Réalisation de la LEPI : Et vint le temps de la polémique et des contestations

« Rien ne sert de courir, il faut partir à point ». Cet adage est plus que jamais d’actualité dans notre pays, au vu de la tournure que prend le dossier de la réalisation de la Liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI).

Qu’il nous souvienne qu’à peine quelques semaines après le lancement de ce projet, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer :

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–    les incohérences de la loi 2009-10 du 13 Mai 2010 portant réalisation du RENA et établissement de la LEPI ;
–    les violations répétées de ladite loi ;
–    les conditions de travail opaques et les méthodes unilatérales du Superviseur Général ;…

A ces préoccupations, il a été donné tout le temps une réponse lapidaire : la loi 2009-10 a été votée de façon consensuelle et les organes ont été mis en place de la même manière. Cela suffit pour poursuivre le processus sans s’occuper des jérémiades des assassins de la démocratie qui ne veulent pas de la LEPI. Même la démission de certains membres de la CPS qui ont suspendu leur participation au processus, rendant l’organe monocolore et amputé du tiers de ses membres, n’a eu aucun effet.

Seulement, nous voilà aujourd’hui à la croisée des chemins. En l’espace de quelques jours, une série d’événements inédits semble vouloir donner raison à ceux qui, en toute objectivité, n’ont cessé de tirer sur la sonnette d’alarme depuis le début de ce processus.

1°) Le 21 Juin 2010, l’honorable Epiphane QUENUM, au cours des débats relatifs à la proposition de loi modificative de la loi 2009-10, a déclaré sans ciller : « … Je voudrais que les gens ne cassent pas la baraque parce que si je parle, on va arrêter la LEPI. Je dis si je parle, on va arrêter la LEPI et si je parle, les gens iront en prison. Je sais ce que je dis… Je pense qu’en tant qu’un homme politique, je suis un homme du couvent et parce que je suis un homme du couvent, j’essaie de garder ma langue. Mais, si on doit faire les choses et les gens vont se comporter de la manière dont ils se comportent, je crois qu’on finira par dire la vérité à la Nation et nous allons voir si nous allons continuer encore ».
2°) Réunis le 23 Juin 2010 à leur siège, les responsables de l’Union fait la Nation, après avoir écouté les récriminations de leurs représentants dans les CCS sur le déroulement du processus, ont encore une fois dénoncé « le gouvernement FCBE (qui) s’est lancé comme à son habitude dans une précipitation suspecte, camouflant les violations de la loi et beaucoup d’irrégularités sous un déluge de communication et de propagande ». L’UN, après avoir énuméré les graves dysfonctionnements observés dans le processus, conclut aux énormes divergences entre les chiffres du recensement porte à porte publiés par la CPS et les statistiques du dernier RGPH de 2002. Et d’inviter ses militants à rester vigilants afin de barrer la route à ceux qui veulent moderniser la fraude par la réalisation d’une LEPI tronquée et contraire aux vœux du peuple béninois. Avant de conclure que « la magouille et la fraude ne passeront pas ».
3°) Le 24 Juin 2010, le Cadre de Concertation des Confessions Religieuses s’est fendu d’un communiqué, pompeusement débité sur les ondes par son désormais célèbre porte parole le pasteur ALOKPO, pour apporter son soutien à la CPS en affirmant que le processus est conduit dans les règles de l’art.
4°) Le 25 Juin 2010, la CPS/LEPI monte au créneau pour balayer d’un revers de main toutes les accusions de l’opposition et confirmer les chiffres précédemment annoncés.
5°) Le 26 Juin 2010 à l’aube, les députés ont voté la loi modificative de la loi 2009-10. Ce vote s’est tenu en l’absence des députés de la mouvance présidentielle qui se sont retirés de la salle au motif qu’ils ne veulent pas participer à un attentat contre la démocratie.

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Ainsi donc, après avoir mené au forceps durant des mois le processus de réalisation de la LEPI, faisant fi de tous les appels à la raison, l’ex-Superviseur Général de la CPS/LEPI reconnaît aujourd’hui dans des termes à peine voilés que ce qu’il a commencé et qui se poursuit actuellement est un vaste complot, un gros marché de dupes dans lequel le peuple joue malheureusement le rôle du dindon de la farce. Mieux, les responsables politiques et autres élus se considèrent désormais au Bénin comme les adeptes d’un couvent qui cultivent l’omerta et menacent de dévoiler leurs secrets à leurs mandants lorsque leurs complices changent de comportement. Ces hommes politiques qui vendent  leur honneur au plus offrant et sacrifient la morale et l’éthique sur l’autel de leurs appétits gourmands et de leurs ambitions démesurées, oublient qu’ils peuvent se retrouver un jour eux-mêmes gros jean comme devant parce que ce peuple qu’ils méprisent aura décidé de leur faire un mémorable pied de nez pour les punir de leurs égarements.

