Cinquantenaire de l’indépendance: les grands noms de la musique béninoise font le bilan

Cinquante ans d’indépendance. Dans 115 jours le Bénin franchira le cap. Plusieurs attractions culturelles sont inscrites au programme, notamment la soirée d’animation culturelle qu’organise l’hôtel Peace and Love à Cotonou. Les animateurs de ce concert sont pour la plupart de grandes figures qui ont marqué la musique béninoise d’alors. En attendant le grand jour, l’heure est encore au bilan. Ils se confient…

Edia Sophie

«Après ces cinquante années d’indépendance, nous devons nous demander ce que nous avons réalisé. Qu’avons-nous hérité des colonisateurs. J’avais 21ans quand le Bénin accédait à l’indépendance. C’est à Porto-Novo qu’elle s’est déroulée pour la première fois. Et voilà que Porto-Novo a été choisie pour abriter le cinquantième anniversaire. Ne voyez-vous pas que c’est la volonté de Dieu ? Que le premier et le cinquantième se tiennent  dans la même ville ! Ce que j’ai à dire, c’est que pour ce cinquantenaire les béninois doivent se retrouver au sein d’un cercle pour réfléchir sur la manière de procéder. Au lieu de se jeter à l’eau en désordre. On ne peut entreprendre une action sans y réfléchir longuement, et continuer sur cette lancée. Si on mène la réflexion selon laquelle, suivant l’exemple des colons, nous aussi nous allons prendre des initiatives pour aboutir à de satisfaisants résultats, ce serait bien. Après cinquante ans je ne vois pas de changement dans la musique béninoise. Rien n’a évolué. Nous les anciens, n’avions rien gagné dans le temps. Aujourd’hui ce sont les jeunes qui en profitent. Je rends grâce à Dieu parce qu’ils en ont l’opportunité. Je suis contente pour eux. De plus, ils sont nombreux. Je les bénis et leur souhaite le meilleur et qu’ils aillent de l’avant. Car moi je n’y ai rien gagné.»

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Pierre Dassabouté

«Cinquante ans d’indépendance. Quand on se reporte aux années 60/ 70, on constate qu’il y a une nette amélioration. Il y a des choses qui ont changé.  Ça fait plaisir. La première fois que je devais aller en studio, c’était un jonglage. Il n’y avait pas de studio. C’était la radio nationale. On a presque triché pour me faire sortir mon premier ‘45 tours’. A l’heure actuelle on a des studios partout. Je dirai même que cette pléthore est encore un problème. Si on n’y prend garde. Le fait de s’enfermer dans les quatre coins d’un mur avec un petit ordinateur pour faire sortir la musique, diminue quelque chose. Cela fait que l’homme devient très paresseux. Les jeunes ne font plus beaucoup d’efforts, comme nous on faisait. Il y avait des musiciens professionnels. Si tu es bassiste, on te reconnaît. Quand on veut de la bonne basse en studio, on te fait appel. Un soliste, çà se connaissait. Un chanteur, il y en avait vraiment. Les gens étaient sollicités pour leur voix. Les enfants ne se gênent plus. Ils font sortir de la musique. La population ne sait plus distinguer.    Vous mettez un artiste sur scène pour faire du live, vous êtes déçu, parce qu’il n’y avait pas un travail. En dehors de ça, ce qui est lamentable et regrettable, que j’ai constaté, moi je viens du nord, chaque région a sa particularité en musique. Qu’on veuille arracher tout ce qui se trouve ailleurs pour confier à une seule région  c’est très mauvais. A la longue ça risque d’éclater et d’être un danger pour le pays. Vous voyez par exemple des danses ‘yom’, ‘otammari’, ‘waama’, ‘bariba’, qui sont exécutés par des gens d’Abomey, parce qu’ils sont dans l’ensemble national, ils ont reçu un financement national de l’Etat, pour acheter des accoutrements que les autres n’arrivent plus à acheter. Ils vont représenter le pays à travers le ‘tipenti’, le ‘sinsinoun’.Le jeune bariba, qui exécute des pas du ‘sinsinoun’ n’écoute pas seulement la musique. C’est la flûte traversière. La flûte parle aux jeunes. Comme à Abomey, le gon parle aux jeunes.  Et ça, je l’ai crié depuis 1984, pendant que j’étais animateur culturelle. J’ai dit que ça risque d’être un problème. Aujourd’hui ça se pose. Qu’on aille en Amérique et qu’on retrouve les gens d’une autre localité qui dansent, qui singent, alors que les authentiques danseurs sont là. Ce qui est très dangereux, c’est que la facilité d’exercice n’existe plus au nord. Les jeunes n’ont plus besoin de danser. On ne les sollicite pas pour sortir. Il n’y a pas de motivation. Donc ils s’en détournent. Ils dansent le ‘ndombolo’. C’est dangereux. Il faut les faire sortir. L’ensemble national, c’est bon. Mais il faut des ensembles départementaux qui seront des pépinières. C’est là qu’on va prendre les bons danseurs pour aller nous représenter à l’extérieur. Si on a besoin du ‘sinsinoun’, qu’on aille dans le Borgou et qu’on prenne les vrais ‘bariba’ et on insère quelques danseurs ‘fon’. Sur dix si on a deux danseurs ‘fon’ c’est bon. C’est l’unité nationale. C’est ce que je vois à travers ces cinquante ans. Ce qu’il faut réajuster.
Nous avons maintenant les moyens de nous épanouir. Au niveau du ministère, il faut que les gens pensent à une structure qui va canaliser toute cette masse de jeunes qui montent sur le podium. On n’interdit pas aux jeunes de chanter, mais quand vous les recevez et que vous leur dites ‘toi tu n’es pas encore mur, va travailler’. C’est bon. Mais il ne faut pas laisser tout le monde se tresser les cheveux et dit qu’ils sont artistes. Parmi ces jeunes, il y a certains par exemple, quand ils se mettent à chanter vous tremblez. On sent qu’un travail est fait. Il faut amener les autres à faire ça. Et non les mettre au même niveau que d’autres qui ne font que se tresser, qui, avec l’appui de leurs parents qui sont riches, sortent des disques, même si ce n’est pas vendu.

