De Sarkozy ou Obama, qui a le mieux parlé à l’Afrique ?

N. SarkozyImmanquablement, la polémique devait avoir lieu. Au lendemain de l'allocution du président des Etats-Unis, la blogosphère et la twittosphère s'interrogent : entre Nicolas Sarkozy à Dakar (Sénégal) et Barack Obama à Accra (Ghana), qui a le mieux parlé à l'Afrique ?

Les deux interventions sont-elles radicalement opposées ? Non, pas vraiment. Les thématiques se rejoignent à plusieurs reprises. Sarkozy affirme :

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« L'Afrique a sa part de responsabilité dans son propre malheur. »

Obama dit :

« Dans de nombreux endroits, l'espoir de la génération de mon père a cédé le pas au cynisme, souvent au désespoir. Il est facile de pointer du doigt les autres et de les blâmer pour ces problèmes. »

Barack et Sarko s'adressent tous les deux à la jeunesse africaine, à qui il revient de relever les défis de demain. « La renaissance dont l'Afrique a besoin : vous seuls, jeunes d'Afrique, pouvez l'accomplir parce que vous seuls en aurez la force », affirme Sarkozy.

Obama demande aux jeunes Africains d'assumer « la responsabilité de [leur] avenir. » Et évoque dans le détail les « maux » de l'Afrique, qui vont de la corruption policière à la rapacité des élites, de l'utilisation des enfants-soldats dans les conflits à la complaisance envers les trafiquants de drogue.

Obama prend le risque de plaider pour un projet datant de l'ère Bush et qui a suscité d'énormes réserves -l'installation d'une base militaire américaine en Afrique-, avec des termes que l'on peut considérer comme relevant de la langue de bois… Le président des Etats-Unis évite de parler des subventions agricoles américaines qui fragilisent les économies africaines, ou du fardeau de la dette.

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Pourquoi les différences de perception ?

Et pourtant, ses propos ont été perçus de manière très positive sur le continent, alors que ceux du président français ont suscité une polémique. « Il faut avoir le courage de dire que cette grande différence d'accueil entre les deux discours n'est pas justifiée », s'agace Patrick Lozès, président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), sur son blog .

Alors, injustice ? Il est évident que Sarkozy et Obama n'arrivent pas sur le continent avec les mêmes atouts. Obama, président d'une Amérique qui sait faire rêver comme aucune grande puissance, est « un enfant du pays ». Après Mandela, c'est l'homme politique contemporain qui a le plus enthousiasmé l'Afrique.

Son histoire et l'histoire de sa famille font qu'il est difficile de faire peser sur lui le passé impérialiste que partagent la France et les Etats-Unis. Ses filles, Malia et Sasha, sont descendantes de personnes qui ont subi à la fois l'esclavage et la colonisation. Obama est, lui aussi, dépositaire des souffrances de l'Afrique, ce qui n'est pas le cas d'un Nicolas Sarkozy, qui a longtemps été vu comme l'ex-ministre préposé à l'expulsion des étrangers.

Mêmes discours, posture différente

Cela dit, il faut bien reconnaître que si Sarkozy et Obama tiennent dans le fond le même discours, ils ne le font absolument pas de la même manière. Déjà, Obama a tenu à choisir une destination africaine difficilement contestable : le Ghana. Alors que Nicolas Sarkozy s'est cru obligé d'aller, après son escale dakaroise, baiser la babouche de feu Omar Bongo Ondimba, symbole de longues relations incestueuses qui font que Paris sera toujours mal à l'aise dès qu'il s'agira d'évoquer le bilan des indépendances dans ses anciennes possessions coloniales.

De plus, alors que Sarkozy à Dakar n'a pas su rompre avec la rhétorique du clivage et de l'affrontement, qu'il affectionne tant, et s'est posé en grand professeur qui sait tout -disant à plusieurs reprises « le problème de l'Afrique, c'est que… »-, Obama a su utiliser l'art de la nuance, dénonçant l'Afrique de la honte pour mieux mettre en valeur, à travers de nombreux exemples, l'autre Afrique.

Comparons les figures qui ressortent des discours fondateurs des deux hommes.

Chez Sarkozy, il s'agit du « paysan africain, qui, depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature », et qui « ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. »

Obama, lui, évoque les « braves Africains » qui sont du bon côté de l'histoire : le pouvoir et l'opposition ghanéennes qui cohabitent harmonieusement, des policiers incorruptibles, des membres de la société civile engagés dans la fin des violences électorales au Kenya, etc. En bon « storyteller », Obama raconte, dans une sorte de roman d'anticipation, l'histoire d'une renaissance dont les Africains sont les héros.

Des discours aux inspirations littéraires différentes

En écoutant parler Obama, on a l'impression qu'il a lu des livres vivifiants comme The White Man's Burden de William Easterly ou Dead Aid de l'économiste zambienne Dambisa Moyo, très critiques sur la pratique de l'aide au développement ces dernières décennies. On a l'impression qu'il a parlé avec les responsables américains des nombreuses fondations qui soutiennent des expériences innovantes sur le continent. On se dit qu'il a au moins survolé quelques-uns des passionnants blogs écrits en anglais et consacrés à l'innovation en Afrique.

En relisant le discours de Dakar, on se dit que celui qui l'a écrit -le conseiller présidentiel Henri Guaino- a beaucoup lu les romans africains d'il y a cinquante ans, et les récits des anthropologues de l'époque coloniale. Ce sont, à première vue, des détails, mais ils posent une question fondamentale : celle du renouvellement du regard de la France sur une Afrique contemporaine dont il s'agit de saisir le mouvement.
Théophile KOUAMOUO

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