Le peuple s’est-il trompé ou est-ce Yayi qui s’est trompé de job ?

A en croire les responsables du Front des trois ordres d’enseignement, au sortir de leur rencontre avec le président Boni Yayi mercredi 10 mars dernier au soir, ils auront entendu de la bouche de ce dernier, des vertes et des pas mûres. Ainsi le docteur-président (à court d’ordonnance ?), ne voyant pas de remède à leur prescrire pour leurs revendications, se serait proprement défoulé sur eux, leur suggérant carrément d’attendre que le prochain président vienne leur donner satisfaction, car lui ne pourrait plus rien pour eux. Ces propos, replacés dans leur contexte, peuvent s’analyser en goguenardise, en signe d’exaspération ou relever simplement d’une logique de stratégie politicienne. Dans le premier cas, on pourrait comprendre. Dans le second cas, Boni Yayi aurait voulu signifier à ses interlocuteurs qu’il en a déjà assez voire trop fait pour eux, et que ce serait tant pis s’ils ne peuvent le comprendre. Soit ! Mais dans le même cas, cela traduirait sinon un déficit de sens de responsabilité, du moins le fait que Boni Yayi n’ait jamais réussi à habiter la fonction qu’il incarne.

Ils sont nombreux en effet, nos compatriotes qui, de retour d’une séance chaude avec le chef de l’Etat, rapportent des propos ou font état de comportements qui laissent à désirer, qui font se demander s’ils ont pu vraiment être tenus par le président Yayi. Et l’on a peine à douter de cela quand on sait que publiquement et à plusieurs reprises, Boni Yayi a laissé entendre qu’il ne savait pas que « cette affaire-là était si difficile », et qu’il ne sait pas comment il est devenu président. On peut comprendre aisément qu’en privé il se laisse aller. Humainement, l’on peut admettre que Boni Yayi se sente exaspéré par les revendications. Son exaspération serait le reflet extérieur de ce qu’il pense avoir tellement fait pour les travailleurs que toute nouvelle revendication de leur part serait ingratitude et inconséquence. On peut penser et comprendre que dans un élan narcissique, il se prenne à se dire qu’il a fait pour eux ce que personne avant lui ne leur a jamais fait. Vue sous cet angle, son exaspération peut encore trouver justification.

Mais, comme dirait le président Mathieu Kérékou, quand on se retrouve dans le fauteuil qu’occupe actuellement Boni Yayi, on ne se fâche pas. Certes, il ne faut pas faire une lecture au premier degré des propos du Général Kérékou pour penser qu’il interdit carrément à Boni Yayi ou à quelque autre futur président de se fâcher. Non, Mathieu Kérékou, le premier, pour être resté près de 30 ans dans le même fauteuil, sait qu’on peut se fâcher, même de là, mais à condition qu’il s’agisse de colère saine. Ce qu’il demande plutôt à tout occupant du fauteuil présidentiel, c’est comme de souffrir en silence même lorsqu’il pense que le peuple ou les travailleurs sont injustes avec lui. Ce qu’il demande, c’est de ne pas étaler ses états d’âme à tout bout de champ. Ce qu’il demande, c’est de maîtriser ses pulsions et émotions. Ce qu’il demande, c’est finalement d’habiter la haute fonction qu’on incarne. Ne pas réussir cela au bout de plusieurs années, c’est laisser croire que l’on s’est trompé de job. C’est laissé croire que l’on n’est pas qualifié pour le job. C’est amener les populations à douter. Or, le peuple à tout instant et surtout dans les moments les plus difficiles, veut toujours se retrouver à travers son premier responsable, comme la troupe, fière de son commandant en chef, se retrouve en lui et sait qu’il sera toujours un rempart, une source de réarmement moral, qu’il sera toujours le chef qui sait fouetter sa volonté pour l’aider à tenir la route, à faire front, à marcher vers les sommets. Toutes choses qui semblent faire désespérément défaut au peuple béninois aujourd’hui.

Or, à y voir de près, Boni Yayi qui aura définitivement tort de se laisser aller devant les syndicalistes, n’a-t-il pas cherché lui-même ce qui lui arrive, la radicalisation des mouvements et la « gourmandise » des syndicalistes ? Le sage dit : « Je ne connais pas le secret du bonheur, mais je puis vous indiquer celui du malheur : c’est de vouloir plaire à tout le monde ». En accordant à tour de bras et parfois de façon purement politicienne, des avantages aux travailleurs sans oser leur dire la vérité en toute responsabilité, en accordant exagérément des primes, en enflant les effectifs de la Fonction publique sans envisager les perspectives, Boni Yayi n’a-t-il pas contribué à décupler chez ceux dont il peut penser qu’ils l’exaspèrent, l’appétit ? Le gouvernement aurait abordé ces questions de façon plus responsable qu’on n’en serait certainement pas là aujourd’hui. Et quand, dépassé par tout ce qui lui arrive, il laisse entendre qu’il n’est « candidat à rien », s’il pense adopter la posture de la victime pour s’attirer la pitié du peuple, s’il pense ainsi endormir le peuple pour venir plaider coupable demain, afin toujours de se faire absoudre facilement, eh bien le chroniqueur pense qu’il sera condamné à la peine capitale parce qu’il n’aura pas à bénéficier de circonstances atténuantes.

Car, il demeure une constante : c’est qu’en se portant candidat à la présidentielle, il a implicitement dit au peuple qu’il a pris la mesure du job. En promettant le changement, il voulait signifier qu’il avait mesuré les attentes du peuple. S’il n’a pas tenu promesse, c’est à lui d’en répondre et de payer pour ses manquements. En effet, le peuple qui l’a plébiscité ne s’était certainement pas trompé, ne pouvait pas s’être trompé aussi massivement. L’erreur commune fait droit, dit-on. Si donc erreur il y avait, dans cette proportion-là, elle disparaît. C’est donc Boni Yayi qui se serait trompé. Lourdement ! Et c’est dommage…
Par Wilfried Léandre HOUNGBEDJI (Source : http:/commentvalebenin.over-blog.com)

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