A quel titre parlons-nous ? A un titre que personne ne peut nous dénier, celui d’être un des huit millions d’hommes et de femmes qui se réfèrent fondamentalement à cette portion de terre appelée Bénin. A un titre que personne ne peut nous contester, celui d’être un des huit millions d’hommes et de femmes qui sont fiers de se reconnaître Béninois et d’être désignés Béninois.
Le Bénin est donc l’affaire du Béninois que nous sommes. D’où, chez nous, cet attachement, de toutes les fibres de notre être, à cette terre qui nous a vu naître. D’où également, chez nous, la volonté de nous investir à servir cette terre, de toutes nos forces, pour qu’elle soit et reste « à la droite du Père ».
Voilà ce qui nous autorise à passer du seuil silencieux d’une réflexion inquiète sur l’avenir de notre pays à un acte plus audible, sous la forme d’un cri du cœur aussi tonitruant que les vuvuzélas sud-africains. Lâchons le morceau, sans tourner outre mesure ni trop longtemps autour du pot : la campagne électorale est encore loin, mais voilà que les esprits s’échauffent déjà, que les querelles politiciennes s’attisent. La macabre comptabilité dénombre en ses livres les premières victimes. Notre terre, la terre du Bénin vient de s’imbiber du sang de ses fils, pris dans le tourbillon des rivalités politiques qui déchirent les familles, cassent les communautés, réduisent en bêtes sauvages des frères et des sœurs de même sang.
Ne vous désintéressez point du propos désabusé du philosophe de la rue. Il vaut avertissement : « On sait quand ça commence, mais jamais quand ça finit. Car une fois lancée l’infernale machine à détruire, à broyer des vies humaines, personne ne sait comment l’arrêter. ». Et d’égrener le triste chapelet de nos exploits, de la Somalie au Tchad, du Libéria en Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire à la République démocratique du Congo…Oui, cela n’arrive pas qu’aux autres ! En tous cas ce ne sont ni ceux qui, à Sèmèrê, pleurent leur mort ni ceux qui, dans la même localité, porteront à jamais dans leur cœur et dans leur chair les stigmates d’une violence imbécile qui nous démentiront.
On n’aura pas à nous l’apprendre. On n’aura pas non plus à nous le répéter : la politique, nulle part au monde, n’est une partie de plaisir, un dîner de gala. Nous savons qu’elle draine à sa suite des intérêts divers qui finissent par s’entrechoquer. Nous savons également qu’elle porte des visions si contrastées, si contradictoires qu’elle ne peut impliquer que des gens bigrement myopes. Nous savons, enfin, qu’elle déchaîne des passions telles que des êtres nobles, habités par l’esprit, se retrouvent à troquer l’éminence et la noblesse de leur humanité contre la trivialité de la bête.
Mais de grâce, dites-nous le plaisir satanique qui nous pousse, au nom de la politique, à mettre le feu à la maison, à notre maison ? Qu’attendez-vous, qu’espérez-vous quand tout aura brûlé, qu’il ne restera plus rien de ce pays nôtre ? A qui vendriez-vous la nudité des pauvres hères sans feu ni lieu que nous serions devenus ? Qui nous prendrait en pitié dans notre errance forcée sur les routes problématiques de l’exil, dans les tristes camps aveugles pour réfugiés et apatrides ? De quelle matière maudite est-elle faite la main qui chérit son malheur ? Est-ce vraiment cela la politique ? A moins que nous ne parlions pas de la même chose.
La démocratie que nous expérimentons depuis bientôt vingt ans ne donne le monopole de la vérité à l’un quelconque des huit millions des Béninois. Le débat serein, l’échange poli, argument contre argument, voilà la voie du salut. Voilà qui donne raison au grand Ousmane Sembène, d’heureuse mémoire (Citation) : « La vérité qui sème la discorde n’est pas vérité ; le mensonge qui tisse, unifie les gens, est vérité. (Fin de citation).
Est-ce le pouvoir d’Etat à conquérir, sont-ce les privilèges et avantages y attachés qui nous aveuglent au point que nous perdions la mesure de tout ? Demain se sacrifie gaiement sur les autels d’aujourd’hui et l’on se résout à piller sans merci, à voler sans retenu, à bouffer sans pitié. Tant pis pour les générations futures. Qu’elles se suffisent du Bénin que leurs pères et grands-pères leur laisseront en héritage.
Ainsi va ce Bénin de nos égoïsmes triomphants. Ainsi avance dans les ténèbre d’un tunnel un pays qui semble ne plus chercher à s’en sortir, croyant bien faire de s’abandonner à Dieu qui descendra pomper les eaux de pluies sous lesquelles Cotonou se noie ; qui viendra lui réaliser la Liste électorale permanente informatisée (Lépi), en donnant à chacun, à tous, et à part égale, la chance de frauder et de voler ; qui répondra favorablement à notre vœu secret de voir les Ecureuils, notre Onze national, s’illustrer en coupe du monde de football et ramener même le trophée à la maison. N’est-il pas permis de rêver ? C’est l’humoriste français Pierre Dac qui a raison : « Ce n’est pas en tournant le dos aux choses qu’on leur fait face ».
Jérôme Carlos
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