Sagbohan Danialou

«Cinquante années d’indépendance, ce sont des civilisations, un développement, un progrès, beaucoup de souffrance, un changement, un peu de monotonie. Il y a tout dans ces cinquante années d’indépendance. Il y a eu un changement. Parlant des lieux. De la gare à mon village aujourd’hui  il y les pavés, aujourd’hui la gare est en autoroute alors qu’à l’époque c’était une route cassée, qui causait beaucoup d’accidents. Dans le secteur de la musique il n’y avait pas d’électrophone. Il y avait la radio, le gramophone. Aujourd’hui de gramophone, on est passée à la cassette. Un grand changement sur le plan musical. Le pays a grandi. Je connais des coins à Cotonou qui étaient des marécages, mais qui sont devenus aujourd’hui des maisons à étage, des immeubles dignes. Des ruelles sont devenues des rues. Les gens ont grandi. Ceux qui sont morts sont partis. Nous, nous sommes là. Nous avons acquis un certain nombre d’expérience. Chacun de son côté. On a évolué. J’étais très jeune, mais aujourd’hui je suis un père de famille. A l’époque les membres de certaines parties politiques venaient dans notre village taper ceux qui ne sont pas de leur bord. Aujourd’hui il n’y a plus ça.»

Sèna Joy

«Cinquante ans d’indépendance dans le domaine de la culture, c’est nul. Parce que selon mes analyses, jusqu’aujourd’hui la culture béninoise n’est pas encore connue à l’étranger. Indépendamment de cela, la jeunesse qui devrait nous emboîter les pas, a carrément viré. Peut-être parce que ce secteur leur rapporte mieux que ce que nous avions fait. Je me rappelle qu’en notre temps, il y avait des artistes qui composaient pour le ‘Jeck’, mais cette musique n’a pas dominé le tradi-moderne. Aujourd’hui si vous faites le bilan vous verrez qu’il y a plus d’artistes Hip hop ou rappeurs que ceux qui font ce que nous avons l’habitude de faire. Ce que j’ai vu faire et j’ai aimé. Je ne suis pas contre eux, mais je dois dire ce que je pense. Si la musique béninoise doit aller de l’avant, ce n’est pas le hip-hop ou le rap béninois, c’est la musique tradi-moderne, c’est de composer dans nos rythmes béninois. C’est ça qui doit fait passer la culture béninoise  à l’étranger. Si Sagbohan Danialou est allé aux Etats-Unis et Don Métok en Chine, ce n’est pas pour chanter du rap béninois comme on a l’habitude de le dire. Nous sommes les premiers ambassadeurs du Bénin, parce que les gens nous invitent. On ne peut  représenter le Bénin avec le ‘jeck’ ou le hip-hop. Quand j’allais aux Etats-Unis en 1993 je n’avais pas communiqué autour. Je représentais le Bénin, et j’ai même été décorée par un promoteur haïtien. Le ministère ne peut dire le contraire parce qu’il y a les archives. Il y avait des posters, des copies de spectacles. Il y a beaucoup de chose à faire dans ce domaine puisque aujourd’hui nous avons les moyens. Je veux parler du milliard culturel, que nous demandons au chef de l’Etat d’augmenter. Nous lui demandons d’aider surtout les artistes qui font la musique traditionnelle et la musique tradi-moderne, de ne pas encourager  ceux qui font du hip-hop. Le hip-hop, c’est pour les américains. Vous ne pouvez pas voyager  dans un autre pays et aller faire quelque chose que d’autres ont créée.
