«Le sommeil légendaire du ministre Galiou Soglo m’inquiète»
Comédien, metteur en scène et ancien directeur de la Ligue africaine des professionnels du théâtre, Isidore Dokpa se prononce ici sur le retard entamé dans l’installation des instances devant procéder à la tenue de la prochaine édition du Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb). Il aborde également d’autres préoccupations dont la gestion du milliard culturel et la participation peu probable du Bénin au Festival mondial des arts nègres (Fesman) en décembre 2009.
Qu’est-ce qui bloque, aujourd’hui d’après vous, l’installation du Conseil d’administration du Fitheb ?
Autour du Conseil d’administration du Fitheb, le sommeil légendaire du ministre de la culture m’inquiète. Parce que, nous sommes à quelque mois de la prochaine édition du Festival et le Conseil d’administration est la cheville ouvrière de la tenue de la biennale. Or, les membres sont dégagés depuis un certain temps sur fond de contestation. Il se fait que toutes les associations ont émis des réserves sur la procédure et la qualité de la désignation. Le ministre Toléba qui a été saisi par la Ligue africaine des professionnels du théâtre session Bénin, n’a pas cru devoir réagir. Le ministre Galiou Soglo qui est venu le remplacé n’a pas, non plus, réagir à ce jour. Personnellement, moi, en tant qu’acteur majeur de la chose culturelle, j’ai saisi le ministre Galiou Soglo, j’ai demandé une audience aux fins de lui dire ce qui s’est passé et pourquoi il ne doit pas être pris en otage. Je n’ai pas été écouté. Mais le problème ce n’est pas d’être écouté. Le problème est que le Fitheb puisse être tenu. J’ai été heureux d’avoir faire aux côtés d’un homme, deux mandats où j’ai été chargé de tenir la programmation. Nous avons essayé de faire un Fitheb sans branchages, sans agitations, sans injures au comité d’organisation ni à l’autorité. Nous avons essayé de faire un Fitheb apaisé.
Mais il ne faudra pas que le Fitheb qui a atteint un niveau si élevé retombe dans ses errements du passé que sont les contestations, les branchages, les marches, les querelles de sourd, les querelles mesquines. Et c’est pourquoi le ministre a l’obligation de faire en sorte que le Conseil d’administration soit assis sur un socle solide. Et pour qu’il soit assis sur un socle solide, il faut que la provenance de chacun de ses membres soit claire et la procédure de désignation incontestable. Cela dit, je ne sais pas si le ministre Galiou Soglo veut peut-être faire de la magie. Si le Conseil d’administration n’est pas installé au plus tôt, s’il ne commence pas par travailler, s’il n’entre pas dans sa procédure d’appel à candidature afin de dégager le prochain directeur, lui confié un mandat clair avec signature d’un contrat, on va s’y prendre quand pour que le nouveau directeur commence à explorer l’univers nationale et internationale à la recherche des créations, pour qu’il commence la recherche du financement de part et d’autre, qu’il élabore son budget, qu’il le soumette au gouvernement, qu’il le soumette aux institutions internationales? Je trouve que nous dormons un peu trop au pays et c’est parce que nous dormons un peu trop que nous sommes encore à la traîne.
Est-ce que les associations d’artistes veulent aujourd’hui que les élections soient reprises ou bien que le ministre entérine cette désignation et que le processus continue ?
Il se fait que des associations ont émis des réserves. Lorsqu’on est père de famille et que les enfants se plaignent, on les écoute, quitte à leur dire, vous n’avez pas raison. Voilà ma démarche. Mais je ne demanderais pas au ministre de faire reprendre les élections. Toutefois, si les associations contestataires le demandent, le ministre devra les écouter et discuter avec elles. Il doit revérifier les procédures pour savoir s’il y a effectivement mal donne. Au vu de cela, il prend ses responsabilités.
Est-ce que le ministre lui-même a déjà désigné son représentant ?
