La coupe était déjà pleine en 1960

Les propos tenus le jeudi 4 mars 2010 à l’Assemblée Nationale par Mme Rosine VIEYRA SOGLO ont font réagir plus d’un Béninois. La plupart de ces gens sont certainement nés après 1960, car le dernier trimestre de cette année-là a été le pic de déclarations semblables. En mai 1959, le « kaïkaï » (homme du Nord) Hubert MAGA, contre toute attente, fut désigné comme le Premier Ministre du nouvel Etat autonome, et  par le plus grand des hasards, est devenu le Chef d’Etat de la Nouvelle République indépendante ; au nez et à la barbe de toutes les élites du  Sud handicapées par leurs querelles fratricides. Une telle situation alimenta aussitôt les courants centrifuges du régionalisme Sud-Nord dont les principaux animateurs politiques furent les partisans de l’UDD et du RDD. La rupture politique inévitable entre MAGA et AHOMADEGBE intervint le 28 octobre 1960, date de la motion de censure introduite par le groupe parlementaire UDD dont le porte-parole Gabriel LOZES en donnait les explications suivantes :
« Le régionalisme et le népotisme dont le Chef du Gouvernement se défend sévissent partout. Voyez la Police et la Garde Républicaine et vous serez édifiés. Le seul mérite explique-t-il les résultats surprenants du Concours pour le recrutement d’infirmiers des 3, 9 et 11 novembre 1959 ?
Voyez les chiffres :

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Centre

Candidats

Admis

%

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Centre de Porto-Novo

556

19

3,4

Centre de Cotonou

790

23

3,1

Centre d’Abomey

137

 9

9

Centre de Parakou

168

47

27

    Ces chiffres bouleversent toutes les statistiques et démentent les calculs de probabilité les plus optimistes. Le Gouvernement amasse des archers à Cotonou. Qui n’a vu à Cotonou dans certaines cours ministérielles, le spectacle grotesque de guerriers hirsutes, armés de lances, coutelas, de flèches et de bâtons ! Des ateliers clandestins de fabrication de lances et de flèches empoisonnées se multiplient à Cotonou ». Un régionalisme puant battait son plein. Sur l’esplanade de l’Assemblée Législative, une nombreuse foule faisait le « man » (manifestation populaire avec des branchages d’herbes au cours de laquelle on voue aux gémonies un adversaire devenu bouc-émissaire). On chantait à tue-tête des chansons franchement régionalistes :
MAGA, de peau de bête, tu te vêtiras
De peau de bête MAGA, tu te vêtiras
Le bariba ne porte pas de culotte

 Le peuple qui chantait et injuriait MAGA pendant que les archers descendus du Nord étaient prêts à intervenir au moindre incident, était des militants de tous les partis du Sud, certes, mais plus particulièrement de l’UDD. CHABI MAMA, le 2ème Vice-Président de l’Assemblée Législative, ne s’y était pas trompé lors de son intervention en cette mémorable journée du 28 octobre 1960. Il accusa tout bonnement M. AHOMADEGBE de diviser le pays :
« Je tiens à dire que pour nous, le Président de l’Assemblée doit être le symbole de l’unité, de la concorde ; or depuis quelques temps, M. AHOMADEGBE s’appuyant sur un tribalisme désuet, parcourt le pays dans tous les sens pour prononcer des conférences ou il injurie certaines personnalités pour la seule raison qu’elles n’appartiennent pas à la race de BEHANZIN. C’est le Président de l’Assemblée qui brandit l’union du Sud contre le Nord ; c’est lui qui veut diviser le pays et qui soutient toutes les agitations dans ce sens… »  
Il s’agissait manifestement du régionalisme Nord-Sud dans toute sa Splendeur ! Dans cette ambiance surchauffée, on aurait pu penser à un rapprochement des deux leaders du Sud contre le « tomenou » MAGA, à une alliance UDD-PND pour la conquête du pouvoir d’Etat et son exercice par les deux "cousins" agassouvi, descendants tous deux de la dynastie des Allada-Tadonou.  Mais ce schéma n’a pas fonctionné. En cette fin d’année 1960, le véritable enjeu de cette division socio- politique est celui qui sera le chef du nouvel Etat. D’ailleurs, le Premier Ministre du Gouvernement provisoire l’attestera dans son discours à l’Assemblée Législative du 2 novembre 1960.

« Il s’agit aujourd’hui non point de régler une querelle partisane, non pas de tracer entre deux politiques, mais de déterminer qui sera demain le Chef de l’Etat ». C’était on ne peut plus clair ; il s’agit de savoir de quelle région (Sud ou Nord) sortira le premier Président de la République de l’ex-Dahomey.
On aurait vraiment pu penser que Sourou MIGAN APITHY s’allierait normalement avec son « cousin » fon. Il n’en sera rien ! L’histoire se répétera en 1996 où Maître Adrien HOUNGBEDJI, effarouché par l’arrogance du danhoméen Nicéphore Dieudonné SOGLO, préférera apporter son soutien au Général Mathieu KEREKOU ! Donc la motion de censure échoua lamentablement le 2 novembre 1960. Tirant les conclusions de cet échec, les ministres UDD remirent leur démission au Chef du Gouvernement qui le jour même forma une nouvelle équipe PND-RDD.

Par Dénis AMOUSSOU-YEYE, professeur à l’UAC
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