Dans une lettre ouverte adressée au Superviseur général de la Cps-Lépi, le spécialiste des questions électorale, Monsieur Clotaire Olihidé, rafraîchit la mémoire à l’honorable Arifari-Bako sur la définition de la Lépi, les préalables et les contraintes de sa réalisation.
Tout en démontrant l’impossibilité technique de sa réalisation pour les élections de 2011, il met en garde contre les risques d’un forcing de la Lépi et exhorte le Superviseur général de la Cps-Lépi à ne pas être l’homme par qui viendra le malheur.
LETTRE OUVERTE AU SUPERVISEUR GENERAL DE LA CPS/LEPI
Honorable BAKO-ARIFARI Nassirou : Où nous conduisez-vous ?
Monsieur le Superviseur Général,
Il y a quelques semaines, lorsque j’ai appris que vous avez été élu pour prendre la succession de votre collègue Epiphane QUENUM à la tête de la CPS/LEPI, j’ai eu un véritable regain d’espoir, me disant qu’enfin Dieu consentait une fois de plus à se pencher sur l’avenir du Bénin et de ses enfants. Car, si je reconnais ne pas tenir votre prédécesseur en grande estime, j’ai toujours pensé par contre que vous incarniez l’intellectuel intègre, lucide et pondéré.
Seulement voilà, au fur et à mesure que les jours passent et que je vous vois agir par rapport à vos nouvelles fonctions, je me pose mille et une questions. Me serais-je si lourdement trompé en me fiant aux apparences et aux beaux discours que vous aviez l’habitude de débiter et qui ont toujours eu le don de me séduire ? Ou alors, serait-il possible que par un mécanisme occulte ou par un curieux mimétisme, vous ayez hérité du « virus » que votre prédécesseur a cultivé et multiplié à une vitesse supersonique ?
Je me refuse à donner foi à la rumeur populaire qui prétend que ce « virus » peut se décliner en francs CFA ou en portefeuille ministériel, mais j’avoue que j’ai moi-même du mal à le rattacher à quelque chose de plus noble ou de plus rationnel.
Sinon, comment comprendre qu’après tous les remous qui ont poussé votre prédécesseur à la sortie, après tous les reproches faits aux opérations menées dans le cadre de la réalisation de la cartographie censitaire par l’Union fait la Nation, reproches confirmés par le rapport du groupe de travail consensuel mis en place et dont vous êtes signataire, vous vous entêtiez à poursuivre contre vents et marées le processus de réalisation de la LEPI en prétendant lancer le recensement ménage par ménage ? Avez-vous déjà procédé aux corrections de la cartographie censitaire, comme vous l’avez recommandé dans votre rapport ? Où en est-on dans la mise en œuvre des autres approches de solutions et recommandations faites dans ce rapport du groupe de travail ?
Voilà autant de questions que je me pose et que toute personne censée devrait pouvoir se poser si tant est que nous nous soucions véritablement de l’avenir de ce pays et de son peuple.
Monsieur le Superviseur Général,
Je vous suggère de vous poser aujourd’hui les deux questions essentielles suivantes: Qu’est-ce que la LEPI ? Est-il encore techniquement et politiquement possible de réaliser la LEPI pour les élections de 2011 ?
Pour répondre à ces questions, je vous recommande de reprendre le rapport de la mission financée par l’Union Européenne sur l’actualisation de la faisabilité de la LEPI au Bénin et de le parcourir attentivement. Vous y trouverez ceci :
1°) Qu’est-ce que la LEPI ?
A la page 18 du rapport sus cité, on peut lire :
« … la LEPI est produite à partir d’un fichier national de la population électorale en prenant en considération plusieurs cycles électoraux.
. le fichier national de la population électorale prend en considération plusieurs cycles électoraux et est constitué par :
– La base de données démographiques, individuelles, nominatives et biométriques provenant du recensement électoral national approfondi (RENA)
– La base de données (géographique) de localisation produite par l’organe national compétent, sous l’autorité de l’organe de gestion des élections…. ».
