Quand l’horizon s’assombrit et qu’ils n’arrivent plus à décoder l’alphabet de l’avenir, les peuples s’accrochent, avec l’énergie du désespoir, à la seule et ultime possibilité qui leur reste : s’interroger sur leur sort, se poser des questions, même s’ils n’en attendent pas des réponses. Le questionnement relève ainsi de l’instinct de survie. Il a la force de remettre les peuples dans l’axe de l’action. Qui peut encore questionner et se questionner est sûr de tenir la vie par le bon bout.
L’observateur le moins perspicace peut en faire le constat : les Béninois, à cours de remèdes contre les maux qui les assaillent, n’en continuent pas moins de poser des questions ou de se poser des questions. Tout bien considéré, ce n’est pas mauvais. Ceux qui ont la force de se poser des questions sont encore dans un rapport sain avec la vie, synonyme d’espoir. Car les morts, dont c’est la fête ce jour, ne posent plus, ne se posent plus, ne nous posent plus de questions.
Mais quelles questions les Béninois posent-ils et se posent-ils, par les temps qui courent, dans leur rage de vivre et de survivre, fermement accrochés à l’une des multiples branches de l’arbre de l’espoir ? Nous avons écouté nos compatriotes. Nous rapportons, ici, leurs interrogations limitées à trois, l’espace de cette chronique ne peut en autoriser plus.
1 – La démocratie, présentée à cor et à cri comme la terre promise, a-t-elle contribué à rendre le Béninois plus heureux ?
Nous avons dit aux Béninois que la démocratie, c’est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Mais ceux-ci ne sont pas dupes. Ils savent, pour le vivre chaque jour, que le gouvernement, c’est d’abord et avant tout, l’affaire d’une poignée d’individus, c’est l’affaire de ceux qui se sont arrogés assez de droits pour oublier leurs devoirs envers la communauté nationale.
Les Béninois savent que des élections, souvent tronquées ou jouées à l’avance, ne sauraient être tenues pour le baromètre d’une quelconque démocratie. Car la plupart de ceux qui prétendent parler au nom du peuple ne parlent qu’en leur nom propre. Le reste n’est qu’artifice, vernis trompeur, simple camouflage. La démocratie, dans ces conditions, c’est un grand bazar d’articles de contrefaçon. Tout est faux, pue et transpire le faux. Une telle démocratie ne peut rendre heureux ni le Béninois ni personne. A moins d’admettre qu’il y a une manière d’être faussement heureux.
2 – Le changement que nous appelons de nos vœux ardents et qui n’est que l’autre nom du développement, se traduit-il en des opportunités à saisir ou en des espérances à entretenir par et pour la majorité des Béninois ?
Si nous avons appris à vociférer le slogan du « comptons sur nous-mêmes et sur nos propres forces », nous n’avons pas réussi, cependant, à couper les liens de vassalité et de subordination qui nous arriment au bon vouloir des autres. Cela a la fâcheuse conséquence de vider de tout contenu ce qui, pour nous, mériterait pourtant d’être tenu pour sacré : hymne, drapeau, devise, emblème, constitution, voire le sens de l’honneur et de la parole donnée.
Nous avons ainsi et avant tout un problème d’identité. Qui sommes-nous, en effet ? Où allons-nous ? Vers quel horizon orientons-nous nos pas ? Quelle ambition nous y porte et nous y pousse ? Quelle part de foi et de confiance en nous-mêmes pour espérer renaître, reprendre l’initiative historique, selon l’expression heureuse d’Aimé Césaire ? Des questions essentielles du vaste questionnement des Béninois
3 – Quelles raisons les jeunes Béninois ont-ils, au jour d’aujourd’hui, de se considérer comme force d’avenir, dans un pays qui aura bien besoin de regarder devant plutôt que d’avoir les yeux river sur le rétroviseur ?
Notre jeunesse est la victime expiatoire d’une crise qui plonge ses racines au plus profond de notre vie nationale. Nous avons gâché nos premières années d’indépendance dans de vaines querelles de leadership, sur fond de rivalités interrégionales et interethniques. Nous avons continué notre scabreuse aventure par des expériences qui ont transformé le pays en un laboratoire et ses fils et filles en des cobayes, le tout livré aux mains manipulatrices d’idéologues du dimanche.
Croyez-vous qu’on soit sorti de l’auberge avec l’Etat de droit qui se meurt, alors que nos valeurs sont décotées à la bourse de toutes nos impostures ? Quelle jeunesse espérons-nous former dans un tel moule ? Finalement, quelle espérance pour quelle jeunesse ? Charles Péguy semble nous indiquer une direction d’espérance : L’heure qui sonne a sonné, écrit-il, le jour qui passe est passé. Demain seul reste, et les après demains »
Jérôme Carlos
La chronique du jour du 2 novembre 2009
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