La veillée d’armes des journalistes

A trop chercher à balayer le pas de la maison des autres, les journalistes finissent par ignorer ce qui se passe à l’intérieur de leur propre maison. Voilà la grande contradiction que les professionnels de l’information ont à gérer. Ce qui est vrai à Cotonou, l’est tout autant à Dakar, à Nairobi, ou à Londres. Pourtant, c’est de la capacité des journalistes à se rendre maîtres de leur cuisine interne que dépend leur crédibilité à mieux servir, à l’externe, leur public.

Il y a, en ce moment, au Bénin, une réelle effervescence autour et à l’intérieur des organisations professionnelles de la presse nationale. C’est la veillée d’armes avant les assemblées électives. Aussi bien chez les journalistes, avec l’Union des Professionnels des Médias du Bénin (UPMB) que chez les patrons de presse, avec le Conseil national du patronat de la Presse et de l’Audiovisuel ( CNPA).

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Le renouvellement des instances dirigeantes de la presse nationale ne peut se faire dans le calme plat d’un non événement. Cela ne veut pas dire que la passion doit prévaloir sur la raison, que la magouille des égouts doit prendre le pas sur la clarté des démarches et des approches, que les arguments frappants de l’intimidation et de la force doit primer la force de frappe du débat informé et argumenté.

La question des hommes et des femmes qui seront investis de la lourde charge de conduire les destinées de la presse nationale est aussi importante que celle du personnel dirigeant appelé par le suffrage du peuple à prendre les rennes du pouvoir d’Etat. Les deux questions sont, dans l’absolu, d’égale valeur, quoique d’échelles différentes. Le chef, à quelque niveau où l’on le situe, comparaison pour comparaison, c’est le berger conduisant son troupeau, c’est la locomotive tractant ses wagons. On ne peut rien attendre d’un berger tête en l’air. On ne peut rien faire de bon avec une locomotive folle.

Pour la pleine réalisation de leurs rêves et de leurs aspirations, les hommes n’ont pas le droit, ici et ailleurs, aujourd’hui et demain, de tenir la question du chef pour une question subsidiaire, secondaire. Où allons-nous et avec qui voulons le faire ? Quel intérêt avons-nous à y aller avec celui-là plutôt qu’avec un autre ?
Questions majeures que ne manqueront pas de se poser les journalistes, grands décrypteurs devant l’Eternel des élections qui ne les impliquent pas directement. Ils ne se privent pas alors de jouer les donneurs de leçons, de distribuer, à tour de bras, des cartons jaunes et des cartons rouges. Les journalistes béninois, en prévision de leurs différentes assemblées électives, doivent arrêter de disserter sur la manière de mettre de l’ordre en leur maison. Ils doivent s’engager à trouver le fond de teint approprié pour refaire le visage actuellement décomposé d’une maison divisée contre elle-même. Nos propositions iront dans trois directions.

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Première direction. Les journalistes doivent commettre une étude pour faire l’état des lieux de leur profession. Cette étude est à concevoir, autant que possible, comme une démarche d’experts. Des experts extérieurs à la corporation. Des experts capables d’interroger, sans complaisance, un certain nombre d’anomalies auxquelles les journalistes ont fini par s’accommoder, la force de l’habitude aidant. Comment réussissent-ils, en effet, à assurer la publication de plus d’une soixantaine de quotidiens en français, dans un pays analphabètes à 70% ? Comment leurs organes de presse survivent-ils et où trouvent-ils les ressources nécessaires, dans un pays où le marché publicitaire est complètement dans l’informel, une zone de non droit où il fait bon chasser de l’agouti et cultiver du gombo en toutes saisons ? Qu’est-ce qui bloque, depuis, l’application effective d’une convention collective à laquelle ont pourtant souscrit la quasi-totalité des patrons de presse ?

Deuxième direction. Dans la perspective des assemblées électives, il faut susciter à tous les niveaux de la corporation des contributions des journalistes eux-mêmes. Individuellement ou collectivement. Qu’elles portent sur l’organisation générale de la profession. Qu’elles touchent aux problèmes spécifiques propres à chaque type de médias. Qu’elles s’orientent vers les problèmes d’avenir, avec une vision portée sur l’industrie des médias, la société de l’information, le passage au numérique et ses implications technologiques et institutionnelles ?

Troisième direction. Le Bénin n’est pas le centre de l’univers. Les journalistes doivent avoir l’intelligence, sinon la modestie de s’intéresser à ce que font les autres. Leurs voisins, ceux des pays de la sous région, du reste de l’Afrique, des autres pays du monde. Il y a, toujours, quelque part, quelque chose de nouveau : les difficultés rencontrées, les solutions inventées, les textes adoptées, les innovations adaptées. Tout est bon à prendre. Les Malinké savent le dire avec une force de conviction que nous partageons : « Un seul pilier ne fait jamais une maison ».

Jérôme Carlos

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