Entretien avec la comédienne burkinabé Kady Traoré

«Les cinéastes burkinabés ne paient pas bien leurs comédiens»

Actrice de cinéma, Kady Traoré est une jeune femme burkinabé qui a joué dans des séries télévisées et des longs métrages. Entre autres, «Les jeunes branchés», «Trac à Ouaga», «A nous la vie», «Dossier brûlant», «Super flic»… Rencontrée dans la capitale burkinabé, elle se prononce sur la manière dont travail les cinéastes burkinabés et, par ricocher, les difficultés liées à l’exercice du métier.

Quelles sont les rôles que vous jouez généralement dans les films ? Est-ce des rôles de femme soumise, de femme émancipée, de femmes toujours sur la défensive ?

Au départ j’ai joué le rôle des gentilles filles qui écoutent leurs parents, parce que les réalisateurs trouvent que j’ai un visage de fille gentille. Très souvent, c’est de pareils rôles qu’on me confie. Or, ce n’est pas le genre de personnage dont je rêve véritablement. Mais, j’ai commencé par ça en 2001 dans la série télévisée «Les jeunes branchés». Par la suite j’ai joué le rôle de fille assez rebelle. Donc, par la suite, j’ai essayé un peu de tout. Dans la série policière «Super flic» sortie cette année, j’ai incarné la maîtresse d’un inspecteur de police qui est mariée à une dame qui est aussi ma sœur. Il ne s’agit pas d’un personnage soumis mais plutôt un rebelle.

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Est-ce que vous ne vous sentez pas en train de faire les mêmes gestes d’un film à un autre ?

D’un film à un autre, d’une série à une autre, le rôle n’est pas le même. Il y a une cassure. Ce n’est jamais la même chose. D’un réalisateur à un autre la méthode de travail est différente. Ce sont deux réalités différentes.

Votre appréciation sur le paysage cinématographique au Burkina. Est-ce que le cinéma burkinabé est assez dynamique ?

Le cinéma burkinabé n’est pas assez dynamique étant donné que Ouagadougou abrite le Fespaco. Il n’y a pas assez de réalisation. Pendant longtemps, on a vu les réalisateurs se mettre au devant des choses. Les gens voient plus les réalisateurs que les comédiens parce que, très souvent, les réalisateurs se mettent devant. Ils tournent deux films avec deux équipes différentes. Donc ça fait que on ne retrouve plus les mêmes visages. Alors que pour fabriquer une star il faut qu’on voit la personne dans au moins cinq ou six films avec des réalisateurs différents. On ne peut pas reconnaître les artistes de cette manière. Les réalisateurs se disent: «Si je l’appelle pour jouer, elle va faire la star. Je ne pourrais pas la payer.» Du coup, il fait appel au tournage de chaque film à des débutants.
Ainsi, un comédien peut jouer dans deux ou trois films et disparaître. Je rends témoignage au réalisateur Boubacar Diallo qui a compris que ce n’est pas une bonne pratique. Avec lui, j’ai joué dans trois longs métrages. C’est ce qui va faire que les visages vont rester. C’est cela qui va nous permettre de fabriquer des stars du cinéma africain. Et cela a marché parce qu’on a joué plusieurs séries. Les gens nous approchent et nous encouragent. Mais le hic, c’est qu’il y a des réalisateurs qui font un film chaque dix ans. Aujourd’hui un comédien burkinabé ne peut pas affirmer qu’il vit de sont art. Il faut qu’il fasse autre chose sinon, il ne peut pas en vivre parce qu’il n’a même pas deux bons contrats par an. Moi par exemple, en plus du cinéma, je manage un peu les artistes et j’ai aussi un magazine que j’édite. Il faut avoir plusieurs cordes à son arc. On attend souvent trois à six mois pour avoir un film. C’est compliqué.

Est-ce que le problème n’est pas dû aux difficultés d’accès au financement ?

En même temps que les réalisateurs disent: «J’attends un financement», dans le même temps, ils ne paient pas bien les comédiens. Si un réalisateur doit faire dix ans pour avoir un financement c’est lui seul qui en bénéficie. Je ne vois pas l’intérêt. Ce que Boubacar Diallo par exemple a développé, c’était d’amener les Burkinabé en salle pour voir des films burkinabés parce qu’ils sont habitués à voir les films hindous. Il a fait des films qui ressemblent à notre quotidien. En trois mois, il a fait un bon chiffre d’affaire. Il n’avait pas de financement à la base car il tournait en fonds propre. Pendant que l’un de ses films était encore en salle, il préparait le suivant. C’est cela qui marche. Il fait deux films par an. Ça permet d’avoir des activités cinématographiques en continue. Quand un réalisateur doit attendre les financements extérieurs, il risque de faire un film chaque dix ans. Il faut développer des initiatives  locales sinon ça ne marche pas.

Est-ce que entre comédiens vous ne vous livrez pas à des concurrences déloyales ?

C’est fréquent. Quand un réalisateur appelle un comédien et lui propose un marché, il s’attend à ce que ce dernier accepte sans poser de question. Si par extraordinaire le comédien refuse l’offre à cause de la rémunération trop basse, le réalisateur lui dit: «Je vais te rappeler.» Mais, il fait plutôt appel à son cousin. Peu importe si le nouvel appelé a été à la hauteur du travail.

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Est-ce que cela ne porte pas un coup au travail ?

C’est sûr parce que c’est un tout qui fait un film. Ici on va chercher son frère ou sa sœur pour habiller les gens. Il n’y a pas de costumier. Au pire des cas, si le comédien ne trouve pas ce qui va avec le film, il porte ce qu’il a pour venir au tournage. C’est une véritable plaie qui ronge le cinéma africain. Il n’y a pas souvent de costumier.

Comment est-ce que vous gérez le cinéma avec la vie de famille ?

Moi, j’ai la chance d’avoir un mari qui est artiste musicien. Donc il comprend un peu le milieu du cinéma. Dans le film «Super flic» j’ai un copain, on s’embrasse tout le temps. Cela a suscité beaucoup de terribles commentaires. Quand mon mari et moi sommes avec des amis, ils demandent à mon homme: «Comment peux-tu laisser ta femme se faire embrasser comme ça, franchement ?» Donc si j’avais épousé quelqu’un qui ne comprenait rien du métier, cela aurait été un problème assez délicat. De mon côté, j’ai de la chance. Cependant, je connais des comédiennes qui ont carrément laissé le métier parce qu’elles ont joué des personnages que leurs époux n’ont pas aimé.

Propos recueillis par Fortuné Sossa

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