Dernière décision de la cour constitutionnelle: les points de vue de deux éminents juristes

Au lendemain des décisions de la Cour constitutionnelles relatives aux lois électorales, des spécialistes du droit y posent leur regard pour éclairer et édifier le public. Si le Professeur Joseph Djogbénou trouve les décisions de la Cour appropriées, Me Ibrahim Salami, constitutionnaliste, estime que les sages font prévaloir leur interprétation sur la Constitution elle-même.

Interview de Me Joseph Djogbénou

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Professeur Djogbénou, la cour constitutionnelle vient de rendre deux décisions relatives à deux lois, l’une portant règles générales pour les élections en République du Bénin et l’autre portant règles particulières pour l’élection des membres de la Cena. Il y a plusieurs dispositions de ces lois qui ont été jugées inconstitutionnelles par la haute juridiction. Quel commentaire vous inspirent ces décisions? 

Il faut dire de façon générale que les décisions en elles-même sont attendues par  la classe politique, par les citoyens et le contenu de ces décisions est attendu. Il n’y donc a pas eu de surprise. Lorsque l’on a lu les lois votées, on reconnaît bien que sur les dispositions querellées et par rapports auxquelles la cour constitutionnelle a répondu, il y a avait des difficultés. Il me semble que la décision n’a pas un aspect hérétique. Au contraire, je pense bien que c’est une décision de justice appropriée par rapport aux lois qui ont été votées. C’est une décision équilibrée. Elle a répondu argument juridique par argument juridique aux préoccupations également juridiques qui ont été posées.

Il n’y a donc rien à redire sur ces décisions à votre lecture ?

Bien sûr, il y à redire sur la question des incompatibilités par exemple. La cour constitutionnelle a déclaré contraire à la constitution, la décision des députés d’élargir les incompatibilités par rapport aux questions d’éligibilité. A cet égard, il faut peut être oser avoir une autre lecture des dispositions de la constitution puisque la cour constitutionnelle est partie de l’hypothèse que les députés en ont ajouté à la constitution. Il semble bien que la constitution a mis dans le marbre, l’incompatibilité attachée à la qualité d’officier supérieur de l’armée. Cela veut dire que les députés ne peuvent pas toucher à cela. Mais c’est la même constitution qui a donné aux députés la possibilité de fixer les conditions d’éligibilité. Et de ce point de vue, il semble bien que les députés ont la possibilité de fixer les incompatibilités sauf à ne pas revenir sur celles éditées par la constitution. C’est éventuellement ce point qui pourrait inspirer une interrogation. Sinon sur les autres aspects, je pense que de manière générale, la cour a répondu là où on l’attend.

La cour a également estimé que les députés sont allés le plus loin que la constitution par rapport au couplage des élections

Oui. Là aussi, c’est une question d’interprétation évidemment. Je pense que les députés pensaient et être dans leur rôle de suggérer que le président de la république convoque les électeurs de sorte qu’on ait des élections jumelées. Je suis personnellement partisan des élections jumelées compte tenu des avantages que cela procurerait. Mais telle n’a pas été l’opinion de la cour constitutionnelle.

Cela dit, il faut quand même relever qu’il convient d’éviter de mettre ces décisions de la cour constitutionnelle dans le lot général des décisions dont on dit qu’elles sont toujours favorables au gouvernement. Nous même nous sommes prononcés sur ces décisions et ne pas rendre une décision qui casse les lois votées aurait été une surprise, là aussi désagréable. Je pense que ces décisions sont prévisibles non seulement dans leur résultat mais encore dans leur moyen.

La cour a semblé opposer aux députés qu’ils ne peuvent pas par des dispositions contenues dans de nouvelles lois revenir sur des dispositions contenues dans de lois déjà promulguées et appliquées. Exemple, la loi relative à la Lépi et au Rena dont certaines dispositions sont corrigées ou bien modifiées par des dispositions de la nouvelle loi.

