Il est juste de souligner que Jacques CHIRAC, ancien jeune trotskiste, est resté fidèle à ce postulat marxiste revu par l’analyse systémique : les partis politiques sont le lieu d’agrégation et d’expression des intérêts des classes sociales, et non celui d’articulation de ces mouvements socio-culturels fonctionnant comme des lobbies, notamment les ethnies.
Seulement, l’Afrique n’est pas le seul espace géopolitique à être dominé par des configurations ethniques plutôt que par une dynamique socio-politique caractérisée par la lutte de classes sociales aux intérêts antagonistes. Les Etats-Unis, autoproclamés terre de la plus grande démocratie du monde, ne connaissent pas de vie socio-politique animée par de grands partis politiques, comme dans la vieille Europe. Les partis politiques sont presque inexistants dans la vie socio-politique américaine et ne se manifestent épisodiquement que lors de ces véritables fêtes populaires que sont les primaires et leur bouquet final, les conventions. Après ces fêtes, plus populaires que politiques, c’est le silence total. Les deux partis politiques tombent en léthargie et l’animation de la vie politique n’est guère plus partisane, mais institutionnelle au niveau du Congrès ceinturé par de multiples lobbies. Selon les critères marxistes, les Etats-Unis ne fonctionnant pas sur une base partisane à l’européenne, ne peuvent prétendre être une vraie démocratie ; mais l’homme d’Etat français hasarderait un tel axiome qu’il serait littéralement conspué. Donc on ne peut pas prétendre que les pays africains ne sont pas de vraies démocraties sur la seule base que de véritables partis politiques n’existent pas dans ces pays. Au contraire, les partis politiques réduits à un rôle de lobbies locaux, le clash des idées politiques a lieu d’abord au niveau institutionnel, comme aux Etats-Unis. Aussi le jeu politique se manifeste-t-il plutôt au Bénin au niveau de l’instance législative : l’expression démocratique a lieu à l’Assemblée Nationale, et il est heureux que chez nous la mouvance présidentielle ne soit pas la majorité parlementaire. Cependant, dans les démocraties modernes, il émerge une troisième instance d’expression de la souveraineté populaire, autre qu’au niveau des instances classiques de délégation de la souveraineté populaire que sont la Présidence de la République et la Représentation nationale ; ce sont ces techniques de véritable consultation du peuple que sont les sondages d’opinion. Seule une véritable opinion publique scientifiquement bien consultée sur toutes les questions intéressant la vie nationale constitue à l’heure actuelle le vrai rempart contre le pouvoir dictatorial. Or, le spectacle que nous avons devant nous chaque week-end n’encourage guère à l’optimisme. La logique du ventre oblige, des milliers de femmes enturbannées aux tenues bigarrées crient à tue-tête, chantent et dansent à la gloire du Chef ; comme aux heures de gloire de « Notre Grand Camarade de lutte ». Après tout, deux mandats consécutifs non renouvelables pour le Chef d’Etat actuel sont bien prescrits par notre Constitution ; mais ce n’est pas la peine de nous en rabattre les oreilles à temps et à contretemps. Sinon, en flattant le côté messianique qui sommeille en tout chef d’Etat, nous risquons de dresser le nid du despotisme et la conséquence prévisible d’une telle situation, c’est qu’après 2016, les mêmes femmes et les mêmes jeunes stipendiés se mettent à chanter et à marcher pour que saute le verrou de la limitation des mandats !
Nous parlons de moyens institutionnels pour hâter l’avènement d’un vrai processus démocratique dont la condition est l’émergence de vrais partis politiques. Si cela a été possible de 1946 à 1960 où trois grandes formations politiques, à savoir le PRD, l’UDD et le RDD dominaient la vie politique, cela peut encore se produire. Quel était le secret de cette période ? Le mode du scrutin ! Dans un régime présidentiel, notre mode de scrutin actuel, scrutin de liste proportionnelle, est contre-productif. Nous avons essayé nos premiers pas vers la démocratie moderne non pas avec le mode de scrutin de liste proportionnelle, mais avec le scrutin de liste majoritaire à un tour. Bien sûr, les circonscriptions électorales ne seront pas ces vastes divisions qu’étaient le Sud-Est le Sud-Ouest, le Centre, le Nord-Ouest et le Nord-Est, mais les 24 circonscriptions électorales actuelles. Peut-être, ferons-nous preuve d’anticipation en prenant comme circonscriptions électorales, les nouveaux départements proposés par la commission ADJAHO !
Un autre levier de l’action institutionnelle est une bonne révision de notre constitution actuelle qui, ayons le courage de le dire, ne peut faire le lit que de la dictature. Contrairement à ce qu’a avancé un jeune collègue, elle est une mauvaise constitution avec une nette propension au présidentialisme, comme en 1960. Il faut dans la nouvelle constitution renforcer les pouvoirs du parlement à travers les groupes parlementaires en leur confiant exclusivement la nomination des membres de toutes les institutions de contre-pouvoir.
Dénis AMOUSSOU-YEYE, professeur à l’UAC
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