Que diront-ils, qu’écriront-ils les historiens qui, dans cent ou deux cents ans, feront pour leurs contemporains le bilan de l’année de grâce 2009 au Bénin sous le régime du changement ? Evidemment, ces historiens auront la distance nécessaire par rapport aux faits étudiés et examinés. Ils ne peuvent faire montre que de plus d’objectivité dans leur entreprise. Le journaliste est, en quelque manière, un historien. C’est, comme on le dit, l’historien de l’instant avec les limites attachées à la saisie immédiate des faits. Le journaliste s’oblige, en effet, de photographier, donc de figer ce qui est en mouvement, ce qui est en devenir, ce qui est en mutation. Que peut ramener dans son filet de pêche l’historien de l’instant qui s‘amuserait à ce tiercé-ci : déterminer les trois principales préoccupations que les Béninois tiennent en partage, en cette fin d’année 2009, et qui dominent leur vie quotidienne ?
Commençons par l’insécurité. Elle a brutalement atteint un niveau inquiétant. Le pays, à travers ses forces de sécurité, ne semble pas s’y être préparé. En dépit de tout, nous étions un havre de paix. Et l’on peut comprendre que celui qui n’a rien à craindre ou qui s’est installé dans l’habitude de ne rien craindre ne se foule pas pour prendre des mesures particulières de sécurité. Voilà que tout change désormais. Le « Far West » fait mieux que d’être à nos portes. Il s’installe à demeure, au coeur même de la vie quotidienne de chacun de nous. Les braquages sont monnaie courante, avec leur cortège de morts. Les armes de guerre circulent et trouvent des mains criminelles pour en faire usage. Et quand on a toutes les raisons de se croire à l’abri de ces braquages, n’ayant pas un sous vaillant pour être de quelque intérêt pour qui que ce soit, une balle perdue peut arriver signifier que les feux de l’enfer de l’insécurité n’épargnent personne.
Pour dire, qu’en cette fin de l’année 2009, l’insécurité est le calvaire le plus largement partagé par les Béninois. Les braqueurs font le coup de feu de jour comme de nuit. Les coupeurs de routes sévissent dans les zones isolées. Ce qui n’a ni réduit ni éclipsé les forfaits des pickpockets et des voleurs à la tire, toujours plus nombreux, toujours plus audacieux, toujours plus entreprenants.
Après l’insécurité, la division du pays, dans ses profondeurs sociologiques, sous l’aiguillon de la politique, nous semble être le second élément du tiercé des préoccupations des Béninois en cette fin de l’année 2009. Nous nous sommes laissé entraîner dans une campagne électorale précoce. Avec ce que cela suppose de passion, de surenchère, de rancœur…Avec ce que cela sédimente dans les esprits et dans les cœurs de vilains sentiments comme la haine, le mépris…Avec ce que cela laisse présager d’atteinte à l’unité et à la concorde nationale.
La dérive verbale est à son comble, charriant une dérive régionaliste et ethniciste jusque là inconnue des Béninois. Nous avons nos tabous et nos interdits et nous savons toujours raison garder, parce que parfaitement informés de jusqu’où nous pouvons aller trop loin. C’était hier. Aujourd’hui, toutes les digues sautent, libérant des tonnes de boues et de détritus longtemps contenus. On comprend que le pays croule sous un amas d’insanités qui ne sont pas seulement le fait de vils propagandistes manipulés à loisir et chargés des basses besognes politiciennes. La Cour constitutionnelle vient tout juste de condamner un ministre de la République pour des propos jugés attentatoires à la démocratie et à la liberté. Sans commentaires.
Le dernier élément de notre triste tiercé, c’est la fronde sociale, baromètre de l’insatisfaction et de la colère persistantes de larges couches de la société. Tous les corps de métiers ronchonnent et se donnent des raisons pour justifier une grève, légitimer un sit-in ou une marche. Il n’est plus juste de dire que les travailleurs ne représentent qu’un pourcentage négligeable de l’ensemble des forces sociales du pays. Quand, par exemple, les médecins se fâchent et se débarrassent de leur blouse blanche ce sont des milliers de citoyens qui se trouvent condamnés à connaître des nuits blanches. Et le débrayage observé au niveau du personnel du Ministère des Finances laisse sur le carreau des centaines de malheureux retraités privés de leur pension. C’en est assez pour comprendre ce qu’il peut en coûter à un pays une surchauffe continue du monde du travail, des perturbations fréquentes sur le front social.
Quel citoyen de quel pays peut-il se sentir heureux, en cette veille des fêtes de fin d’année, avec ces trois boulets au pied ? Mais nous avons appris, par expérience, que le bonheur ne tombe jamais du ciel et que les gens heureux axent leurs pensées sur la solution et non sur le problème. S’il en est ainsi, alors nous savons ce qu’il nous reste à faire.
Jérôme Carlos
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