Plus loin, il est dit, parlant du Recensement Electoral National Approfondi (RENA) qu’il s’agit d’ « …une opération de collecte d’informations qui identifie les électeurs. Il est réalisé selon des modalités et une approche méthodologique équivalente à un Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) incluant la visite de chaque ménage suivi de la collecte des données nominatives, individuelles et biométriques… » (page 20).
Ceci revient donc à dire que le RENA qui va aboutir à la LEPI doit être conduit suivant des étapes très précises. Ce sont la cartographie censitaire, le recensement ménage par ménage, l’enregistrement des électeurs, le traitement des données, la mise à jour et plus tard la révision. Le RENA doit également répondre à des normes techniques données.
Pour la cartographie censitaire, il s’agit de l’exhaustivité du dénombrement qui doit permettre de déterminer les Zones de Dénombrement Electoral (ZDE), de répertorier et localiser tous les sites habités par des Béninois (dénombrement des ménages), de faciliter le travail sur le terrain des agents recenseurs, de prévoir la logistique à déployer pour le recensement, de mettre en place une base d’informations géographiques sur les découpages électoraux (centres de collecte, bureaux de vote,…).
Le recensement quant à lui, doit être exhaustif, simultané, fiable, sécurisé et transparent. Compte tenu du caractère exhaustif du recensement, il est impératif que l’agent recenseur répertorie effectivement tous les ménages béninois. Dans un processus de réalisation de la LEPI, il est obligatoire de recenser toutes les personnes ciblées.
L’enregistrement se fait dans des centres de collectes et par aires opérationnelles. Il concerne les personnes qui ont l’intention de participer aux scrutins.
Au vu de tout ceci, il ressort clairement que, en dehors de l’enregistrement qui fait intervenir le bon vouloir du potentiel électeur, la cartographie censitaire et le recensement porte à porte sont incontournables et doivent nécessairement être exhaustifs dans un processus de réalisation de la LEPI. C’est d’ailleurs fondamentalement ce qui différencie la LEPI de la LEI, car dans le cas de la Liste Electorale Informatisée (LEI), point n’est besoin de réaliser une cartographie censitaire et un recensement porte à porte.
Monsieur le Superviseur Général,
Il me plaît à ce niveau de relever une « erreur » qui s’est glissée dans l’une de vos déclarations et qui a été relayée par la presse (L’Autre Quotidien N°1392 du mardi 13 Avril 2010, page 5).
En effet, lorsque vous affirmez que le droit de se faire recenser sur les nouvelles listes électorales est facultatif, que nous sommes dans un Etat de droit et qu’en cas de refus de se faire recenser, les agents recenseurs prendront acte, vous n’êtes pas tout à fait dans le vrai. Il n’existe pas de faculté de se faire recenser. Il est fait obligation à la structure en charge de recenser tous les Béninois ciblés par l’opération. C’est l’enregistrement sur les listes électorales qui est facultatif.
Ainsi donc, dès que vous assimilez la nécessité de mener obligatoirement et de manière exhaustive certaines opérations comme la cartographie et le recensement porte à porte, il devient plus aisé de comprendre pourquoi il est exigé de réaliser un consensus politique et technique autour de la LEPI.
On comprend également pourquoi tous les pays de la sous-région ont choisi l’option LEI qui ne fait appel à aucune des deux phases obligatoires et contraignantes donc nécessitant le consensus que sont la cartographie et le recensement porte à porte.
C’est donc pour moi l’occasion d’ôter de l’esprit des Béninois cette fausse assertion selon laquelle tous les pays francophones disposent de la LEPI, excepté le Bénin. Le seul pays de l’Afrique occidentale qui tente de se doter d’une LEPI s’appelle la Côte d’Ivoire et tout le monde sait qu’elle n’y a pas encore réussi.
Ceci me permet d’aborder la deuxième question posée plus haut :
Est-il encore techniquement et politiquement possible de réaliser la LEPI pour les élections de 2011 ?
D’un point de vue politique, comme démontré plus haut, la condition essentielle à remplir pour la réalisation de la LEPI reste et demeure incontestablement le consensus.
