Vingt-quatre heures perdues dans la forêt «guinée-mali» entre rochers, cris d’oiseau et absence de réseau de communication. La caravane de l’intégration de l’Afrique de l’Ouest a sué le chaud et le froid du vendredi tôt le matin à l’aube du samedi. Le pire a été frôlé.
Vendredi 04 juin 2010. Six heures trente. La caravane de l’intégration s’apprête à prendre congé de Guinée Conakry à partir de Siguiri, localité frontalière avec le Mali. «Embarquez ! Embarquez ! Embarquez !…» La voix du colonel chargé du réveil et de l’embarquement des caravaniers se fait entendre ainsi. Rapidement, chacun saute de son matelas posé à même le sol et se débarbouille dans la précipitation. L’heure n’est plus à la toilette avec éponge savonnée à passer sur le corps. Seuls les plus habiles ont pu le faire. Puis, la caravane décolle. Il est sept heures trente-huit. Direction, Kita, première localité du Mali au sud-est. La voie est bitumée et plaisante. En l’espace d’une heure de route, la frontière est atteinte. «Il nous reste cent trente kilomètres pour atteindre Bamako et continuer sur Kita.» Au loin, une discussion s’engage entre les coordonnateurs de la caravane et des gendarmes. La nouvelle parvient aux autres caravaniers. «Le Pdg de Africable a interdit de passer par Bamako pour rallier Kita. Il faut rebrousser chemin pour prendre une route quarante kilomètres en arrière.»
Là déjà commence le découragement parce qu’il est dit que cette route n’est pas bitumée. La caravane rebrousse quand même chemin. Arrivée au lieu indiqué, hésitation. L’équipe de la coordination semble ne pas connaître le circuit. Elle s’informe, s’engage sur une voie, s’informe à nouveau, encore à nouveau. La route est enfin prise. Mais le tour en rond un long moment a fait approcher midi. Midi sonne et les minutes s’égrènent. Alors commence l’aventure périlleuse. La route n’en est pas une, véritablement. On dirait une piste de desserte rurale. Tout juste de la brousse qui laisse transparaître un semblant de voie d’emprunt. Mais, à force d’évoluer, la route disparaît pour laisser place à des trous rocailleux semblables à des lits de cours d’eau asséchés. A certains endroits, l’eau ruisselle encore dans les trous. Ailleurs, c’est carrément des roches qu’il faut dégager.
Du coup, il faut descendre des bus et laisser les conducteurs et machinistes dans les véhicules pour franchir à chaque niveau l’obstacle en présence. Ceux en suppléments, les mécaniciens et bien d’autres caravaniers se transforment en guide. Chacun essaie autant que possible d’aider chaque conducteur à se frayer du chemin. Mais, à des endroits donnés, il faut pousser les véhicules pour les tirer d’affaire. Surtout les bus. Les petits véhicules (des 4×4) passent plus facilement. Mais le comble, ce sont les camions y compris un camion podium dont la longueur de la remorque peut supporter deux containers à la fois. Quand ce camion s’embourbe, il faut un long moment voire des heures pour le sortir. Et presque toutes les trente minutes, un obstacle se présente sur le chemin dans cette forêt clairsemée avec la présence de grands arbres rappelant aussi la savane.
Ainsi, au fur et mesure que la caravane s’avance, de façon timide, les obstacles s’enchaînent et le temps progressivement s’en va. Au beau milieu de cette forêt où aucun réseau téléphonique mobile ne marche, la nuit commence à étaler son drap. Dans le même temps, la réserve d’eau des caravaniers s’épuise. La soif et la faim bousculent de part et d’autre. Pas de nourriture et pas d’eau. Même pas un fruit à croquer. Nulle autre présence humaine pour s’en procurer. Plusieurs des conducteurs commencent à réclamer à boire, épuisés. Le colonel en chef de la sécurité ordonne une des 4×4 de prendre la route pour aller à la recherche de l’eau. «Allez chercher de l’eau dans le premier village que vous trouverez», a-t-il lancé au conducteur. Avec ses autres occupants, il se lance dans la quête de l’eau en disparaissant au loin. Vingt heures a déjà sonné. Quelques minutes plus tôt, le camion podium s’est embourbé pour la énième fois, mais cette fois pour de bon. Conjugaison des efforts, appel à différentes techniques… impossible de le tirer d’affaire.
Pour minimiser les conséquences d’éventuelle attaque par des malfrats et même des bêtes sauvages, le colonel en chef de la sécurité demande à tout le monde d’évoluer vers le prochain village excepté le machiniste du camion embourbé, des mécaniciens, un médecin, lui-même et un de ses adjoints. «Jamais, rétorque deux journalistes. S’il faut qu’ils meurent, nous mourrons tous.» Ils sont immédiatement rejoints par quelques autres conducteurs. Toutes les tentatives du colonel pour leur faire voir la pertinence de sa recommandation ont été vaines. «Nous restons tous pour subir le même sort. Cela permettra au Pdg de comprendre que la vie humaine est sacrée.» La tension monte, monte et monte encore.» Certains se lancent sur la route à pied munis d’une lampe torche. Entre temps, ceux qui sont allés chercher de l’eau reviennent. Tels des réfugiés affamés depuis soixante douze heures, des caravaniers se jettent sur l’eau. En cascade, les porteurs annoncent: «Le village le plus proche est à trois kilomètres d’ici. Nous avons un tout petit peu d’obstacles à franchir pour l’atteindre; mais, les villageois sont prêts à nous accueillir si nous acceptons de dormir là-bas.» Aussitôt, ils reprennent la route pour y retourner. Soudain, tout le monde décide d’aller découvrir le village. Les moteurs des véhicules sont remis en marche. Le colonel décide qu’il faut aller chercher du renfort dans le village pour sécuriser le camion podium.
Arrivés au village, du nom Kokoroni, une bouillie à base de riz accueille les caravaniers. L’empressement pour boire un peu de cette bouillie est indescriptible. La faim a tellement rongé qu’aucune préoccupation préalable d’hygiène ne s’est posée. Certains ont payé des poulets auprès des villageois que ces derniers leur ont grillés et qu’ils ont dégustés sur place. Toujours, pour conjurer la faim. A l’instant, il sonnait zéro heure. Après avoir négocié le renfort dans le village, le colonel annonce qu’il faut que tous les autres continuent la route pour Kita. Les véhicules s’ébranlent. De nouveaux obstacles s’enchaînent sur le parcours mais d’intensité moindre. A cinq heures dix (temps universel), Kita s’annonce. Les caravaniers atteignent enfin la fameuse ville, destination obligée sans passer par Bamako.
Fortuné Sossa (Kita/Mali)
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