Fête et développement

Dantokpa en annonce déjà les couleurs : les fêtes de la fin de l’année 2009 frappent à coups redoublés à nos portes. La culture qui a cours chez nous invite nos compatriotes, qu’ils soient riches ou pauvres, à entrer dans le cercle de la danse. Le rituel désormais bien connu des fêtes de fin d’année implique tout le monde. Il n’exclut personne. Sublime délice : nous nous laisserons bientôt dissoudre dans la félicité des fêtes. Et nous serons habités par le secret désir du poète qui souhaitait voir le temps suspendre son vol.
Nous avons ainsi, dans nos contrées sous-développées, un sens fort de la fête à faire pâlir de jalousie des gens vivant sous d’autres latitudes. Des latitudes froides où la nature n’est pas toujours à la fête. Des latitudes tristes, la solitude étant, ici, la note dominante du concert plutôt maussade de la vie. A l’image de la grisaille ambiante.
La première remarque à faire c’est que la fièvre qui s’empare de Cotonou, à la veille des fêtes de fin de l’année, nous paraît artificiellement entretenue. Nous faisons comme si nous étions à la veille d’un événement inédit, unique en son genre. Pourtant, nous ne connaissons que trop un tel exercice. Un exercice chaque année reconduit, chaque année répété et vécu avec une égale intensité et ferveur.
C’est cela le mythe des fêtes de fin d’année. Un mythe qui s’alimente de la croyance que qui a bénéficié de la grâce de traverser vivant une année de 365 jours, doit se mettre en devoir de rendre grâce au Très Haut. Et pour, dit-on, enterrer en beauté l’année qui finit et placer la nouvelle qui point sous de meilleurs auspices, la fête se doit d’être convoquée.
Mais le cachet spécial que nous donnons aux fêtes de fin d’année, ne devrait pas nous faire oublier que nous sommes à la fête quasiment tous les jours, toutes les semaines, tous les mois de l’année. Ne sommes-nous pas dans une aire de cultures où baptêmes, mariages, décès, succès à un examen, distinction à une fonction ou de simples retrouvailles entre amis sont des occasions de fêtes, sinon des prétextes à la fête ?
Si la fête, c’est bien, comment oublier que la fête, finalement, c’est cher ? Nous sommes, de ce point de vue, des sous-développés qui, dans leur immense majorité, vivent avec des revenus médiocres et dans des conditions déplorables. Les spécialistes du développement ont certainement plusieurs questions à se poser. Où les sous-développés trouvent-ils autant d’argent pour être toujours en fête ? Quel retour sur investissement attendre des fêtes qui sont des occasions de grandes dépenses ? A être constamment dans la fête et à la fête, quel développement est-on à même d’impulser ou de promouvoir ?
Mais à y regarder de près, la fête n’a jamais été, pour tout le monde, un tonneau sans fond. Un tonneau, à l’image de celui des Danaïdes, que nous serions condamnés, par malédiction, à remplir éternellement. Car la fête est une véritable industrie. Beaucoup savent en tirer le meilleur profit. Pour Noël, par exemple, ne les aviez-vous pas vu prendre d’assaut les rues et artères de Cotonou les vendeurs en tout genre de jouets et autres gadgets qui scintillent de mille feux ? Et puis, à qui ferait-on croire que tous ces magasins fort bien achalandés, avec tant de belles choses proposées aux clients qui s’y pressent, en cette veille des fêtes, ne s’attachent qu’à remplir un tonneau sans fond ?
Il faut se résoudre à le reconnaître : la fête enrichit, de manière conséquente et significative, une foule de gens. Ceux-ci auraient toutes les raisons de maudire le ciel et la terre si l’on décidait de soulager nos existences de fêtes. Ce sont eux qui ont dépouillé, par exemple, Noël de son caractère religieux, en en faisant une fête profane, une fête universelle, sans plus de référence à l’événement qui en fut à l’origine. Ce sont eux qui ont réussi l’exploit d’ajouter une nouvelle fête au calendrier. Cette fête, depuis, fait des vagues dans le monde, prenant en otage nos porte-monnaie. Il s’agit de la Saint Valentin, labellisée par les marchands d’amour, la fête des amoureux.

Il reste que si la fête enrichit certains, elle n’a pas encore réussi à extirper le sous-développement de nos pays. Il reste également que dans les pays développés où il y a moins de fêtes, on se suicide de plus en plus. La fête serait-elle, dans ces conditions, le petit coefficient à prendre en compte et au sérieux, un petit coefficient à même de donner un contenu neuf au concept de développement partout dans le monde ? La question mérite d’être posée. Mais il faut craindre qu’elle n’ait de réponse immédiate. Les préparatifs des fêtes de fin d’année battent leur plein. Les esprits sont déjà à la fête. Tenez-le pour dit : l’esprit à la fête n’a point d’oreille.
Jérôme Carlos
La chronique du jour du 14 décembre2009

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