Mieux, il y a des articles de la loi 2009-10 du 13 Mai 2009 qui doivent impérativement être modifiés si tant est que l’on tient à avancer dans le processus. Il en est ainsi par exemple de l’article 6 qui prévoit la conduite du recensement porte à porte par aire opérationnelle, alors qu’il est universellement admis que cette opération se déroule de façon simultanée sur toute l’étendue du territoire. D’aucuns diront qu’il suffit de prendre un décret d’application. Mais, ce serait oublier que dans la hiérarchie des normes, la loi est au-dessus du décret et ce dernier ne peut la contredire. D’où il faut recourir à une loi modificative.
Si un consensus n’est pas réalisé, lancer la modification de la loi 2009-10 revient à ouvrir la boîte de Pandore et nous repartirons dans un autre épisode dont nul ne pourra prévoir l’issue.
Ainsi donc, sans un consensus politique, le processus de réalisation de la LEPI semble bien dans l’impasse. Or, jusqu’à présent, rien n’augure de la réalisation prochaine de ce consensus.
Techniquement, il convient d’abord de corriger les erreurs relevées lors de la cartographie censitaire. Ce qui passe par le règlement de certains préalables comme la détermination des limites des villages, arrondissements, communes,… afin de rattacher définitivement chaque ménage et infrastructure à la localité dont elle relève réellement. Ensuite, il faudra procéder au recensement porte à porte qui, en l’état actuel de la loi 2009-10 doit s’étendre sur au moins trois mois. Puis, viendra la phase de l’enregistrement qui devra se dérouler normalement sur six mois. Le traitement des données durera au moins un mois, de même que l’affichage. Après cela, on fera l’apurement et une première mise à jour avant les prochaines élections. Bref, sans compter le temps nécessaire pour la correction des erreurs issues de la cartographie, il faut prévoir encore au bas mot 12 à 13 mois pour espérer réaliser une LEPI assez fiable.
Or, lorsque l’on retire du délai nous séparant des élections de 2011, les trois mois dont la CENA doit légalement disposer pour préparer le scrutin, il nous reste à peine huit mois de sursis.
Au total, à moins de se lancer dans un bâclage préjudiciable au résultat escompté, il n’est plus techniquement possible de réaliser la LEPI pour 2011.
Reconnaître cet état de fait n’est pas une faiblesse. Cela relève plutôt de l’honnêteté intellectuelle et du patriotisme.
Monsieur le Superviseur Général,
Osez reconnaître et dire à qui de droit que la mission qui vous a été confiée est définitivement compromise pour l’échéance 2011 et vous aurez fait avancer notre démocratie car alors, vous ferez comprendre aux uns et aux autres qu’il faut dès à présent penser à un plan de rechange pour les élections de 2011, en attendant que les conditions soient véritablement remplies pour réaliser la LEPI.
Ce plan de rechange existe et s’appelle tout simplement Liste Electorale Informatisée (LEI). Bien faite, la LEI est aussi fiable et sécurisée que la LEPI sauf qu’elle n’a pas vocation à la permanence. C’est cette solution que tous les pays qui nous environnement ont mise en œuvre et ils ne s’en portent pas plus mal. Elle peut se réaliser dans un délai de cinq à huit mois au maximum et ne nécessite pas autant de moyens et de préalables à régler que la LEPI.
Monsieur le Superviseur Général,
Persister dans la voie que vous semblez vouloir emprunter à tout prix s’appelle une fuite en avant. Comme pour répondre à la question que je vous ai posée au départ, je dirai qu’à l’allure actuelle, vous nous conduisez les yeux bandés vers l’inconnu. Cela, l’Histoire le retiendra et le peuple ne vous le pardonnera pas.
Je ne vous souhaite pas d’être l’homme par qui le malheur arrive. Vous tenez votre destin, et celui d’environ huit millions de Béninois, entre vos mains. Réfléchissez bien … et choisissez.
Clotaire OLIHIDE
Spécialiste des questions électorales
Auteur de l’ouvrage « Elections Communales et Locales 2008 au Bénin : Autopsie d’un cafouillage organisé »
Tél : 95 85 69 13 / 97 54 24 86
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