C’est ça justement. Le ministre n’a pas encore désigné son représentant. Il y a les autres institutions de la République dont les mairies de Cotonou et de Parakou qui n’ont pas, à ma connaissance, désigné leurs représentants.
Il faut combien de temps à un directeur du Fitheb pour organiser une édition de Festival ?
J’avoue que je n’ai jamais été directeur du Fitheb. Cependant, j’ai travaillé avec un directeur. J’ai été étroitement lié au directeur notamment celui qui est encore en poste. Pour son premier mandat, il l’a fait en six mois ou moins. Mais ça a été un défi. Nous nous y sommes mis comme des gens devant résolument construire la nation à eux seul sans plus compter sur personne. On y est arrivé. Mais ce n’est pas évident pour tout le monde. On n’arrivera pas toujours à faire de la magie. Je crois que les tours de magie sont finis. Il faut être réaliste. On ne peut pas continuer à faire un festival professionnel en six mois. Les affichent sortent avec du retard. Les partenaires ont besoin d’être saisis à temps. Ils ont un calendrier, ils ont une période donnée. La programmation a un temps. Chaque compagnie a besoin d’un temps pour donner sa disponibilité. Il faut un temps pour les créations à commander. Le directeur n’a pas suffisamment de temps devant lui pour constituer son cabinet et pour faire le tour des festivals. Je crois que ça va être comme du ping pong. On a déjà vu des éditions antérieures du Fitheb au cours desquelles la moitié de la programmation n’a pu se tenir. Sur les deux éditions présidées par Orden Alladatin, seulement à la dernière édition, nous avons eu un problème de vol avec la Côte d’Ivoire. Mais, il n’y a eu aucun problème de cachet avec aucune compagnie. C’est une question de sérénité, une question de goût, une question de vision. Et pour que le directeur puisse étaler sa vision, il faut qu’il soit installé à temps. Il faut que le conseil d’administration lui donne sa lettre de mission à temps, il faut qu’il puisse constituer son cabinet, qu’il puisse se prononcer sur ses difficultés, ses stresses et ses angoisses. Qu’ils puissent les partager avec les hommes de médias. Je crois que, je ne peux pas dire qu’il faut un an au directeur, mais la prochaine édition du Fitheb est réglementairement en mars 2010 et nous sommes déjà en juin 2009. Je trouve que nous commençons à être au feu orange. Nous ne sommes pas encore au rouge mais l’orange ne dure pas longtemps. Tout juste quelques instants et l’on se retrouve au rouge. Je crois que le ministre de la culture nous conduit malheureusement au rouge.
Est-ce que vous espérez que le Bénin sera qualitativement représenté à la prochaine édition du Festival mondial des arts nègres ?
Le Bénin sera représenté. Les écureuils ont toujours représenté le Bénin et vous avez vu leur score! Ce n’est pas la faute des joueurs. Quand on ne vous met pas dans les conditions de travail, quand on ne vous apprête pas, quand on ne vous accompagne pas, c’est ça, vous ferez ces scores-là. La culture béninoise est à l’image de son football. Le Bénin pourra être représenté au Fesman. Mais vous savez, au dernier moment, on va ramasser des courtisans, des amis, des marcheurs, des applaudisseurs, des danseurs. Et ce sont ces gens qu’on amènera au Fesman et vous allez voir le résultat. C’est ça le problème. On ne prend pas le temps de faire les choses. Il y a un peu plus de deux mois que le ministre nous a rencontré et parlé en urgence de cette affaire. Mais depuis on est là. Je n’ai plus eu de retour. Je ne sais pas si la commission a été installée. De tout ce qu’il a dit, rien n’est fait. Toutes les commissions sont bouclées, les dossiers sont partis. Il parait que le Bénin a bénéficié d’une prolongation. Qu’est-ce que nous en faisons ? Ça fait finalement honte. Je crois que le changement est devenu finalement une incantation. Le Bénin sera représenté parce qu’au dernier moment, ils vont ramasser les masses Guèlédès, les Zangbéto, les Egoungoun, les groupes tipinti.
