Le Changement a-t-il échoué ?

« Ça peut changer, ça doit changer, ça va changer ».
Qui ne se souvient de ce slogan qui mobilisait les foules il y a bientôt cinq ans ? Le peuple béninois, las de subir les assauts répétés d’une classe politique passée maître dans le pillage systématique des ressources de l’Etat, la corruption, la mauvaise gouvernance…, a cru avoir enfin trouvé le messie, celui-là qui va le sortir de la misère crasse dans laquelle il s’enfonçait inexorablement.

Seulement, après quatre ans d’exercice du pouvoir par le régime dit du Changement, on recense tellement de scandales qu’on se demande aujourd’hui si on n’a pas troqué le cancer contre le choléra. Car, si le premier tue à petit feu, le second vous laisse à peine souffler avant de vous emporter. 
L’heure n’étant pas encore au bilan et n’étant d’ailleurs pas aussi bien placé pour le faire que celui à qui le peuple a confier un mandat il y a quelques années, il ne nous revient pas de dresser une liste exhaustive de toutes les affaires qui ont défrayé la chronique sous le Changement.

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Certains dossiers méritent cependant qu’on s’y attarde quelque peu pour se rendre compte que le record de « pourriture morale » à l’ère du renouveau Démocratique au Bénin  est largement  battu par le régime actuel.
En effet, si l’on sait que les détournements et autres actes de mauvaise gestion sont en général proportionnels aux montants des investissements, il est aisé de comprendre que l’impunité ambiante a permis aux barons du régime de se sucrer abondamment à la faveur de la politique des grands travaux menée par le Chef de l’Etat.
Mieux, le vol est désormais méthodiquement organisé et camouflé en s’appuyant sur les dispositions de la loi, surtout celles qui prévoient des cas exceptionnels. De fait, on a érigé l’exception en règle, ce qui permet de justifier les pires actes de prévarication.

Le dossier CEN-SAD

L’organisation par le Bénin du sommet de la CEN-SAD en 2008 a été une occasion de dilapidation de plusieurs milliards de nos francs sous le couvert de l’urgence. En effet, vu que le code des marchés publics autorise la passation de marchés par procédure de gré à gré en cas d’urgence ou de monopole détenu par une entreprise, cette opportunité a été saisie par certains cadres et autorités indélicats pour délester à leur profit les caisses de l’Etat de quelques milliards.

Les investigations menées par l’Inspection Générale d’Etat (IGE) ont abouti à des résultats tellement accablants qu’on a préféré recourir à une commission administrative pour atténuer le coup. Le Ministre des Finances a été précipitamment débarqué et quelques cadres sacrifiés.
Malheureusement, cela n’a pas suffit pour débarrasser cette affaire de l’odeur de souffre qu’elle ne cesse de dégager. Les élus du peuple ont alors décidé de mettre sur pied une commission d’enquête parlementaire pour mieux s’informer. C’est alors que l’Exécutif leur fait comprendre que la justice est déjà saisie du dossier. Ceci, après bientôt deux ans passés sans réaction énergique de qui de droit.

L’affaire des machines agricoles

Voilà un rocambolesque dossier dans lequel l’argumentaire avancé par l’Exécutif pour se défendre, argumentaire platement servi à la Représentation Nationale par le Ministre de la Justice, précédemment Ministre de l’Agriculture se résume à ceci : face à la crise alimentaire de 2008, le Conseil des Ministres a pris la décision d’acquérir en urgence à travers le PPMA des machines agricoles pour augmenter la production et la productivité afin de garantir la sécurité alimentaire de notre pays. Dans l’exécution de cette décision, le Ministre de l’Agriculture s’est trouvé confronté aux exigences des firmes détenant le monopole de fabrication desdites machines qui voulaient être payées intégralement avant l’embarquement. Ceci n’étant pas autorisé par le code des marchés, on a recouru à l’intermédiation de représentants commerciaux au Bénin et on a fait du gré à gré conformément à l’article 44 nouveau du code des marchés publics. Quant aux coûts des matériels acquis, comparés aux prix des mêmes matériels vendus au Bénin, ils reviennent moins cher. 
En face de cet exposé, se trouve le réquisitoire implacable d’un des rares hommes politiques béninois qui a refusé de tout temps toute compromission avec la pègre étatique, l’Honorable Janvier YAHOUEDEOU. Ce monsieur a démontré, preuves à l’appui que :

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– Plusieurs sociétés ont eu des marchés gré à gré portant sur plusieurs milliards alors qu’elles n’ont que quatre à cinq mois d’existence ;
– Ces sociétés ont été créées après la nomination du Coordonnateur du PPMA ;
– Il existe un lien direct entre les propriétaires de ces différentes sociétés ainsi créées pour soumissionner au marché gré à gré des machines agricoles ;
– Du fait de leur création récente, ces sociétés n’ont pas pu présenter des références en termes d’expérience, ni une attestation fiscale à trois colonnes, encore moins l’attestation de la CNSS, toutes choses qui sont obligatoires même dans un marché de gré à gré
– Dans un marché de gré à gré, le seuil de 10% du montant total des opérations de passation des marchés publics de la structure ne doit pas être dépassé. Ce qui n’est pas le cas au PPMA
– Contrairement à la procédure en la matière et en dépit des lourdeurs administratives, les fournisseurs ont été payés à 100% et ce, moins de 48 heures après la réception provisoire ;
– On s’est servi d’une société écran en France pour brouiller les prix réels des essoucheuses ;
– Au vu des prix réels des machines agricoles et des prix auxquels le PPMA prétend les avoir acquis, il se dégage une surfacturation d’environ 5 milliards de francs CFA.

