Le Liban choqué par un village qui s’est fait justice lui-même

Le village de Ketermaya, à 25 kilomètres au sud de Beyrouth, est depuis dix jours au centre d'une affaire qui bouleverse tout le Liban. Depuis vendredi, les habitants se sont barricadés et brûlent de vieux pneus, pour obtenir la libération de deux des leurs, accusés d'avoir participé à un lynchage collectif : celui d'un homme, Mohammad Moslem, un Egyptien de 38 ans, qui a été poignardé, puis pendu par un croc de boucher devant une foule déchainée.

La scène s'est déroulée le 29 avril, au lendemain d'un meurtre atroce que l'Egyptien avait reconnu avoir commis. Le lynchage a été filmé et les images ont été diffusées à la télévision libanaise. Nous avons décidé de ne pas diffuser cette vidéo qui contient des images extrêmement choquantes.

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Mohammad Muslem a été pris à partie par la foule alors qu'il arrivait, encadré par des policiers, pour la reconstitution du crime atroce qui a secoué le village : un couple âge et ses deux petits-enfants, deux fillettes de 7 et 9 ans, poignardés à leur domicile. L'Egyptien avait avoué avoir commis le quadruple crime, alors qu'il était déjà recherché pour le viol d'une adolescente et qu'il tentait de négocier avec la famille de sa première victime.

Selon les récits de la presse libanaise, la foule a débordé les policiers, et s'est emparée du suspect, avant de lui faire subir le sort qu'on voit sur les images. Une manière expéditive et brutale de se faire justice soi-même.

L'affaire a provoqué de très nombreuses réactions au Liban, jusqu'au président de la République, Michel Sleimane. Le site Libanews souligne que c'est le mot « barbare » qui revient dans la plupart des réactions, certains Libanais faisant le parallèle avec certaines atrocités commises pendant la guerre civile, après 1975.

L'affaire semblait se calmer, mais le village de la région du Chouf a replongé dans l'effervescence vendredi, lorsque la police libanaise est venue arrêter deux villageois, suspectés d'avoir participé au lynchage. La population a installé des barricades sur la route principale, et mis le feu à de vieux pneus pour manifester sa colère.

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Les Libanais n'ont pas confiance en leur justice

Selon un habitant cité par la presse libanaise :

    « Nous sommes dépeints par les médias comme des criminels mais c'est faux. Muslem a massacré quatre personnes. La police devrait relâcher les deux personnes interpellées ou arrêter tout le village. »

Dans la foulée du lynchage, le ministre de la Justice, Ibrahim Najjar, avait déclaré :

    « Quel que soit le sentiment des villageois, rien au monde ne justifie cette réaction collective. »

Mais de nombreux commentateurs libanais font observer que cet incident est révélateur de l'absence de confiance des citoyens libanais dans leur Etat, et dans sa capacité à faire réellement respecter la justice. Un héritage de la guerre civile et de l'instabilité politique qui, vingt ans plus tard, continue de miner l'Etat libanais.

Les habitants de Katermaya ont appris depuis longtemps à ne compter que sur eux-mêmes, au risque de sombrer collectivement dans l'horreur.
(Pierre Haski)
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