Mais c’est une question de compétition là-bas. Il ne s’agit pas de faire la danse de son village comme on le fait chez soit. C’est une question de performance. Puisse que les gens ne sont pas habitués à de hautes performances, on va les envoyer comme on envoie les écureuils comme s’ils avaient à livrer un match de quartier. La conséquence, on est toujours noyé. Ne soyez pas étonné que le Bénin soit représenté. Mais c’est dans la qualité que le problème va se poser. On sera mal représenté. De toutes les façons, ils vont s’arranger pour combler le vide du Bénin. L’échec du ministre Soglo est l’échec de la jeunesse béninoise. Et je suis d’autant plus surpris et choqué de voir la démarche du président qui a eu l’occasion de faire un remaniement ministériel et n’a pas remercié ce monsieur. Je me demande ce que ce monsieur cherche encore au gouvernement. Parce que si on a fait un remaniement technique, c’est parce que l’autre a fait une faute. Ce qui se passe ici, c’est déjà plus qu’une faute.
Que pensez-vous de la gestion du milliard culturel?
Je pense qu’il faut assainir l’environnement de la gestion du milliard culturel. Il faut assainir le Fonds d’aide à la culture. Il faut assainir le ministère de la culture. J’ai souri à l’arrivée du ministre Galiou Soglo. Mais, j’ai été immédiatement déçu. Je suis très amère parce que ce monsieur, personnellement en ma qualité de metteur en scène béninois, je l’ai saisi par écrit pour lui demander de faire un audit sur la gestion du premier milliard culturel. J’ai saisi aussi le ministre Toléba en son temps pour dire, à la fin de milliard culturel, il faut qu’il y ait un audit pour voir qu’est-ce qui a été fait, quels sont les projets qui ont été financés et quels sont les impacts des projets financés sur la vie du contribuable béninois puisse que c’est l’argent du contribuable béninois. On ne m’a pas écouté. Rien n’a été fait. Il n’y a pas eu d’audit. Le premier milliard culturel est jeté comme ça en l’air. Des gens se sont créés des associations partout et se sont tapés de l’argent alors que les méritants, les travailleurs même de la chose culturelle sont là. On les oppose à des procédures chiantes. Et donc il n’y a pas eu d’audit et le ministre Galiou est venu. La première des choses, à mon sens par rapport au milliard culturel, c’est de tenir des audits sur la première gestion. Et que si les gérants qui sont là ont besoin d’être relevés, qu’ils soient relevés et qu’ils soient sanctionnés. Mais il a continué avec les mêmes, dans le même flou. Conséquence, on est là, on a un milliard culturel, mais les artistes sont plus que jamais pauvres, les projets culturels ont de la peine à démarrer. On ne voit pas ce qui est financé par le milliard culturel. On n’en entend parler nulle part. On n’en entend parler que de la bouche de la directrice, de ses collaborateurs et de ses courtisans. Je suis amèrement déçu. Je pense qu’à cette allure, le pouvoir qui a le courage politique de mettre le milliard finira par dire, j’arrête. Et on va devenir quoi ?
L’expression, faire rendre gorge vient de la famille Soglo. Je ne vois pas pourquoi le ministre Galiou Soglo ne peut pas l’emprunter et l’appliquer à bon escient. Par rapport au milliard culturel, je crois qu’il y a la planification de la procédure d’attribution qui importe beaucoup. Il faut que tout le monde soit informé des conditions d’attribution et que les projets qui sont soumis et qui sont subventionnés soient largement diffusés et qu’il y ait un suivi de ces projets exactement comme le fait le Programme de soutien aux initiatives culturelles décentralisées (Psicd).
Propos recueillis par Fortuné Sossa