La toute première formulation de la souveraineté comme caractéristique fondamentale de l’Etat, provient de Jean BODIN et de ses six livres sur « la République » (de Republica) publiés en 1576, après avoir constaté que la France était à l’époque, affaiblie par des guerres civiles et religieuses. Pour remédier à cette situation, il fallait, selon le grand juriste, renforcer la monarchie française contre les féodalités et le pouvoir ecclésiastique. D’où la « summa potestas » ou souveraineté qui, en bref, était un principe de droit interne visant à ordonner la société. Ce concept a évolué à travers les siècles. La charte de l’ONU, instrument fondateur de l’ordre international d’après guerre ainsi que le droit international dans son ensemble reconnaissent la souveraineté étatique, et interdisent de ce fait l’intervention d’un Etat dans les frontières d’un autre sans son accord. Il y a aussi une affirmation sans équivoque de l’égalité souveraine des Etats. Donc, une souveraineté donnée n’est pas supérieure à une autre. Mais, l’honnêteté commande de reconnaître que des exceptions existent, liées notamment à la nécessité de sauvegarder la paix et la sécurité collectives, impliquant ce que l’on appelle à tort ou à raison le droit d’ingérence que remplace de plus en plus par euphémisme le concept de responsabilité de protéger. Les violations massives des droits de l’être humain et du droit international humanitaire sont, la plupart du temps, de nature à menacer la paix et la sécurité régionales. L’intitulé du présent article a été tiré des propos tenus récemment par un officier de l’armée guinéenne.
Le massacre horrifiant dont le stade de Conakry a été le théâtre le 28 Septembre 2009 a suscité, comme ou devait s’y attendre, de vives réactions de toutes parts. Les militaires guinéens étaient perçus du coup par l’immense majorité de la communauté internationale comme de vils individus qui ont sombré dans la barbarie et la sauvagerie. On en est arrivé à se demander la raison d’être de cette folie meurtrière. On en est arrivé à se demander pourquoi la déraison a eu raison de la raison en ce début de siècle. Des institutions internationales, des hommes d’Etat influents ont exprimé leur profonde indignation assortie de propositions de sanctions percutantes et ciblées, montrant ainsi, comme le dit l’adage que « le jeu en vaut la chandelle ». Face à ces prises de position musclées, un officier de l’armée guinéenne a soulevé le concept de souveraineté pour signifier qu’il y a des limites à ne pas franchir, pour signifier qu’un diktat à certains égards en quelque sorte est inacceptable, donc que l’ingérence ne saurait manquer de mesure. Au regard de ce que cet officier a affirmé, il convient de dire que la souveraineté étatique n’est pas opposable à l’obligation de protéger partout les droits de l’homme ainsi que les normes incontournables du droit international humanitaire. Il est très important de faire comprendre que de nos jours, la communauté internationale a, d’une manière ou d’une autre, un droit de regard sur ce qui se passe dans le domaine des droits de l’homme à l’intérieur d’un Etat quel qu’il soit. C’est dire que l’ingérence ainsi comprise a un sens, et qu’on ne saurait lui fixer une limite, parce que visant à protéger les populations civiles, un devoir qui, dans le cas de la Guinée, n’a pas été accompli par les autorités locales de facto. C’est de toute évidence une réalité inacceptable qui exclut totalement et sans condition l’inaction. La communauté internationale a fait et continuera, on l’espère, de faire son devoir en Guinée sans complaisance. Cet officier supérieur guinéen est tenu de reconnaître que la souveraineté n’est pas un rempart comme le dit koffi Annan. On observe également la même fermeté à l’encontre du Niger où de graves libertés ont été prises à l’égard de la constitution. Et tout cela, pour prévenir dans ce pays une crise de grande ampleur. Pour l’instant, il n’est pas question de sombrer dans les méandres du droit d’ingérence, du devoir d’ingérence et de la responsabilité de protéger, parce que le débat sur ces concepts n’est pas encore juridiquement tranché. Cependant, à la différence du droit d’ingérence qui n’a pas d’existence juridique claire, la responsabilité de protéger, érigée en théorie en 2001 par une commission internationale sur l’intervention et la souveraineté étatique, a été adoptée en 2005 de façon consensuelle par l’assemblée générale de l’ONU. En tout cas, si la situation en guinnée, venait à prendre une autre tournure de manière à dégénérer de façon plus dramatique, le conseil de sécurité de l’ONU, on l’espère, prendrait les mesures que commande une telle dégénérescence. Il convient de redire d’une manière générale, et sans détour, qu’en raison de l’évolution du droit international, les principes de souveraineté et de non ingérence ne sont en aucune manière opposables aux droits de l’homme. Plus précisément lorsque ceux-ci sont l’objet de violations où que ce soit, au Nord comme au Sud, il est loisible même à un simple observateur de les critiquer, de les dénoncer, et ce, quelle que sa qualité, et personne ne peut raisonnablement se permettre de le taxer d’ingérence.
Pour conclure, il est à souhaiter que nos chefs d’Etat retiennent qu’ils ne doivent pas être imbus des principes de souveraineté et de non ingérence, et qu’il leur incombe la responsabilité de protéger les individus relevant de leurs juridictions. En cas de défaillance la communauté internationale se substituera à eux sans leur avis. Si les hauts responsables eux-mêmes s’impliquent dans les exactions inacceptables il serait maladroit de leur part d’invoquer les principes précités. De plus, et ce n’est pas le moins important, ils repondront sans conteste de leurs actes. Car il y a défaut de pertinence de la qualité officielle pour les crimes de droit international.q
Par Jean-Baptiste GNONHOUE
Président de la coalition
béninoise pour la Cour
Pénale Internationale (CPI)
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