 Je suis un artiste de la révolution, et non un artiste de la démocratie ou un artiste d’hypocrisie de paix. Car, quand vous ne vous aimez pas il n’y a pas de paix, mais une hypocrisie de paix. C’est ce qui se fait actuellement au Bénin et dans le milieu culturel. Je remercie au passage un jeune opérateur économique qui connaît la valeur de la musique béninoise et qui nous a sollicités pour un concert. Quand j’ai commencé la musique, c’est Edia Sophie que j’ai vu faire et je lui ai emboîté le pas. Elle est le baobab, et voilà le traitement qu’on lui inflige. Quand on est allé chez l’opérateur économique, on ne l’avait pas inscrite. Moi, j’ai dit que si elle ne joue pas, je ne jouerai pas. Pourquoi ne pas chanter comme elle ?
 Faisons notre culture, c’est ça qui fait de nous des ambassadeurs culturels. On donne l’opportunité à ceux qui font hip-hops. Fine. C’est leurs temps. Je n’ai rien à leur envier.
Cependant, il faut modérer les choses pour dire que tout n’a pas été mauvais en ce sens que, quand nous avions commencé, on volait de nos propres ailles.  Aujourd’hui le ministère a compris et donne l’opportunité à certaines personnes de se faire connaître, à travers le fonds d’aide à la culture. Ce n’est pas mauvais. Il y a maintenant une affluence de jeunes : ceux qui chantent mal, ceux qui chantent faux,  et ceux qui chantent bien. Tout le monde est artiste. Le droit d’aînesse est bafoué. En toute chose il faut  respecter les aînés. Lors d’une émission sur Atlantique Fm où j’ai été reçue par Serges Ologoudou, j’ai demandé qu’on commence à catégoriser les artistes. Personne ne parle parce qu’ils ont peur. C’est le ministère qui les nourrit. Il faudra donner à César, ce qui est à César, et à Dieu, ce qui est à Dieu. Je remercie Dieu de m’avoir ramené au Bénin. Je suis contente de participer à la fête.
Vive la culture béninoise !

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Nestor Hountondji alias Dji-Nesto Babaakè

«Cinquante ans d’indépendance c’est peu, mais c’est beaucoup. Par exemple, à l’indépendance c’était le nom Dahomey et aujourd’hui c’est le Bénin. Un enfant qui vient de naître ne peut jamais se tenir debout tout seul. Il est normal que nous nous donnions la main comme aujourd’hui. Aujourd’hui que nous avons au moins quelqu’un qui a le sang noir, un africain, qui a ses oreilles dans le peuple et dans le gouvernement, un peu partout. Il est normal qu’on s’écoute et qu’on remette toujours la balle à terre en cas de divergences, car inutile de se battre pour rien du tout. Nous ne sommes pas des animaux. Nous sommes des hommes intelligents. Dieu nous a donnés l’intelligence pour réfléchir. Les animaux ne construisent pas.

Ce sont les hommes qui construisent. En 1960 dès mon retour de Viet-Nam les choses n’étaient pas ainsi. Aujourd’hui tout a changé. Je souhaite que ça continue ainsi. Nous ne sommes pas pauvres, mais pas aussi riches. A Paris la tour Eiffel ne s’est pas construite en un seul jour. Rien n’est gratuit sur cette terre. Nous devons nous efforcer pour continuer,  à travailler la main dans la main comme je l’ai dit dans cette chanson révolutionnaire que j’avais chantée.  Nous marchons et maintenant près pour la démocratie et çà doit aller. Par la grâce de Dieu tout peut bien partit.»

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