Que faire des accolades généreuses de Yayi ?

Quand, de sa main virginale, il prêtait serment en mai 2006, le nouveau président que les Béninois avaient élu, s’était présenté comme un homme à qui on donnerait le Petit Jésus sans confession.

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En effet, à voir rien que ses épaules tombantes, sa propension à s’incliner vers le sol, sa façon de serrer la louche aux « anciens », les milles « mercis » qu’il servait à tout venant, on se disait que, s’il se portait candidat pour une place à la Droite du Père, les anges seraient les premiers à lui baliser le terrain. Il est vrai que dans le genre obséquieux, on n’a jamais fait mieux. D’ailleurs, maître Robert Dossou, son porte-parole au moment des présidentielles, rétorquait aux balourds qui se moquaient de ce style, que le bonhomme était loin d’être un nègre de paille. Mieux, il ajoutait que s’il avait la courbette aussi facile, il avait cependant une main de fer qui ne saurait ménager la dentelle. A l’époque, on prenait ces propos pour de la rhétorique beurrée. A l’épreuve, on s’est rendu finalement compte que le discours de l’avocat était d’une justesse implacable.

Souvenez-vous des premières chaloupées du président face à ses prédécesseurs – et l’image se renouvelle toujours lorsque la même situation se produit. La main hésitante, le front dentelé de sueur, le genou gauche fléchissant, il arbore la posture de l’innocent en quête d’une aide. Son sourire qu’il étire jusqu’à hauteur des oreilles, s’apparente alors à un appel au secours. Un appel qu’il sait articuler en termes tout aussi obséquieux lorsque les circonstances l’obligent à improviser. « Mes chers papas », donne-t-il à ses aînés. « Mes chers amis » offre-t-il aux syndicalistes. « Je vous adore », lance-t-il aux femmes venues le vaporiser de leurs ovations au palais. Parlant de son ex, l’énigmatique Mana Soulé Lawani, il jure la main sur le cœur qu’il  « l’aime » vertement – rien que ça. Et qu’a-t-il offert à Séfou Fagbohoun – qu’il avait « entaulé » au début de son mandat – la dernière fois que les deux se sont vus à l’Assemblée Nationale ? Quand il l’a attiré à lui pour faire cette accolade attendrie, ceux qui ont tendu les oreilles l’auraient sans doute entendu lui avouer son amour inaltérable. Il est comme ça, notre Premier National. Sa générosité verbale et gestuelle n’a d’égale que ses élans nombriliques.
Car, à quoi ça sert d’apparaître comme le prince des humbles si on doit confisquer les médias pour chanter en permanence son alléluia ? Quel effet ça fait de se faire acclamer de jour comme de nuit comme un Dieu alors qu’on dit avoir la crainte du Très Haut ? Pourquoi encourager à tour de bras la création de petits partis – même à l’intérieur de son propre gouvernement – alors qu’on hurle à tout va qu’il faut fédérer les partis en vue de deux ou trois grands regroupements ?

Parlant de groupes ou de groupuscules, il s’en crée tous les jours, en son nom ou au nom de ses « œuvres ». Les mots « émergence », « changement », « cauris » ou autres termes de la même étoffe, sont largement sollicités pour des clins d’œil que l’on espère pouvoir convertir en billets de banque. Cela va de jeunes qui promettent d’offrir trois millions d’électeurs aux femmes qui proposent de devenir des chairs à canon pour le protéger. Le plus inénarrable, c’est ce mouvement dit « d’intellectuels de l’émergence » : un groupe de cadres égarés plus soucieux d’obtenir des postes viandés que de défendre un idéal commun. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau. Le vocabulaire de Kérékou reste, à ce propos, d’une actualité têtue : intellectuels tarés !

Mais que les génuflexions du prince descendent plus bas que le niveau de la mer, qu’elles soient l’objet de monologues radio-télédiffusés, que les opportunistes de tout poil en profitent pour se faire la main, il y a une évidence : tant qu’on peut inventer des artifices pour masquer les vrais problèmes qui agitent le pays, la logique en cours ne s’en priverait pas. Qu’il s’agisse des revendications des fonctionnaires, de la vie chère, de la criminalité, des faits de corruption avérés. Et au fur et à mesure que les échéances électorales se profilent à l’horizon, les choses se corseront : la propagande deviendra stalinienne, les tensions seront proches de l’explosion et les couteaux, affutés, sortiront de leurs fourreaux. Alors, en ce moment-là, Dieu se donnera des vacances. Pour s’occuper d’autres peuples. Plus humbles, plus sages qui connaissent leurs limites et qui ne jouent pas aux apprentis sorciers.

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