Bénin. Quels sont les faits qui sous-tendent votre position ?
Dans les débats de la conférence à laquelle je participe ici, je vois que beaucoup se réfèrent au cas béninois comme un exemple de démocratie. Alors je dis : «Vivement, que Dieu les entende et que ce qu’ils disent soit vrai pour longtemps encore.» Parce qu’il y a des menaces réelles sur l’avenir de la démocratie au Bénin. Les nouvelles autorités veulent, par une démarche forcée, prendre le contrôle des institutions du pays et discipliner ou normaliser la démocratie afin qu’elle rentre dans le moule de qui se passe en général dans les pays africains. Et ce que vous considérez comme la spécificité béninoise est en train d’être attaqué fortement. La lutte que je mène au Bénin avec d’autres forces politiques n’est nullement orientée contre le régime du Président Boni Yayi. Chaque fois que quelqu’un voudra modifier les règles du jeu qui lui ont permis d’accéder au pouvoir, dans le but d’empêcher d’autres d’en bénéficier, je le combattrai. Il ne faut pas changer les règles du jeu en cours du jeu. Donc, le combat que nous menons est pour la pérennité  des normes démocratiques dans le pays.

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Donnez quelques exemples de menaces qui planent sur la démocratie…
Des exemples, il y en a à foison. Tout dernièrement, un ministre du gouvernement en meeting politique dans sa région a déclaré : «Je veux affirmer haut et fort que si quelqu’un vient parler ici, d’une autre personne que le président de la République, il aura à faire aux populations d’ici.» Et pis, il n’y a eu aucun commentaire officiel sur ces propos. Lorsque les gens ont commencé à dénoncer ce discours, le porte-parole du gouvernement a tenté de banaliser. Mais en réalité, c’est extrêmement grave, parce que c’est une menace pour l’unité nationale. Lorsqu’on peut interdire aux citoyens d’aller dans telle ou telle autre localité, parler des personnalités politiques de leur choix, ne trouvez-vous pas que c’est suffisamment préjudiciable à la stabilité du pays ?
Un autre exemple : depuis mars 2008, nous avions fait les élections locales, et jusqu’à présent, nous n’avons pas encore fini d’avoir les résultats et d’installer les maires. Cette situation perdure parce que le gouvernement s’oppose à l’installation de certains maires, en violation de toutes les lois en la matière. Nous considérons que c’est une menace grave pour la démocratie. Lorsque c’est le gouvernement lui-même qui s’oppose à l’application des lois, il n’y a plus de repères ; ce qui peut engendrer la dérive. Même avant cette étape, le gouvernement voulait faire reporter les élections prétextant qu’il n’avait pas les moyens pour les organiser. C’est seulement à quelques jours du vote que l’argent a été débloqué et les choses se sont faites dans la précipitation. Ces éléments constituent des turbulences politiques nouvelles que le pays n’avait jamais connues.
D’autre part, la Cour constitutionnelle prononce des décisions qui ne sont pas facilement intelligibles. Par exemple, elle demande à l’Assemblée nationale de tenir compte désormais de la majorité et de la minorité avant de désigner à l’avenir les membres qui doivent la représenter dans les institutions. Cela est nouveau parce que la Cour elle-même n’a pas été installée sur cette base. Tous les membres qui y siègent sont de la mouvance présidentielle. Maintenant que les choses ont changé au parlement, elle estime que, pour les autres institutions, il faut changer les règles du jeu. Et ses décisions sont sans recours. Je ne dis pas qu’elle a mal fait, seulement, ses arrêts ne sont pas facilement intelligibles. On ne comprend pas toujours et c’est pour tout cela que nous disons qu’il y a de gros risques pour notre démocratie. Ce sont là quelques exemples, sinon, ma liste est très fournie et je peux encore vous en donner.
Pour ce qui concerne les déclarations incendiaires du ministre, l’Assemblée nationale a interpellé le chef de l’Etat, encore chef du gouvernement, afin qu’il vienne s’expliquer devant les députés sur l’attitude de son serviteur. On l’a aussi convoqué parce qu’il est censé être le garant de l’unité nationale.

En 2011, il y aura de nouvelles élections présidentielles au Bénin. Et on sait que, les grands acteurs politiques sont actuellement en opposition au Président Boni. Prévoyez-vous présenter un candidat unique pour lui ? Aussi Abdoulaye Bio Tchané l’actuel président de la Boad s’annonce. Une alliance avec lui pour faire échouer votre adversaire commun est-elle possible ?
Nous nous efforçons de dégager un candidat pour les partis qui constituent ce qu’on appelle, chez nous, l’opposition non déclarée. Et cela, parce qu’on n’est pas allé revendiquer des titres  d’opposants au ministère de l’Intérieur. Le vocabulaire consacré pour nous désigner, c’est «opposition non déclarée» ; mais cela ne gène personne,  parce que si ce que nous disons est accepté par les populations, ce n’est pas une déclaration qui changera quelque chose. Le plus important, c’est le combat politique que nous menons. Au Bénin, nous nous battons pour un rassemblement des forces politiques de l’opposition afin d’avoir un candidat unique à l’élection présidentielle et une seule liste aux élections législatives puisque les deux scrutins se dérouleront presque au même moment. Le processus de désignation de ce candidat n’a pas encore abouti ; nous y sommes et dans les mois à venir, on va y arriver. Je suis très optimiste par rapport à ce point-là.
Que Abdoulaye Bio Tchané, l’actuel président de la Boad se lance dans la course, c’est une bonne chose. On verra bien au moment venu, quel arbitrage faire pour que nous ayons un nombre raisonnable de candidats à la Présidentielle.