On ne peut pas à cet égard reprocher à la cour de ne pas rester conforme à sa propre logique. Quoi qu’on puisse penser de cette logique-là ; et vous savez ce que moi-même j’en pense personnellement. Mais on ne peut pas lui reprocher de ne pas s’écarter de sa logique. Si elle s’en était écartée, on serait parmi les personnes qui critiqueraient cette sorte de fluctuation de doctrine au sein de la cour. Il faut bien réaliser que par rapport à ce qu’elle appelle les avancées démocratiques, celles-ci limitent le parlement. On peut penser ce qu’on veut de ces doctrines mais c’est son opinion et c’est par rapport à cela qu’elle a jugé les lois présentées.

Par rapport à la question de l’armée par exemple, la cour n’a pas pris une position absolue. La cour a rappelé une disposition constitutionnelle en vertu de laquelle le constituant béninois a fixé la nouvelle dimension de l’armée. Une armée de développement mise au service du chef de l’Etat pour contribuer au développement du pays. Et à cet égard, la cour me semble-t-il a eu raison de dire évidement si le chef de l’état considère que l’armée peut être utilisée à des fins déterminées d’intérêts publics qu’il qualifie de lui-même, il n’appartient pas aux députés de lui ôter cette prérogative constitutionnelle. Mais la cour a dit que les députés peuvent prévoir l’encadrement nécessaire. Je pense que c’est une posture intelligente, c’est-à-dire les députés ne peuvent pas prohiber l’intervention, la présence de  l’armée. Encore que le bon sens recommande simplement qu’on reconnaisse aux forces armées leur citoyenneté béninoise et qu’on leur établisse une présomption de bonne foi ; le tort des députés sur cette question c’est d’établir une présomption de mauvaise foi. La cour a dit non, mais vous pouvez encadrer cette prévention du chef de l’état.

Et sur une autre question, la cour a pris une décision qui me paraît quand même intéressante. Sur les quatre vingt dix neuf députés, la cour dit quoi ? Moi je prends le verre à moitié plein au lieu de le prendre à moitié vide. La cour dit vous ne pouvez pas augmenter le nombre des députés sans prévoir les ressources qui accompagnent. Prenons la question de l’autre bout. La cour dit oui vous pouvez augmenter le nombre des députés mais il suffit que vous indiquiez quelles ressources accompagnent ça.  

L’autre victoire du Parlement, c’est que la Cour n’a pas remis en cause l’effectif prévu de la CENA

Je pense que là aussi c’est une avancée. C’est pourquoi je disais que c’est une décision qui est conforme à la justice mais qui est conforme aussi à la justesse.

Sur le terrain de la désignation du représentant de la société civile, moi je ne suis pas d’accord ; je pense même que si j’étais législateur et que j’avais mis ça, la cour aurait cassé. Elle aurait cassé avec raison parce qu’elle avait déjà établi dans une décision précédente que la présence de la société civile est un critère de transparence du système électoral béninois. Et par rapport à sa logique que je viens de vous rappeler, on a avance, on ne recule pas. Mais cela dit, évidemment, si vous êtes partisan de la présence de la société civile sous cette forme, vous ne pouvez pas désigner à la place de l’organe que vous avez pressenti pour être présent au sein de la Cena son représentant.

Cependant, on pourrait faire mieux. Les premières Cena n’ont pas été des Cena mauvaises en tant que telles. Et pourtant on a dit magistrat, commission nationale des droits de l’homme, ce sont les représentant de la société civile ; je fais un plaidoyer à l’égard des députés de préciser. Vous avez toujours désigné les représentants des professionnels des médias du Bénin. On n’a pas eu des contestations. Quand on dit globalement société civile, on ne finira pas avec les contestations.

Me Salami, la Cour constitutionnelle a rendu mercredi dernier deux décisions où elle déclare contraires à la constitution des dispositions des lois portant Règles générales pour les élections en république du Bénin et portant Règles particulières pour l’élection des membres de l’Assemblée nationale ; quelle est en tant que praticien du droit, votre lecture sur ces deux décisions ?

Me Ibrahim Salami :

Au fait, la Cour n’a pas fait que remettre en cause certaines dispositions, elle a opéré un contrôle balai c'est-à-dire l’essentiel des innovations de ces deux  lois a été déclaré contraire à la constitution. Prenons les décisions une à une. Commençons par la décision relative aux Règles particulières sur les élections législatives. Il y a trois ou quatre points sur lesquelles il faut insister.

