Par un référendum, la Suisse interdit la pose de minaret sur les mosquées. Puis après en France, un débat éclate sur qui est Français ou comment peut-on être Français. La situation a inspiré une réflexion du professeur Hazoumè. La peur gagne l’Europe. La peur de l’autre ; la peur de l’étranger, de tout ce qui paraît différent. Un tel comportement reste tout de même incompréhensible dans un continent supposé développé et très avancé même sur le plan intellectuel, démocratique, technique et technologique. Malgré le haut degré de culture et d’éducation atteint dans un grand nombre de pays européens, l’on a comme l’impression que cette peur n’a plus de limite au point d’engendrer des situations et des attitudes que l’on qualifierait volontiers d’irréfléchies et de surréalistes si elles ne venaient d’autorités et de groupes de personnes dont la qualité intellectuelle et le niveau d’analyse politique ne sont plus à démontrer.
Voyons d’abord la situation de la Suisse où la construction de minarets sur les mosquées a donné lieu à des commentaires et à des réactions qui laisseraient croire que l’on vit encore au temps d’une certaine inquisition qui est tout de même loin et très loin dans l’histoire de l’humanité. De quoi a-t-on peur exactement ? Du Dieu des musulmans s’il en existe un ou du musulman lui-même ? Les explications post-«votation» n’ont certainement pas suffi pour enlever le discrédit jeté sur tout le peuple suisse qui n’en demandait pourtant pas tant.
Il a suffi de cet acte prétendument citoyen pour que l’on donne libre cours à d’autres comportements plutôt suspicieux en France qui ont consisté à décréter que les Français devraient enfin commencer à se poser officiellement la question de savoir qui est Français ou qui peut l’être ou comment peut- on être Français ou peut-être qui a simplement le droit de vivre en France. Tout cela enrobé, bien sûr, dans ce «beau» concept d’ «Indenté nationale». Pendant des semaines et peut-être même que les débats se poursuivent encore, certains Français dont on a tiré sur la fibre nationaliste totalement éculée, se sont plutôt livrés à un jeu théâtral tragicomique sous la houlette d’hommes et de femmes que personne n’aurait osé classer dans une telle catégorie d’acteurs.
Car, comment ne pas s’étonner et s’indigner même lorsque l’on entend par exemple une telle déclaration: «Il ne faudrait pas que Colombey-Les-Deux-Eglises devienne Colombey-Les-Deux- Mosquées » ? Ces personnes ont-elles donc perdu toute dignité ? Car au-delà des mosquées puisque toutes les églises, et les plus belles, ont de très hauts clochers en France, c’est bien l’étranger que l’on vise, qu’il soit musulman on non. Le titre de cet article aurait pu être intitulé : « La France déboussolée ? » Nous n’irons pas jusque-là parce que tant de liens unissent encore ce pays à tous ceux qu’elle a colonisés et dont certains Français paraissent oublier aujourd’hui la réalité et les conséquences pour les uns et les autres et au moment même où l’on se prépare à fêter en France, avec les concernés, les cinquante ans des indépendances africaines.
Il y a peu, les Français et tous les Francophones de tous les continents n’ont-ils pas eu peur pour la crédibilité de la Francophonie lorsqu’il s’était agi de désigner le pays devant abriter prochainement une grande réunion de cette Organisation ? La Suisse comme par hasard s’était portée candidate. Mais les délégués n’ont pas hésité à la désigner pour l’organisation de cette rencontre. Cette même Suisse dont une partie a dit non à la construction de minarets. Chaque nation francophone devrait tirer leçon de cette importante décision qui est malheureusement passée sous silence car il s’agit-là, en effet, d’une belle leçon de tolérance et d’amitié que prône d’ailleurs la Francophonie elle-même et que beaucoup de nations francophones prétendument riches et développés semblent toujours oublier.