Parlons un peu des questions africaines. Que pensez-vous du projet du gouvernement africain ?
D’abord sur la question du gouvernement africain, je suis désolé de voir que le débat est biaisé par le Président Kadhafi. C’est celui qui en parle le plus, mais il le fait dans des conditions qui personnalisent le sujet et le dévient de l’essentiel. Comme le Président Nkrumah du Ghana qui rêvait d’un gouvernement continental, aujourd’hui comme hier, c’est un objectif que nous devons atteindre nécessairement. Mais, il faut du cheminement pour y arriver, je suis de ceux qui pensent qu’il faut passer par les unions régionales. Nous devons commencer par des unions régionales, avant d’aboutir à un gouvernement continental. Cela n’empêche que nous puissions avoir des structures au niveau du continent qui nous permettront d’harmoniser nos points de vue. De façon opérationnelle, même si nous voulons aller assez vite, nous ne pouvons pas faire l’économie de l’étape régionale. Et lorsque j’assiste à des congrès, je me rends bien compte qu’il y a quand même une homogénéité de points de vue en Afrique de l’Ouest sur cette option. Je regrette qu’au niveau de l’Union africaine, les débats prennent des allures très passionnelles et que l’intérêt majeur des peuples semble être relégué au second plan.
Mais avec le développement actuel de la situation dans le monde, cela nous poussera à aller plus vite que nous pensons le faire aujourd’hui. Et c’est cela qui me donne de la confiance.

Le Niger, un pays voisin du Bénin, traverse depuis un bon moment, une crise politique liée à la prochaine élection présidentielle. Quelle lecture en faites-vous ?
Je suis très préoccupé en tant que voisin du Niger, mais aussi, démocrate. Honnêtement, je ne comprends pas très bien la démarche du Président Tandja. Je le connais bien ; nous avions eu beaucoup des discussions ensemble, mais je ne peux pas cacher ma surprise de voir la direction dangereuse dans laquelle il engage son pays. Il a contribué, comme d’autres, à améliorer la situation économique et politique au Niger. Je souhaite que ce ne soit pas de son fait que le pays entre dans une zone de turbulence dont l’issu reste à déterminer. C’est pour cela que j’appelle tous les démocrates qui peuvent agir, d’intervenir au Niger pour que le Président Tandja revienne à ce que j’ai toujours admiré en lui. C’est quelqu’un qui est non seulement soucieux de l’intérêt du Niger, mais aussi, de la cohésion de notre sous-région.

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Par ailleurs, sur le continent, la nouvelle trouvaille des dirigeants, c’est qu’ils se battent pour se faire succéder par un fils ou un proche immédiat. Comment interprétez-vous ce fléau ?
C’est parfois une question de recherche de sécurité en pensant s’assurer la protection de son successeur après une gestion douteuse. C’est la raison qui pousse les gens à se battre pour être nécessairement remplacés par des proches : un fils, un frère, un cousin ou quelqu’un du même clan religieux ou politique. Il faut réfléchir sur la manière dont nous devons conduire la gouvernance de nos pays pour que ceux qui quittent le pouvoir puissent continuer à se promener tranquillement sans aucune inquiétude, avec le sentiment du devoir bien accompli. Les anciens Présidents des Etats-Unis vont et viennent sans problème ; ceux de la France sont aussi libres. Quelques uns au Bénin ne craignent rien. Souhaitons qu’il en soit ainsi partout dans nos sous-régions. Si nous arrivons à cette situation, on aura un continent un peu plus apaisé.

La mort du Président gabonais Omar Bongo a relancé le débat sur la Françafrique. Etes-vous de ceux qui pensent que c’est la fin de ce système ?
La disparition du Président Bongo a donné lieu à toutes sortes de débats sur ce qu’on  a appelé la Françafrique. Il est intéressant de voir que les discussions se déroulent aussi bien en Afrique qu’en France. C’est très intéressant qu’il en soit ainsi. Le Président Giscard d’Estaing a accusé Chirac ; tout comme en Afrique, il y des débats à différents niveaux sur les relations entre la France et ses anciennes colonies. Je souhaite que, dans le cadre de la régénération de la pensée politique en Afrique, nous les fils du continent, repensions nos relations avec les anciennes puissances coloniales. Si l’occasion du décès du Président Bongo peut nous permettre de revoir ces relations, ce sera très utile pour nous.

Propos recueillis par Rudolph KARL – karl@lequotidien.sn

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