Sous-développement et gaspillage

Qu’est-ce qu’un pays sous-développé ? Nous avons jusqu’ici pensé qu’est sous-développé un pays aux ressources limitées. Fort de quoi, ce pays se mobilise et s’organise pour préserver le peu qu’il a et pour en prendre soin. Le gaspillage, dans ces conditions, pensions-nous, ne peut être qu’un vice de riche, une attitude d’enfant gâté. A l’évidence, nous nous sommes trompé. Il n’y a pire gaspilleur que le sous-développé.

Pourquoi les agents de l’Administration n’ont-ils pas le réflexe d’éteindre les lampes ou de couper les climatiseurs, le soir venu, au moment de rentrer chez eux ? Dès lors qu’on s’est convaincu que l’Administration n’est pas la maison de son père et de sa mère, on estime qu’on peut s’autoriser de laisser tourner le compteur tout le temps. L’Etat paiera.

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Même comportement avec les véhicules de l’Administration. On les affectera à toutes les courses, surtout à celles qui n’ont rien avoir avec leur prime destination. Nos maigres ressources servent ainsi à amener Madame au marché, à déposer les enfants à l’école. C’est le moyen tout trouvé, le week-end venu, pour se répandre sur les routes de tous les mariages, de toutes les communions, de toutes les funérailles. Cette saga dépensière est au compte de la vache à lait qu’est l’Etat. Il paie et paiera tout jusqu’aux tickets valeur d’essence.
Qu’un tuyau ou qu’une canalisation d’eau vienne à péter ici ou là dans la ville, arrivera sur les lieux des dommages subis l’entreprise concernée, après qu’elle a pris tout son temps ; après qu’elle a laissé échapper, des mètres cubes du précieux liquide ; après qu’elle a entraîné pour des tiers d’énormes dégâts collatéraux. Mais ne vous y trompez pas : si vous êtes au bord d’une voie goudronnée ou pavée, vous êtes loin d’être au bout de vos malheurs. La voie, méchamment coupée pour travaux, ne retrouvera plus jamais, après exécution, sa texture normale.

Voilà comment nos quelques rares voies urbaines dignes de ce nom, acquises au prix de lourds sacrifices, subissent les assauts de démolisseurs impénitents. Ces voies garderont les séquelles de leur charcutage injustifié, de leur saucissonnage inexpliqué. L’Etat, qui n’a cure qu’on lui fasse des enfants dans le dos, s’engagera à courir aux quatre coins du monde pour solliciter de nouveaux prêts, en vue de construire de nouvelles voies. Celles-ci, à leur tour, seront charcutées et saucissonnées. Bravo ! La tradition se poursuit.

Regardez Cotonou, notre capitale économique. Elle se laisse désormais traverser par une double voie qui va du rond point de Godomè au rond point de l’abattoir. Bel ouvrage qui nous change de ce qui avait alors tout l’air d’un sentier goudronné et que nous avons hérité de la colonisation. En cinquante ans d’indépendance, c’est peut être la preuve que tout n’est pas noir et qu’en quelques endroits, nous faisons mieux que d’assumer platement un héritage.

Seulement voilà, avec une nouvelle voie ouverte et offerte à la circulation d’engins roulants problématiques, une direction a tôt fait de se casser, une roue a vite fait de se détacher. Les morts se comptent par dizaine. Le bel ouvrage prend tellement de coups qu’il n’en restera plus rien dans les toutes prochaines années : lampes publiques renversées, feux de signalisation arrachés, ronds points éventrés, revêtement de macadam ou de pavage gravement endommagé. Les riches auprès de qui nous allons nous endetter pour construire nos différentes infrastructures appliquent, avec esprit de suite, le principe du gaffeur payeur. Pour dire que qui s’aventure à casser paie et paie cash. Comment comprendre que les pauvres fassent tout le contraire, comme s’ils s’encourageaient à casser et à détruire ce qu’ils ont à peine construit ?

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Question N°1 : pourquoi les terre-pleins centraux dans nos pays deviennent vite un dépotoir ou l’espace d’attraction des pipiteurs indélicats ? Ailleurs, on y prend le plus grand soin. Ailleurs, on y implante des structures ou des éléments qui participent à l’embellissement de la ville.

Question N° 2 : pourquoi, chez nous, en pleine ville, les animaux en divagation dans nos rues, cela ne gêne personne, avec des chiens, des moutons et autres bœufs qui se disputent aux personnes humaines les espaces piétons ? Ailleurs, c’est impensable. La ville a ses règles et ses lois que la campagne se doit de respecter ! Les espaces n se confondent pas.

Question N°3 : pourquoi, chez nous, avons-nous, le geste prompt pour tout jeter par terre, papier d’emballage, sachets, restes de nourritures, bref tout ce dont on veut se débarrasser, sans se poser de question sur l’environnement que l’on salit, sans se gêner outre mesure sur les désagréments causés à autrui ? Ailleurs, les poubelles disposées à divers endroits invitent à la discipline. On a compris que la liberté de Dossou s’arrête là ou commence celle de Dossa. Voilà toute la différence entre pays développés et pays sous-développés.

Jérôme Carlos

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