Vous avez dit « rebâtir la nation » ?

Bonne initiative que celle prise par le Mouvement des artistes et intellectuels pour le développement (MAIDEV). Notre compatriote Florent Eustache Hessou en est le Président. L’association, le 1er septembre dernier, a réuni du beau monde pour une séance d’échanges autour du thème « Rebâtir la nation à travers l’éducation, la culture et le civisme ».

Il est sain qu’en cette année du cinquantenaire de notre indépendance, nous ne limitions l’événement à une célébration festive. Il serait dommage que la fête étouffe la réflexion et que la quête du pain d’aujourd’hui nous éloigne d’un certain rêve d’éternité.

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La date du 1er septembre n’a certainement pas été choisie par hasard. La rencontre à laquelle le MAIDEV nous a conviés, s’est tenue, exactement un mois, jour pour jour, après la pause festive du cinquantenaire. C’est symboliquement fort. Comme si le MAIDEV tenait à nous sonner les cloches, craignant, une fois éteints les lampions de la fête, que nous sombrions dans la routine ou que nous nous dissolvions dans l’indifférence.

C’est tonique de prendre sa tête, avec le MAIDEV, pour penser aux voies et moyens de rebâtir un pays comme le nôtre, et pour être au plus près des préoccupations de cette association, de « Rebâtir la nation. ». Que notre ami Florent Eustache Hessou  nous permette, ici, de jouer les trouble-fête, les empêcheurs de tourner en rond. D’abord, nous n’avons hérité de l’ancien colonisateur que d’un territoire et dans une certaine mesure que d’un Etat. Ensuite, jamais, comme aujourd’hui, le Bénin, notre pays n’a été aussi troublé, aussi agité par les démons du régionalisme et de l’ethnocentrisme. D’où notre première interrogation face à l’entreprise de Florent Eustache Hessou : pouvons-nous prétendre rebâtir une nation que nous n’avons pas encore su bâtir ?

Par ailleurs, le MAIDEV a raison de nous inviter à prendre possession de notre esprit pour penser par nous-mêmes notre avenir. Plutôt que de nous laisser aller à consommer ce que nous ne produisons pas. Plutôt que de nous abandonner à prêter nos têtes aux autres pour qu’ils pensent à notre place.

Autant que nous puissions nous en souvenir, nous n’avons pas toujours joué les singes grimaçants qui ne savent qu’ imiter les autres, les perroquets récitants qui ne savent que répéter les autres. Des Béninois ont eu à exercer leur pouvoir de penser. Ils ont émis des idées. Ils ont dressé l’architecture de la cité de nos rêves. Ils ont projeté et planifié notre avenir commun. Qu’avons-nous fait des résultats de leurs réflexions ? Où avons-nous rangé la somme de leurs suggestions et recommandations ?

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Refonder le Bénin, nous voulons bien. Mais que faisons-nous des acquis de la Conférence des forces vives de la nation ? Car il ne peut s’agir de faire du neuf pour faire du neuf. Tant que nous n’aurons pas épuisé la feuille de route de la Conférence nationale, tant que nous n’aurons pas honoré complètement le contrat auquel nous avons souscrit, toute tentation ou toute tentative de nous distraire hors du chemin tracé n’est que fuite en avant.    

De la même manière, qu’avons-nous fait  des « Etudes nationales de prospective à long terme », assorties du scénario Alafia Bénin 2025 ? Que voulons-nous rebâtir, qu’ambitionnons-nous de refonder aujourd’hui que nous n’avons déjà suggéré et projeté dans cet important document hélas classé depuis et jeté aux  oubliettes ? D’où notre deuxième interrogation face à l’entreprise de Florent Eustache Hessou : devons-nous continuer de faire semblant d’inventer les outils de notre salut, sans une volonté réelle de les utiliser effectivement pour nous sauver vraiment ? En d’autres termes, devons-nous continuer de jouer les autruches, du nom de cet oiseau coureur qui refuse de voir le danger et qui, pour échapper au péril, se cache la tête ? Si nous n’avons pas de raison de ne pas nous servir de nos anciennes boussoles, à quoi sert-il de nous investir à en fabriquer de nouvelles ?

Nous nous surprenons souvent de constater, en nous penchant sur les problèmes de nos pays, que nous aimons nous épuiser à nous attaquer à plus difficile, à plus complexe,  plutôt que de commencer par nous appliquer  à circonscrire le plus simple. Dans le cas qui nous occupe, avant de « rebâtir la nation », le plus simple ne serait-il pas de savoir qui sommes-nous ? Le MAIDEV de Florent Eustache Hessou se définit par « Le mouvement des artistes et intellectuels pour le développement. » D’où notre troisième interrogation face à l’entreprise du Président du Mouvement : qui est intellectuel,  qui est artiste dans ce Bénin qui se flatte d’être le « quartier latin de l’Afrique », mais qui ne s’est pas moins fait prendre comme un gros poisson dans les filets de ICC Services ?

Jérôme Carlos

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