Les détenus politiques s’en souviennent
(Ils veulent pardonner sans oublier)
Vingt années déjà qu’ils ont retrouvé la liberté. Eux, ce sont les détenus et exilés politiques qui ont subi les pires tortures sous le régime marxiste-léniniste du Général Mathieu Kérékou, juste pour avoir dénoncer les atteintes aux droits de l’homme. Samedi, dans la salle bleue du Palais des Congrès, l’heure était aux souvenirs et à d’intenses émotions. Mais surtout au pardon et à l’espérance d’un meilleur avenir pour le Bénin. Anciens rescapés des prisons de Ségbana, du camp Séro Kpéra, du Cpo, des prisons civiles de Cotonou et de Porto-Novo, accompagnés de leurs épouses et de leurs enfants, ont tous répondu à l’appel de l’association des détenus politiques, exilés et planqués (Adpep), dirigée par Raymond Adékambi. Sur leurs visages que fendaient de larges sourires triomphateurs, il y avait pourtant un brin d’amertume qui transparaissait aussi dans le timbre de leurs voix. Une amertume qui trouvait son sens dans le souvenir de leurs compagnons de lutte qui ont succombé aux tortures, aux sévices et aux balles de leurs bourreaux et dont les âmes n’ont point manqué de planer sur la célébration. On peut citer entre autres, Luc Togbadja, Comme le soulignera, Séraphin Agbangbata, ancien détenu, leur seul tort est d’avoir « dénoncé les méthodes de gestion du grand camarade de lutte, Mathieu Kérékou et sa bande ». Cet ancien leader estudiantin que le député Raphaël Akotègnon rejoindra en prison alors qu’il le croyait boursier en France, a tout en retraçant l’histoire des luttes au Bénin, précisé que c’est une insulte à l’histoire que de dire que la démocratie au Bénin a été obtenue sans effusion de sang.
Plusieurs témoignages aussi émouvants les uns que les autres qui ont aussi marqué la rencontre du samedi dernier. Ainsi, pouvait-on apprendre que femmes enceintes étaient arrêtées en lieu et place de leur mari et accouchaient en prison. Les traitements inhumains que les barons de la révolution tels que Martin Dohou Azonhiho, le lieutenant Babalao et Tawès leur infligeaient, sont encore vifs dans les mémoires de ces gens qui n’ont survécu que grâce à leur amour pour la patrie, à la foi qu’ils avaient en la justesse de leur lutte et surtout au soutien de leurs familles.
Vingt ans après leur sortie de prison, ils se rendent compte qu’au-delà des différentes options choisies par les uns et les autres, les résultats escomptés en luttant, ne sont pas au rendez-vous. Paul Gnimagnon, lui aussi ancien détenu lancera d’ailleurs à l’assistance : « Si vous aviez subi tant et tant de souffrances par le passé pour la liberté, et que vous êtes aujourd’hui membres des Fcbe, vous devriez démissionner ». Dans le réquisitoire de nombre d’entre eux contre Kérékou et ses sbires, il faut signaler que des similitudes ont été faites avec le régime du Dr Boni Yayi et fortement dénoncées. C’est pourquoi, certains de ces anciens détenus pensent qu’il est nécessaire pour eux de renouer avec le front, le combat. Mais, ce ne sera pas sans avoir pardonné comme le précisait une banderole au-dessus du présidium : « Ni pardon, ni oubli ». C’est ce que recommande Mme Antoinette Houédété, épouse d’ancien détenu « il faut pardonner pour aller de l’avant ». q Benoît Mètonou
Quelques impressions des participants à la rencontre
Me Séraphin Agbangbata :
«Les sentiments qui peuvent animer un détenu lorsque vingt ans après, il se retrouve avec ses amis qu’il avait connus en prison, sous la torture et losrque nous croisions le fer avec les conquistadors. C’est un sentiment de combattant qui m’anime pour dire que l’espoir est toujours permis et que seule la lutte paie et je remercie tous ceux qui sont venus ici et votre journal aussi parce que c’est pas facile .Aujourd’hui, on transforme tous les journalistes en des panégyristes, vous continuer de résister, c’est à votre actif. Continuez ce combat parce que c’est un métier noble et ça permet à la jeunesse aussi d’être informée pour savoir ce qui a été, ce qui est et préparer ce qui pourra».
Antoinette Bonou Houédété, épouse d’ancien détenu Thomas Houédété, professeur d’histoire à l’université, gardé à Sègbanan.
«C’est un sentiment de joie de me retrouvaille pour revivre en mémoire ses temps passés, mais aussi un sentiment de regret. Regret de n’avoir pas les résultats escomptés à travers cette lutte que nous avons mené. Aujourd’hui, nous avons lutté pour la liberté d’expression, ensuite pour la démocratie. Parce que nous avons tous foi, dans la démocratie que chacun trouvera son pain, trouver le minimum pour mieux vivre C’est surtout en cette visions à laquelle nous avions foi, qui nous a beaucoup galvanisé à mener la lutte devant nos aînés, nos frères, nos pères. Il y avait aussi des enfants parmi nous. Tout ne va pas pour le mieux et il faut continuer la lutte. C’est pour cela, la journée d’aujourd’hui est vraiment venu à point nommer pour informer nos enfants sur ce qui s’est passé .Comment la démocratie est venue dans notre pays et ce qui nous reste à faire pour consolider notre démocratie. Notre démocratie continue de tourner en l’air».
Léonard Kédoté :
«J’ai un sentiment mitigé de bonheur sur le chemin parcouru, les acquis de nos luttes de tous le peuple béninois. Mais également j’ai le sentiment de crainte par rapport aux dérives que nous observons actuellement par rapport à l’avenir. Mes craintes portent sur ce que toute la jeunesse, tous ces intellectuels, démocrates qui semblent se taire et ne rien faire face à la situation. Mais je sais que le génie de notre peuple saura tirer de ses entrailles, les forces et l’intelligence nécessaire pour répondre à la nouvelle situation.»
Gnimagnon Louis, ancien détenu politique, torturé pratiquement à mort,
«je suis venu pour l’association que nous voulons créer aujourd’hui».Vous savez, c’est difficile de parler de cette époque. Vous avez vu madame Houédété pleurer. Elle a dit « je veux garder le silence ». Il faut faire l’effort de garder sur soi ou plutôt chercher à oublier, mais je sais tout à fait que ce n’est pas éducatif pour la jeune génération. Mais ce qui s’est passé en ce temps-là, c’était vraiment horrible, au moment où moi, je subissais les affres, j’avais une seule pensée « que ceux qui m’ont fait subir ses tortures, qu’on leur fasse exactement les mêmes choses ». Là, ils ne se hasarderont plus jamais à faire ça. Mais, nous pensons qu’il faut évoluer et j’ai évolué. Je préfère que plus jamais même à mes ennemis de ne pas subir ce qu’on nous a fait vivre.
Ce n’était pas humain et vous savez le comble, j’ai un ami avec qui on a fait le lycée ensemble. Lui est devenu militaire et c’est lui qui a supervisé toutes ces barbaries. Quand il m’a vu des années plus tard à Parakou, il s’est étonné et m’a demandé si j’étais toujours en vie. Il me prenait pour un revenant puisqu’il me croyait mort depuis longtemps avec les traitements inhumains qu’ils m’ont infligés. Celui dont il s’agit s’appelle Tawès».
Laisser un commentaire