Une exigence de la démocratie moderne
Nous sommes quelquefois surpris par ce fait : les dirigeants de grandes démocraties modernes ont toujours leurs regards rivés sur les sondages d’opinion. Un ministre français veut initier un débat sur l’identité nationale ! Emois et tollé général dans les milieux progressistes qui en craignent à juste titre une dérive fasciste. Le Ministre Eric BESSON, chargé du lourd portefeuille de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, avait le profil bas… jusqu’à ce qu’un sondage révèle que les Français de tous bords sont majoritairement favorables à son initiative. Les ténors de la Gauche n’avaient alors qu’à se la boucler au risque d’être accusés d’aller contre la volonté majoritaire des Français. La droite conservatrice et néo-libérale américaine ne veut surtout pas d’une réforme de la santé où les 30 millions d’Américains qui n’ont pas la possibilité de souscrire une assurance-maladie privée, pourraient être pris en charge par une sécurité sociale d’Etat. Comme en France, au Canada et dans beaucoup de démocraties européennes. Les attaques contre le Président Barack OBAMA, l’initiateur de ce projet, étaient si violentes de la part des nervis des grandes compagnies d’assurance que certains ténors du Parti Démocrate, comme Jimmy CARTER, n’ont pas hésité à dénoncer leurs motivations crypto-racistes. Mais il a suffi qu’un sondage révèle que les citoyens des Etats-Unis sont majoritairement favorables à cette initiative du premier Président de couleur dans l’histoire de cette superpuissance pour que la machine se mette en marche.
De nos jours, on n’imagine pas comment peuvent se dérouler les primaires dans les partis qui animent la vie politique dans ces grandes démocraties, si auparavant la voie n’était pas balisée par moult sondages d’opinion qui sur une période tendancielle, eussent révélé le membre du parti qui aurait la préférence du suffrage populaire. Barack OBAMA n’aurait jamais été désigné comme l’un des candidats démocrates pouvant participer aux primaires de ce parti si les sondages n’avaient pas indiqué l’état de l’opinion publique à ce sujet. Idem pour Madame Ségolène ROYAL qui n’aurait sûrement pas été celle que la direction centrale du PS aurait investie si l’opinion publique ne l’avait pas placée en tête de tous les sondages. En Guinée-Conakry, un sondage d’opinion aurait montré l’état d’âme du peuple guinéen face au Capitaine Moussa Dadis CAMARA. Et dans notre cher pays le Bénin, la dynamique socio-politique actuelle serait tout autre si un seul sondage d’opinion pouvait nous indiquer si l’un des candidats potentiels actuels, comme Maître Adrien HOUNGBEDJI, Léhady SOGLO, Lazare SEHOUETO, Abdoulaye BIO TCHANE, Pierre OSHO, Wilfried KEREKOU, etc.… a une quelconque chance de venir au second tour, et surtout de battre l’actuel locataire du Palais de la Marina ! Au lieu de recourir à un tel outil scientifique, la classe politique nationale préfère le cirque des remerciements au Docteur Boni YAYI ou le théâtre des sorties épisodiques fielleuses. Partout domine une curieuse pensée magique faite d’incantations irrationnelles nous certifiant l’échec inéluctable du troisième Président de la République du Renouveau démocratique ou son élection haut la main. Misère de la négritude ! On se demande pourquoi Stephen SMITH dans sa Négrologie, Nicolas SARKOZY dans son célèbre discours à l’Université Cheikh ANTA DIOP de Dakar, n’ont pas glosé sur cette curieuse façon qu’ont les Africains de s’engluer dans l’irrationnel de la pensée magique. En effet, dans aucun des pays de l’Afrique Subsaharienne, un candidat à une future élection présidentielle ne souhaiterait savoir à l’avance qu’il n’a aucune chance de l’emporter. Surtout que c’est en allant consulter le peuple et son opinion et non le fâ, pour ce qui nous concerne au Bénin !
En vérité, cette attitude cache un mépris aristocratique des masses africaines à qui l’on dénie toute constance dans le jugement et qui donc, au gré de quelques vivres, des tôles, du ciment et très souvent de quelques billets de banque, changent d’opinion à tout vent. On ne peut pas, voyons, se fier à cette populace inconstante et versatile, essentiellement malléable de par les manipulations de vieux briscars de l’action politique. Or, si nous voulons prendre pied dans la dynamique socio-politique moderne, il faudra abandonner nos méthodes archaïques de gouvernance et d’action politique, et commencer d’abord par prendre au sérieux l’opinion de nos populations sur les graves problèmes de la Nation, et sur leur appréciation des hommes politiques qui sollicitent leur suffrage. Ne me dites surtout pas que les sondages d’opinion coûtent trop cher, quand les autres en pratiquent presque toutes les semaines là où nous ne nous contenterions que d’un par mois.
Par Dénis AMOUSSOU-YEYE, professeur à l’UAC