Quant à nos autorités religieuses, en prenant ouvertement fait et cause pour un camp contre l’autre, pensent-elles vraiment jouer le rôle d’arbitre informel et de contrepoids moral qui est le leur dans notre société ? Je me suis laissé dire qu’à l’instar de certains rois devenus champions toutes catégories dans les marches et soutiens tous azimuts au pouvoir, elles ne peuvent tenir que ce discours parce que les millions (de la division et de la discorde ?) sont passés par là. Je me demande alors si, à cette allure, nos objecteurs de conscience attitrés ne diront pas un de ces quatre matins à leurs ouailles à combien elles peuvent vendre leurs âmes.
Non ! Le Bénin ne mérite pas ça. Que nos gardiens du temple moral sachent raison garder. Qu’ils gardent un minimum de crédibilité en appelant plutôt à un dialogue sincère et au consensus, car c’est le seul discours qui vaille la peine d’être tenu par des personnalités de leur rang qui se veulent neutres et impartiales et surtout garantes des prescriptions divines.

En ce qui concerne le vote de la loi modificative de la loi 2009-10, il faut comprendre qu’elle est l’expression de la révolte d’une frange de la classe politique qui, bien que majoritaire à l’Assemblée Nationale, est marginalisée par un exécutif fort et sourd à tous les sons contraires au sien. De fait, l’opposition use de la seule tribune constitutionnelle qui lui reste pour se faire entendre. Et, ironie du sort, ce sont les députés de la mouvance, hier prompts à fustiger la politique de la chaise vide pratiquée par la minorité d’alors, qui se voit aujourd’hui réduite à user de cette même arme. Seulement, si la réaction des députés de l’opposition peut se comprendre dans le principe parce qu’il est effectivement nécessaire de modifier la loi 2009-10, il convient tout de même d’apporter un bémol dans la forme et la procédure. Car, avec une modification de la loi qui intervient dans ces conditions, on n’est pas forcément sorti de l’auberge. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, une modification sans un débat inclusif préalable pour prendre en compte les recommandations pertinentes du groupe de travail et d’autres personnes averties, nous ramènera certainement aux mêmes résultats, avec peut-être un simple inversement des rôles des acteurs. Et ce n’est pas de cela que le peuple a besoin.
     
Au regard de tout ceci, il est évident que les errements passés sont entrain de rattraper leurs auteurs et, avec la guerre des chiffres qui démarre et le jeu de ping-pong entre l’opposition et la CPS soutenue par la mouvance, nous évoluons progressivement vers l’impasse si nous n’y sommes pas déjà.

Malheureusement, malgré tous ces signaux, certains apprentis sorciers et autres va-t-en-guerre s’obstinent à affirmer que la LEPI sera disponible pour 2011, n’en déplaise aux apatrides qui n’en veulent pas parce qu’elle les empêchera de tricher aux prochaines élections.

Quand va-t-on arrêter de nous jouer ce disque rayé qui consiste à vouloir opposer des soi-disant patriotes à des apatrides, pour regarder la vérité en face et envisager des solutions réalistes de sortie de crise ? Il est vrai que « l’émotion est nègre et la raison hellène », mais l’autre n’a-t-il pas affirmé que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ? ».

Que ceux qui estiment subitement aujourd’hui que la LEPI pour 2011 est une question de vie ou de mort comprennent qu’une LEPI mal réalisée et contestée est aussi (sinon plus) dangereuse que la liste électorale manuelle traditionnelle.

Cessons de jouer avec le feu et de croire que Dieu n’aime que le Bénin ou que les incantations sur le génie béninois ou la vitalité de la démocratie béninoise – une démocratie qui perd progressivement son âme – suffiront pour toujours nous sauver de la catastrophe. Car, « tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise ». 

C’est pourquoi je suggère aux députés de l’opposition aujourd’hui majoritaires à l’Assemblée Nationale de donner la preuve de leur bonne foi au peuple Béninois en votant une loi pour suspendre provisoirement la LEPI à polémique actuellement en cours et en lançant pour 2011, avec le concours et la participation de leurs collègues d’en face, la réalisation d’une Liste Electorale Informatisée (LEI) fiable, ou à défaut d’une liste qui réponde tout au moins aux normes techniques et méthodologiques de celle-ci. Après cette échéance, nous pourrons à tête reposée relancer la LEPI sur des bases plus consensuelles et dans un climat plus apaisé. En tous cas, quoi que disent les charlatans et autres courtisans ou griots en panne d’inspiration, si la LEPI n’est pas consensuelle et transparente, elle ne sera pas ou elle sera source de conflits. Le consensus dont il s’agit n’est pas seulement valable pour le vote de la loi et la mise en place des organes. Elle doit subsister tout au long du processus. Qu’il nous souvienne que la Constitution du 11 Décembre 1990 est le fruit du consensus et que cette loi fondamentale prévoit sa propre révision par les députés. Pourtant, la Cour Constitutionnelle a rejeté la révision en 2006 de l’article 80 par les députés, au motif qu’elle n’est pas le fruit d’un consensus.
 
On me répondra peut-être que la réalisation d’une LEI comme formule alternative transitoire nécessitera des fonds supplémentaires. Mais alors je demanderai : à combien s’achète la paix ?  

Clotaire OLIHIDE
Auteur de l’ouvrage « Elections Communales 
et Locales 2008 au Bénin : Autopsie 
d’un cafouillage organisé »

Tél : 95 85 69 13 / 97 54 24 86
Email : oliclot77@yahoo.fr

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