Le Bénin, le Béninois et Sisyphe

J. CarlosEt si le Béninois était Sisyphe ? Mais avant toutes choses, qui était Sisyphe ? Ce fut ce personnage de la mythologie grecque que les dieux condamnèrent à rouler sans cesse un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Sisyphe symbolise, de ce fait, celui ou celle qui est privé de la satisfaction d’un travail bien fait et conduit à son terme.
Les cinq dernières décennies, (1960-2010) rapportées à l’histoire de notre pays, ressemblent à s’y méprendre à l’aventure de Sisyphe. Ce qui place le Béninois dans la posture d’un entrepreneur qui a ouvert un chantier qu’il ne sait plus ni ne peut plus conclure. Comme si tous ses sacrifices étaient vains. Et nul l’espoir d’atteindre le sommet de la montagne. Tout est, chaque fois, à reprendre. Tout est, chaque fois, à recommencer. Mais jusqu’à quand ?
C’est ce qui arrive depuis 1960 à notre pays. A marquer de cette interrogation. Oui, jusqu’à quand ? Une interrogation lourde d’amertume contenue, expression tout à la fois d’un dépit profond face au présent et face l’avenir. Fixons quelques repères pour prendre la mesure du mal béninois.
A l’aube de ce 1er août 1960, alors que s’élevaient de nos poitrines gonflées d’espoir les accents martiaux de notre hymne national, nous avions congédié la peur et retrouvé les chemins de l’honneur. Nous voilà rétablis dans nos droits d’héritiers de dignes fils de notre pays tels Gbêhanzin et Bio Guerra. Le vent de la liberté soufflait. Nous nous tenions droits, fiers et déterminés face à l’avenir. A charge pour nous de le décliner en plusieurs futurs possibles. Mais trois ans après ce départ en fanfare, le rocher nous aplatissait au pied de la montagne. Le Président Maga perdit le pouvoir.Et les militaires, qui n’étaient pas prévus au programme, se voyaient obligés de s’inviter dans la fête.

L’alliance Apithy/Ahomadégbé annonça un nouveau départ. Et l’attelage ainsi conçu, dans la poussière des méfiances et des suspicions, démarra cahin-caha. L’espoir était-il permis ? Sachez que l’attelage alla droit se fracasser contre les parois de la montagne. Le pouvoir, tel le rocher de Sisyphe, tomba des mains des deux navigateurs improvisés. Il fut vite récupéré, encore une fois, par les militaires aux aguets.
Puisque Sisyphe n’a que trop souvent rechigné à être et à demeurer civil, il sera militaire. Le pouvoir kaki s’empara du rocher. Mais il ploya vite sous le fardeau de la condamnation des dieux. Les militaires échafaudèrent les plans les plus savants. Mais implacablement, tous ces plans prirent, les uns après les autres, le chemin du rocher de Sisyphe. Tout fut essayé. Des élections ? Leurs résultats ne furent jamais connus. L’oiseau rare ? Il fut déplumé bien fait vite fait. Même la révolution à la couleur rouge écarlate du marxisme-léninisme et du socialisme scientifique fut convoquée. Mais rien n’y fit. Quoi donc faire pour vaincre ce rocher de malheur qui pulvérise toutes nos initiatives ? Le Renouveau démocratique ? Nous y sommes toujours. Mais Sisyphe est-il enfin mort pour que nous portions le rocher, sans encombres, jusqu’au sommet de la montagne ?
La question vaut la peine d’être posée. Elle mérite sûrement une réponse. Premièrement. Affirmons-le de la manière la plus formelle : aucune fatalité ne pèse sur notre pays, même si notre marche en zigzag, depuis près de cinq décennies, sur les chemins toujours plus problématiques de notre développement, nous accule à nous interroger gravement sur notre avenir. Il ne s’agit pas de se plaindre. Nous devons apprendre à faire une lecture positive de nos difficultés et à y tirer avantage. Il ne s’agit pas non plus de nous morfondre au pied de la montagne. Mais de nous mettre en ordre de marche en nous convainquant que tout ce que l’esprit de l’homme peut concevoir et croire, l’esprit de l’homme peut le réaliser. Nous nous sommes essayés à nombre de révolutions. Reste la révolution mentale.
Deuxièmement. Il n’est de salut en dehors des capacités de chacun de nous à croire au changement, à opérer son propre changement, pour se rendre apte à changer son pays. Aucune hirondelle ne viendra y faire nous ne savons quel printemps. Aucun étranger, même précédé des navires entiers de dollars et d’euros, ne pourra venir y construire la cité du bonheur. Le Bénin sera ce que les Béninois en feront.
Troisièmement. Notre présent est à notre image et nous n’aurons que l’avenir que nous méritons. Qui sème du maïs récolte du maïs. Ceci en proportion des superficies ensemencées et des soins mis à le faire. C’est la rigoureuse arithmétique de la nature. Elle défie tous les signes indiens et toutes les malédictions qu’on suppose frapper les Sisyphe d’ici et d’ailleurs. Aussi importe-t-il moins de continuer de voir le Béninois derrière l’image de Sisyphe que de nous convaincre que les clés de l’avenir ne se trouvent nulle part ailleurs que dans les mains du Béninois lui-même.

Jérôme Carlos

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