Face à ces attitudes dégradantes qui ne devraient plus être de mise parce que porteuses de haine et de conflits inutiles, on l’a vu dans l’histoire mondiale contemporaine, l’Afrique doit réagir. Non pas à travers une réciprocité qui ne résoudrait pas la question, loin s’en faut. Ce que, d’ailleurs, les Africains, dans leur grande majorité, sont culturellement incapables de faire. Il s’agira plutôt d’y réfléchir autrement dans le cadre d’un système éducatif performant. Mieux que nous le faisons aujourd’hui dans tous les cas.
En dehors de quelques rares exemples, les universités africaines et l’éducation dans sa globalité en Afrique sont au même niveau de développement. La dernière conférence mondiale sur l’enseignement supérieur en a malheureusement fait le constat. Des réformes hardies s’imposent donc. Prenant le cas du Bénin, un audit général, touchant tous les secteurs de l’université doit nécessairement être réalisé en vue d’une rénovation indispensable devant faire entrer l’enseignement supérieur dans ce troisième millénaire comme ne le cessent de le proclamer tous les responsables politiques et académiques du pays. La gratuité de l’inscription à l’université, décrétée il y a quelques mois, est donc loin d’être la panacée aux importants problèmes de l’université béninoise. Ce dont il s’agit, c’est bien une réorganisation fondamentale des facultés et instituts qui réponde réellement aux besoins du pays, c’est-à-dire de l’ensemble de nos populations. Ce qui suppose alors que le souhait de voir les entreprises entrer dans l’université devienne réalité. Le cercle vicieux du chômage d’une frange importante de jeunes diplômés serait ainsi brisé.
Un tel travail avait déjà été envisagé dans les années 90 dans notre pays sous la houlette du ministère de l’Enseignement supérieur soutenu par la Banque Mondiale à travers l’élaboration effective d’un plan de réalisation. Que s’est-il donc passé pour qu’une telle proposition n’ait plus vu le jour ? Car il paraît incompréhensible que loti entre deux grands pays universitaires, le Ghana et le Nigeria, le Bénin ne puisse pas profiter de leur développement dans ce domaine. Il urge donc que les autorités politiques et académiques jouent véritablement le jeu et ne laissent sombrer notre jeunesse dans une certaine médiocrité qui la pousserait incontestablement vers des cieux hostiles. Mais puisque l’éducation est globale, un autre grand chantier auquel l’on doit s’atteler est bien sûr, l’éducation des adultes dont l’alphabétisation constitue un partie essentielle et fondamentale, car 65% de nos concitoyens sont analphabètes et des analphabètes totaux, c’est-à-dire, ne sachant ni lire ni écrire.
L’on a semblé jusqu’ici banaliser la question mais l’on fait fasse route car c’est bien dans cette frange que l’on retrouve la majorité des migrants qui se voient obliger de courir tous les risques parce que n’ayant aucun espoir de réussir dans leurs propres pays. On sait que le minimum que requiert toute personne humaine et qui reste un droit inaliénable est bien l’éducation. Faute de cela, des centaines de jeunes continueront de déserter le continent sans qualification vers un hypothétique eldorado avec toutes les conséquences qui s’étalent maintenant au grand jour.
On devient alors, sans ces fondamentaux, les bêtes à abattre pour certains qui continuent de se faire à l’idée que la cause essentielle de leur misère intellectuelle et matérielle reste bien sûr la présence de l’étranger sur leur territoire. Et pourtant que n’apportent t-ils pas à tous ces pays, cet arabe, cet africain, ce ressortissant de l’Europe de l’Est même si son statut ne permet plus un tel traitement? L’obligation majeure des dirigeants africains face à cette haine et cette hargne ambiantes qui continuent de gagner l’Europe est donc de donner au secteur de l’éducation et à l’éducation des adultes leur place de choix afin que, même partis loin, vers d’autres continents, ils soient malgré tout objets de respect et de considération sur le plan intellectuel tout au moins.
Marc-Laurent Hazoumè
Professeur, ancien Fonctionnaire de l’Unesco
(source:La croix du Bénin)
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