Face à autant de précisions et de détails, que répond l’Exécutif ? Rien, ou presque. Du coup, l’Assemblée Nationale décide de prendre également ce dossier en main. Et, une fois encore, le gouvernement sort son joker favori : l’affaire est devant la justice.

La nébuleuse ICC Services

Last but not the least, la plus vaste escroquerie du siècle au Bénin livre depuis quelques jours ses secrets, lesquels secrets tutoient dangereusement le sommet de l’Etat.
En effet, une bande d’escrocs exerce depuis environ trois ou quatre ans des supposées activités de placement d’argent et ce, dans la plus parfaite illégalité. Ces arnaqueurs ont réussi pendant tout ce temps à collecter l’épargne publique au nez et à la barbe de l’appareil d’Etat censé protéger les citoyens. Des Béninois les plus fortunés aux plus démunis, tout le monde ou presque a réussi à réunir des fonds à confier à ces structures dans l’espoir de récupérer à échéances fixes des bénéfices faramineux allant jusqu’à 100% de leur investissement.
Mieux, ces voyous qui n’auraient reçu aucun agrément des autorités compétentes roulent carrosse, se pavanent entourés de garde de corps et ne ratent aucune occasion de s’afficher publiquement avec des Ministres de la République lors de pompeuses cérémonies de remises de dons ou autres manifestations à caractère social.
Il a fallu qu’ICC Services entre en cessation de paiement pour qu’éclate le pot-aux-roses. C’est ainsi qu’on apprend que :

– Le Directeur National de la BCEAO au Bénin aurait donné l’alerte au Ministre des Finances, lequel Ministre des Finances a saisi son homologue de la Justice qui à son tour, a instruit le Procureur Général pour arrêter les responsables de ICC. Le Procureur Général ne s’étant pas exécuté, le même Ministre de la Justice aurait saisi le Parquet aux mêmes fins. Rien n’y fit, le Procureur Général s’y opposant toujours. Pendant que les autorités de ce pays jouaient à ce petit jeu, les pauvres épargnants continuaient de se faire dépouiller allègrement.
– Le Ministre de l’Intérieur – qui est monté très tôt au créneau au lendemain des remous sociaux suscités par l’insolvabilité de ICC pour dénoncer l’illégalité totale dans laquelle exerçaient les structures dites de placement d’argent – a mis à la disposition des responsables de ICC des policiers pour leur servir de garde de corps. Mieux, il percevrait des enveloppes auprès de ces escrocs qui en réalité ne faisaient que collecter les fonds des uns pour rembourser les autres, sans opérer le moindre placement ou investissement rentables.  Des rumeurs de plus en plus persistantes font même état de ce que l’entourage immédiat du Chef de l’Etat est impliqué dans cette affaire à un niveau insoupçonné. Ces révélations ont emporté le Procureur Général et le Ministre de l’Intérieur qui ont été aussitôt relevés de leurs fonctions. Seulement, cela amène à se poser quelques questions :

1°) Sur quoi (ou sur qui) le Procureur Général peut-il compter au point de, non seulement refuser de déférer aux instructions de son autorité hiérarchique, mais interdire à ses subordonnés d’obtempérer ? Il a forcément fallu que cette chose ou cette personne soit plus puissante que son Ministre pour qu’il soit resté impuni à ce jour, malgré son insubordination flagrante.
2°) Le Ministre de l’Intérieur connu pour sa totale inféodation et son admiration sans bornes pour « la Haute Autorité » n’a-t-il jamais fait la confidence à celle-ci sur ses accointances avec ICC Services ?
3°) Tous ces Ministres et cadres banquiers qui gravitent autour du Chef de l’Etat n’ont-ils jamais pris la mesure des implications de ICC pour attirer l’attention du patron au détour d’un Conseil des Ministres ?
Je pense humblement que tous ces scandales à l’ère du Changement interpellent le Gouvernement et en premier lieu son Chef. Ce sont autant de chantiers auxquels le Chef de l’Etat devrait s’atteler avant d’en ouvrir un autre qu’il baptise « refondation ».

Le Président Boni YAYI se sent-il qualifié pour mener un chantier aussi important que celui de la refondation, alors que son régime est éclaboussé de toutes parts par des scandales demeurés irrésolus ? Estime-t-il que son Changement a échoué pour nous parler maintenant de Refondation ?

En 2006, le peuple a donné mandat au Président Boni YAYI pour mettre en œuvre le Changement qu’il a prôné. Il a le devoir de rendre compte à ce peuple de ce qu’il est advenu de ce Changement. Lorsqu’il l’aura fait – et cela c’est en 2011 – ce même peuple appréciera son bilan et décidera s’il faut passer à la Refondation et si oui, si cela doit se faire sous sa direction ou celle d’un autre.

Par contre, si le Chef de l’Etat estime avant le terme de son mandat qu’il a échoué et qu’il veut arrêter l’hémorragie avant que le pays devienne exsangue, il ne lui reste qu’à tirer publiquement les conséquences qui s’imposent et à emprunter la voie des grands hommes, ceux pour qui les mots Honneur et Responsabilité ont encore un sens : déposer sa démission. C’est aussi cela le patriotisme.

  Clotaire OLIHIDE
 Auteur de l’ouvrage « Elections Communales   et Locales 2008
au Bénin : Autopsie d’un cafouillage organisé »
 Tél : 95 85 69 13 / 97 54 24 86 Email : oliclot77@yahoo.fr

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