Le premier point c’est l‘augmentation du nombre des députés. La loi a prévu qu’on passe de 83 à  99. La même loi prévoit l’augmentation du montant forfetaire des frais de campagne au député élu à rembourser aux députés élus. Sur les deux points, la Cour Constitutionnelle a fait appel à l’article 107 de la constitution. L’article 107 est un article qui interdit à l’initiative parlementaire, aux textes de loi émanant du parlement, que ces initiatives parlementaires ne puissent pas avoir des incidences financières. Si cela a des incidences financières et bien les lois en question sont irrecevables sauf si les députés trouvent les moyens de compensation financière pour ramener l’équilibre dans le budget de l’Etat. Et donc, la Cour a décidé en l’espèce que les députés n’ayant pas prévu cette compensation, la loi en question est contraire, l’augmentation en question dans les deux cas est contraire à la constitution.

Le deuxième point fondamental est le quota des 20%. Voila un parlement qui a été inspiré en se fondant sur la réalité de notre vie politique marquée par l’absence des femmes dans le débat politique et a  voulu remédier à cela en prévoyant que les listes soient composées d’au moins 20%. Mais l’intention est bonne parce qu’on a compris que notre démocratie ne peut pas fonctionner correctement en écartant plus de la moitié de la population et donc cela pourra permettre la restauration de la démocratie. Le problème est que c’est contraire à la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle qui ne fait pas de distinction entre le sexe, entre les individus. En fait, la constitution et la jurisprudence de la Cour sont aveugles quand au sexe ; la république ne distingue pas quant au sexe du citoyen. Donc la Cour a estimé que ce quota de 20% crée une disparité entre l’homme et la femme et donc d’après la Cour, cette disposition est contraire à l’esprit et à la lettre de la constitution.

Troisième disposition importante dans cette décision concernant les Règles particulières, il y a le fait cette loi conditionne la recevabilité de la candidature de certaines personnes à leur démission préalable. Les ministres, les Drfm, les Dg de société doivent démissionner préalablement à leur dépôt de candidature pour éviter que les moyes de l’Etat ne soient pas utilisées à des fins électoralistes. Et là  aussi la Cour a estimé que, se fondant sur l’article 81de la constitution, que les seules personnes qui peuvent être exclues de façon préalable de l’élection législative, ce sont les personnes en uniforme, les militaires et les gendarmes, au delà de ça que le législateur ne peut pas ajouter une nouvelle décision.

 

Parlons cette fois-ci de la loi sur les Règles générales sur les élections. La Cour, là aussi, elle a estimé concernant les dispositions remettent en cause certaines dispositions sur les lois sur la Lepi, puisque ces dispositions ont été déjà déclarées conformes à la constitution, eh bien la Cour a estimé que remettre en cause ces dispositions, c’est remettre en cause en même temps l’autorité de la chose jugée qui est attachée à ces propres décisions. On y reviendra.

Le deuxième point, c’est le fait que l’Assemblée nationale s’est donné le pouvoir de désigner le représentant de la société civile à la Cena. La Cour a estimé que cela est contraire au souci d’équilibre et de transparence qui doit être attaché aux organes électoraux, cela est une bonne intention et la Cour a estimé aussi que chaque institution, chaque organisation, chaque corporation doit pouvoir désigner son propre représentant que ce soit au sein de la Cena, qu’au niveau de ses démembrements.

Troisième point concernant les Règles générales, la Cour a aussi estimé que la Cena ne doit pas se permettre de rendre publiques les grandes tendances, une façon de rendre publics les résultats provisoires. Or, la Cour est seule compétente non seulement pour se prononcer sur les résultats provisoires mais aussi les résultats définitifs. Elle a aussi déclaré contraire à la constitution le fait qu’on n’ait réduit la durée du Sap-Cena. Elle a estimé qu’il appartient au Sap-Cena d’organiser les élections, la reprise des élections entre deux élections. Enfin, la Cour a estimé que le fait de demander au Chef de l’Etat de convoquer le corps électoral pour les élections législatives au même jour que l’élection présidentielle, elle a estimé que c’est contraire à la constitution puisque là selon  le législateur ajoute une nouvelle condition supplémentaire non prévue par la constitution.

