Obama au Ghana

B. ObamaUn message subliminal à l'Afrique
Pourquoi Barack Obama, pour sa première visite sur le continent africain depuis son élection, a-t-il choisi comme seule étape le Ghana, et pas, par exemple, le Kenya d'où venait son père, ou l'Afrique du Sud, principale puissance du continent noir ?

La question fait débat en Afrique, et ce choix fait surtout s'interroger les autres : « Pourquoi pas nous » ? La réponse est simple : le Ghana, l'ancienne Côte de l'Or britannique, premier pays décolonisé du continent en 1957 avec à sa tête un prophète panafricaniste, Kwame Nkrumah, vient de réussir une transition démocratique exemplaire, et fait aujourd'hui figure de modèle sur le continent. Le Ghana dispose aussi des médias les plus libres d'Afrique, et d'un taux de croissance constant qui pourrait faire envie ailleurs qu'en Afrique (même si le revenu par habitant reste très modeste)…
Un président social-démocrate

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Son président, John Atta Mills, se décrit volontiers comme un social-démocrate africain bon teint, inspiré par l'idée de bâtir un Etat providence, et il a remporté de peu en décembre une élection présidentielle chaudement disputée, face à un adversaire qui a reconnu sa défaite et n'a pas cherché à organiser un troisième tour dans la rue.

Son prédécesseur s'était retiré après avoir accompli les deux mandats prévus par la Constitution, sans chercher à la tripatouiller pour rester au pouvoir.

Plus remarquable encore, Mills a été dans le passé vice-président d'un des hommes qui ont marqué l'histoire de l'Afrique contemporaine : le capitaine Jerry Rawlings, qui a pris deux fois le pouvoir par la force pour en chasser des dirigeants corrompus et inefficaces, mais qui, à chaque fois, a tenu sa parole de le rendre aux civils.

Rawlings fait partie de cette génération de jeunes officiers révolutionnaires dans les années 80, comme le capitaine Thomas Sankara au Burkina Faso (ex-Haute Volta), qui étaient animés par un idéal de modernisation des moeurs politiques et n'ont pas trouvé d'autre mode d'intervention que le coup d'Etat militaire. Rawlings a réussi là où Sankara a été fauché par un assassinat, et il est le seul dans ce cas.
Qu'en pense Sassou Nguesso ?

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Quel message Obama envoie-t-il à l'Afrique en choisissant ce pays plutôt que son Kenya familial comme l'espéraient évidemment les Kenyans, aujourd'hui déçus ?

D'abord qu'il ne faut pas attendre de « préférence ethnique » de sa part : son héritage kenyan n'en fait ni un Africain, ni un Kenyan, il est américain, et le premier d'entre eux. Il défend donc les intérêts américains (et peut-être, selon les plus cyniques, l'avenir pétrolier, modeste mais bien réel, du Ghana), mais aussi une vision de l'Afrique.

Vu de Brazzaville, où Denis Sassou Nguesso organise ce dimanche une mascarade électorale pour se perpétuer de manière pathétique à la tête d'un pays riche aux habitants pauvres, ou vu de l'« autre » Congo, dit démocratique, qui a connu des millions de morts ces dernières années et n'a toujours pas trouvé son équilibre, vu encore de Somalie où la guerre civile vient encore de jeter des centaines de milliers d'habitants de Mogadiscio à la rue, le choix du Ghana est évident.

Le message d'Obama est donc d'encourager cette Afrique vertueuse, celle qui tente de bâtir des Etats de droit plutôt que celle des despotes corrompus. Un message par le double exemple : le sien, celui du fils d'émigré africain qui a réussi par la force du travail à se hisser là où nul autre Noir n'était avant lui parvenu ; et celui d'un pays qui s'en sort par le haut. Il l'avait déjà esquissé lors de son discours prononcé au Kenya lors de la campagne électorale, et devrait le reprendre à Accra.
Un message à la jeunesse africaine

C'est assurément un message qui passe bien auprès d'une nouvelle génération africaine qui cherche l'espoir sur un continent de plus en plus marginalisé par la mondialisation, et qui reste traversé par de nombreux conflits et inégalités. Une génération qui n'a pas envie d'entendre qu'elle n'est « pas encore entrée dans l'histoire » (suivez mon regard)…

Barack Obama a d'ailleurs choisi de nouveaux moyens pour dialoguer avec l'Afrique, en faisant appel aux réseaux sociaux et aux nouvelles technologies : par SMS, par Facebook (100 000 comptes au Ghana) ou même par Twitter, les jeunes Africains sont invités à poser des questions ou à envoyer des messages au président des Etats-Unis. La Maison Blanche a même fourni des numéros locaux dans plusieurs pays, en Français et en Anglais, pour permettre aux Africains de tout le continent d'envoyer des SMS à Obama…

De plus, Obama arrive du G8 où, à sa demande, le Fonds de lutte contre la faim dans le monde, principalement destiné à l'Afrique, est passé de 15 à 20 milliards de dollars sur trois ans.

Tout ceci ne suffit évidemment pas à changer l'équation de l'Afrique du jour au lendemain, ni même, d'ailleurs, la politique américaine sur le continent. Mais c'est assurément un message positif, envoyé par un homme qui, vu d'Afrique, est à la fois légitime et écouté.

Photo : des partisans d'Obama attendent le président américain, vendredi soir à Accra au Ghana (Luc Gnago/Reuters)

Par Pierre Haski

 

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