Affaire ICC-Services :gouverner, c’est prévoir

Depuis l’éclatement de la bulle ICC-Services, à quel spectacle avons-nous eu droit de la part de nos dirigeants ? Nous avons vu des gens saisis de panique, qui posent des actes hasardeux et tiennent des propos irrationnels. Une des sociétés de placements d’argent est en faillite, on ordonne la fermeture de toutes et le gel des comptes de l’ensemble des structures de placements.

On se met ainsi tous les clients à dos, au lieu de se concentrer sur les seuls qui sont pour le moment en difficultés, et, dans le même temps, de clarifier, d’endiguer la situation des autres. Gouverner, c’est prévoir, dira-t-on, et on a pris des mesures conservatoires. Ce n’est pas maintenant qu’il faut prévoir, et faire semblant de protéger les citoyens. C’était il y a quatre ans, quand tout a commencé au vu et au su de tous. Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’on n’était au courant de rien. Les marcheurs de Suram Angel ont eu raison d’exiger, ce jeudi 8 juillet 2010, que soient débloqués les comptes de cette société qui se dit capable de continuer à payer ses clients.
Pour ma part, j’ai du mal à reconnaître les personnalités qui nous gouvernent et qui sont un certain nombre à venir du monde des finances. Si on devait les citer, on commencerait par le chef de l’Etat lui-même, M. Thomas Boni Yayi, docteur en économie, directeur de la BOAD pendant dix ans. Les ministres du plan et des finances, MM. Irénée Pascal Koukpaki et Idriss Daouda, qui sortent tout droit de la Banque Centrale des Etats de l’Ouest (BCEAO). Ne parlons pas du « grand » professeur agrégé d’économie, en charge de la cellule d'analyse macro-économique à la Présidence de la République, M. Fulbert Géro Amoussouga, dont les interventions sont les plus calamiteuses.

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Le ministre des finances susnommé a centré toute sa communication, lors de l’interview accordée à la télévision nationale, le dimanche 4 juillet 2010, sur l’idée que les sociétés de placements ne sont qu’une affaire de vaste escroquerie et d’abus de confiance. Le président, lui, pleurnichera sur l'immoralisme et le manque de scrupules des présumés coupables, et sur la perte des valeurs qui doit conduire à une refondation de la République ! Pas moins ! C’était d’abord le lundi 5 juillet 2010 à Adjarra, puis le mardi 6 au palais de la Présidence. Sur la base de ces prémisses démagogiques, on ordonne hâtivement la fermeture des sociétés de placements et le gel de leurs comptes bancaires. On veut donner le change à bon compte et faire accroire qu'on se situe au-dessus de la mêlée. Et chacun d’y aller de son sermon à la petite semaine sur l’appât du gain facile et le prétendu goût des Béninois à avoir beaucoup d’argent sans rien faire.