 

La Cour utilise le concept de « autorité de la chose jugée ».Que recoupe ce concept ?

 

Me Salami :  En fait la notion de l’« autorité de la chose jugée » est tirée de l’article 124 de la constitution en ce sens que cet article prévoit que les décisions de la Cour ne sont pas susceptibles de recours. Ça veut dire qu’une fois que la Cour a parlé, ces décisions sont incontestables, il n’y a pas de voix de recours. Alors, c’est vrai que dans plusieurs de ces décisions, la Cour quand elle a fait un premier contrôle, a déclaré une loi contraire à la constitution et que la loi est renvoyée après correction à la Cour, elle déclare la nouvelle loi contraire ou conforme à sa décision antérieure et non directement à la constitution, ce qui fait que la Cour établit une équivalence entre ses propres décisions et la constitution. Cela se comprend parce que l’interprète de la constitution, c’est lui qui donne un sens à la constitution et donc si la Cour considère qu’une loi est contraire à la constitution et bien la loi doit se conformer à sa décision pour se conformer à la constitution. Mais la difficulté qui se pose notamment dans la décision rendue par la Cour constitutionnelle relative aux Règles générales, et ça là qu’il y a un certain nombre de malaise qu’il faut relever par rapport à cette interprétation trop large de la            notion de l’ « autorité de la chose jugée ». Dans cette décision, notamment dans la partie où la Cour déclare les titres 1er  et 2 contraires à la constitution, la Cour relève que, concernant la Lepi, le fait de reprendre dans la nouvelle loi les nouvelles dispositions qui sont contraires à l’ancienne loi, sont en quelque sorte contraires à l’autorité de la chose jugée. Cela me paraît d’un véritable raccourci parce que ça finit par limiter considérablement la capacité à légiférer du parlement. On a comme l’impression que la Cour veut figer le parlement dans les limites qu’elle-même a fixées. Ce qui est encore plus dangereux, c’est que la Cour dit par exemple dans cette même décision que l’article 66 alinéa 1 de la nouvelle loi vient en contradiction des articles 24 et 45 de la loi sur la Lepi. C'est-à-dire que la nouvelle loi est contraire à l’ancienne loi mais c’est extraordinaire, c’est le rôle même du parlement de prendre de nouvelles dispositions qui peuvent remettre en cause les anciennes dispositions et dans ce sens, les nouvelles de fait doivent abroger l’ancienne. Et la Cour dit non que cela est contraire à l’ancienne disposition, c’est à mon avis un raccourci. Un autre problème c’est que la nouvelle loi veut écarter le transport militaire dans l’organisation des élections. Et bien, le parlement doit être en mesure de le faire. Si le parlement n’a même pas le droit de dire nous ne voulons pas du transport militaire, eh bien quelle est la marge de manœuvre qui reste au parlement dans ce pays. La Cour dit, la loi peut définir les modalités de recours aux moyens de transports militaires mais ne peut en aucun cas les proscrire, mais la Cour se fonde sur quoi pour dire cela. Elle se fonde sur quelle constitution, sur la constitution de quel pays pour dire que le parlement ne peut pas faire cela. Je pense que ces différents cas montrent que la Cour a une interprétation trop large de l’autorité de la chose jugée pour remettre en cause les lois de l’Assemblée nationale.

Mais il y a un autre point sur lequel on pouvait  insister. Il s’agit de l’article 107 de la constitution. Moi j’ai comme l’impression que la Cour fait un usage abusif de l’article 107 de la constitution parce que, voyez vous , la première législature comportait 64 députés et c’est à la 2è législature qu’on est passé à 83 députés. C’était une proposition de loi et personne n’a opposé le fait qu’il y a irrecevabilité parce qu’il y avait une compensation. La loi même sur la Lepi est une proposition de loi et personne n’a trouvé à redire sur le fait qu’il doit avoir de compensation ….

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