Mais ce dont personne ne nous parle et qui pourtant crève les yeux, c’est que le capitalisme est devenu cela, essentiellement et partout en ce monde « globalisé et mondialisé ». Que c’est même d’abord cela que permettent la globalisation et la mondialisation : les placements transfrontaliers, incontrôlés et incontrôlables, grâce à l’hyper-développement des technologies de l’information et de la communication. Le capitalisme est devenu total et spéculatif. Notre monde se trouve entre les mains des boursicoteurs et des traders qui, au service d'une poignée d'actionnaires, reçoivent bonus sur bonus quand, en un clin d’œil, il démultiplient, comme Jérôme Kerviel, les capitaux au moyen de quelque bon placement, depuis leur bureau ou leur maison, sur le marché financier international à Singapour, Londres, Hong-Kong, Pékin ou New-York. En effet, quelque trois cents millions d’actionnaires, dans l’anonymat le plus total, ont accaparé la richesse du monde. Parmi eux, à n’en pas douter, plusieurs de nos dirigeants africains, prédateurs bien connus, de deniers publics. Ce sont eux qui contrôlent « la quasi-totalité de la capitalisation boursière mondiale  ». « A la fin de l’année 2003, la capitalisation boursière mondiale était égale à 31 000 milliards de dollars, soit 86% du PIB annuel de la planète qui s’élevait alors à 36 000 milliards de dollars . » C’est assurément le pire du capitalisme. Plus besoin de s’intéresser à l’économie réelle, de créer des entreprises et de générer des emplois. Plus besoin de vanter les vertus du travail et de l’effort. .« Pour la première fois dans l'Histoire, l'ensemble des êtres humains est de moins en moins nécessaire au petit nombre qui façonne l'économie et détient le pouvoir . » L’argent tout seul  – entendez bien : sans travail –  génère de l’argent, et beaucoup d’argent. Bien sûr qu’il y a des risques. Mais où n’y en a-t-il pas ? On tombe aussi en faillite dans l'économie réelle et c'est encore nous qui en savons quelque chose en ces temps de mévente. Les affaires Bernard Mardoff existent et vont exister. Les effondrements de systèmes bancaires aussi, vite renfloués par les Etats qui vont chercher des crédits, au besoin, jusqu'en Chine communiste et dont on se dépêche de se débarrasser en les remboursant en un éclair. Mais tout ne se réduit pas au système Ponzi, à l’ « épargne pyramidale», qui consiste à payer les intérêts des anciens épargnants avec l’argent des nouveaux arrivants. Manifestement, ICC Services reposait sur un tel système avec l’appui et la complicité de nos dirigeants, qui se trouvent pourtant être des banquiers, et cela au plus haut niveau de l’Etat. On apprend qu’Armand Zinzindohoué, le ministre de l’intérieur qui vient d’être limogé, « recevrait chaque vendredi la somme de vingt millions (20 000 000) de francs CFA. Des proches à lui avancent que cette somme ne constitue pas un pot-de-vin mais plutôt les ristournes de ses actions. En effet, ces derniers expliquent que le ministre Zinzindohoué est actionnaire dans ICC-Services. Un acte dont la gravité dépasse l’entendement humain . » Si l’acte du ministre dépasse l’entendement humain, ce n’est pas du fait des grosses ristournes raflées hebdomadairement ; c’est parce qu’il s’agit d’ICC-Services, de système Ponzi-Mardoff, d’épargne pyramidale , et que l’ex ministre était bien placé pour le savoir.  Encore une fois, le capitalisme est devenu total, financier, spéculatif, le pire du capitalisme. Mais nous y sommes. Notre idéologie depuis la Conférence des forces vives en 1990, c’est bien le libéralisme économique, non ? Le libéralisme sauvage, avec ses douceurs pour quelques uns et ses grincements de dents pour le plus grand nombre. N’est-ce pas pour cette raison que nous avons choisi le banquier Nicéphore Soglo pour diriger la transition et pour conduire le premier régime du renouveau dit démocratique, conformément aux diktats du capital financier ? N’est-ce pas pour cette même raison que nous avons donné toute notre confiance  – du moins à 75% -, sur les conseils diligents de la société civile si bien éclairée et si neutre, au banquier Thomas Boni Yayi qui est venu changer le renouveau et qui veut maintenant refonder la république? La vérité, dans cette situation, pour nous autres d'en-bas, c'est que le système nous laisse pour compte, se passe de plus en plus de nous. Nous devenons superflus, inutiles ! Nous découvrons, effarés, « qu'au-delà de l'exploitation des hommes, il y a pire : l'absence de toute exploitation  » ! Pris d'angoisse et désespoir, nous nous sommes livrés, en hypothéquant ceci et cela, aux sociétés de placements descendues comme par enchantement jusqu'à nous.

Dans ces conditions, ce que nous étions en droit d’attendre de nos dirigeants qui, Dieu merci, sont avertis des choses de la finance internationale, ce n’est pas de pleurnicher. Mais de nous dire qui est qui, qui est effectivement dans le système Ponzi-Mardoff et qui est effectivement dans l’e-business mondialisé, qui est trader international et qui ne l’est pas, et de nous protéger des escrocs tout en nous laissant prendre à notre petit tour, à notre petit niveau comme eux à très grande échelle, les risques que nous impose le pire du capitalisme. Celui-ci nous garantit au pire des cas de nous rembourser notre capital augmenté de 2%. Trêve d’hypocrisie et de fausse vertu ! Et qu’on cesse de nous prendre à ce point pour des gogos !

par Albert Gandonou
Professeur de lettres :IUB

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